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vendredi 5 juillet 2019

LES BASQUES DANS LES TRANCHÉES EN 1916


LE BILTZAR DE GANICH.


Pendant la Première Guerre mondiale, les retours de permissions étaient souvent l'occasion de parler du pays aux autres soldats restés en première ligne.


basques guerre 1914 1918
PORTE BONHEUR POUR LES TRANCHEES 1917


Voici ce que rapporta à ce sujet La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, dans son 

édition du 23 Février 1916, sous la plume de Lucien Biey :


Au temps de la guerre.

Le Bilzar de Ganich.

Dans ce secteur, chaque basque qui rentre de permission à son bilzaar. Les compatriotes voisins se passent le mot d’ordre pour se réunir le soir du retour, dans une tranchée de première ligne, et, c’est encore là qu’on est le plus tranquille. Le rentrant leur apporte l’air du pays, les nouvelles et, ce qui est plus tangible et aussi apprécié, un tas de provisions. 

Ceux qui le purent n’eurent garde de manquer au rendez-vous de Ganich. Il arriva avec une véritable charge où chacun trouva son lot confié à ce commissionnaire improvisé par les parents, les amis : chignarre, fromages de brebis, chocolat, méture ! Erramoun reçoit la pelote qu’il convoitait pour donner une grande partie à mains nues, contre le mur d’une église, dont les obus boches avaient fait un fronton. Begnat eut ses sandales brodées et des grelots pour les danses du Carnaval. 



basques tranchees 1914
SOLDAT LISANT UNE LETTRE EN 1915

Ganich apportait un gala général qu’arroseraient trois chaacouas respectables gonflés d’Irouleguy. 

Les appétits furent satisfaits en silence. 

— Maintenant, dit Ganich, pour boire et pour causer, il faut faire bilzaar suivant le rite des vieux qui aux temps anciens se réunissaient à la pleine lune peur parler des affaires du pays. 

Les Basques formèrent un grand cercle autour de Ganich. Ils étaient une dizaine représentant les diverses vallées, des artilleurs, tringlots, dragons, zouaves, coloniaux et surtout des terribles-torriaux. Après une première tournée de chaacoua, où le vin cascada en régalade dans les gorges joyeuses. Ganich prononça : 

— Je réclame un blâme général pour le pays ! 

— Qu’est-ce que tu racontes, dit Pettan, le grand discoureur de la bande, en sa qualité de Choubero ? Un blâme ? cela demande une explication. 

Ganich. — Oui blâme général, pour les gendarmes, les maires, les femmes, les curés, les vieux, les embusqués, les déserteurs...

Begnat. — Qu as-tu à dire contre les gendarmes ? 

Ganich. — A cause de mon papier de permission ; à chaque pas, à chaque instant, le jour, la nuit, il m a fallu montrer permission, rrrepermission et toujours permission ! 

Begnat. — C est ta faute. Je t’avais prévenu de porter toujours ton casque, pour montrer que tu venais du front, tu as voulu faire de la fantaisie avec ton képi et les gendarmes t’ont pris pour un embusqué ! 

Ganich. — Tu as raison, je passe pour les gendarmes. Mais le Maire, pourquoi m’a-t-il agacé avec ma permission. 

Pettan. — C'est sans doute la loi. 

Ganich. — Tu as raison, je passe pour les maires. Maintenant ce que je vais dire est plus grave.

 

hendaye autrefois
CONSCRITS HENDAYAIS 1914-1918

Pour se donner du courage, il prit un chaacoua et le lança au sacrifice. Ayant bu le dernier, il reboucha le goulot et déboucha sa conscience : 

Je ne parle pas de la mienne ni des vôtres. Ce sont de bonnes etchétoandriac... des maîtresses de maison. Elles font tout le travail comme si nous étions là. Mais il y en a qui emploient mal les allocations. On en a vu qui sont rentrées chez elles à quatre pattes, comme les bêtes ! Il y en a d'autres qui depuis 15 mois que l'homme est au front ont eu quand même un enfant ! Vous n'allez pas pardonner ces choses ? 

Pettan. — Tu en as vu beaucoup dans l’un ou l'autre cas ? 

Ganich. — Trois ou quatre seulement, c’est trop ! 

Bettiri. — Et c’est pour ces trois ou quatre que tu fais du chichi ? En temps de paix, il en va autant, sinon davantage. 

Ganich. — Je veux un blâme. 

Pettan. — Si on blâme les coupables, il sera juste de récompenser toutes les autres. Je demande pour elles la Croix de guerre ! Et puis la femme de César ne doit pas être soupçonnée. 

Ganich. — Qui çà César ? C’est le nom de mon chien. 

Pettan. — César était un type dans ton genre, le plus grand soldat de son pays. 

Ganich. — Puisque je suis César, nous passerons pour les femmes. Et, en l'honneur de celles qui sont braves, en avant la chaacoua ! 

MESSE DANS LES TRANCHEES

Les Basques s’étaient attendris et afin de remonter leur cœur, la régalade fut copieuse. 

Ganich. — Les déserteurs, vous n’allez pas pardonner ? 

Pettan. — Ils ne méritent pas notre attention ! Quand nous reviendrons avec la victoire, faudra voir leur figure quand nous prendrons leurs fiancées ou que nous ferons sauter leurs femmes ! Ils seront plus bas que les Bohamiak ! Ganich, qu’as-tu contre les autres habitants et les curés ?

Ganich. — Je veux blâmer leur ignorance. Ils ne savent rien de rien, le canon, la mitraille, les grenades, les bombes, les avions ! Ils ne comprennent pas assez que s’ils sont tranquilles chez eux c’est parce qu’ici nous souffrons mille morts, que nous montons la garde dans les tranchées et qu’aux Boches nous disons : On ne passe pas ! Ils ne comprennent pas que la fin de la guerre n’est pas notre souci, que nous voulons faucher avant les Boches, comme chez nous quand le temps est venu, nous fauchons les fougères sur la lande rougie. Pour apprendre aux nôtres notre existence, les curés devraient organiser des pélerinages. 

Erramoun. — A Lourdes

Ganich. — Non, dans les tranchées. La Vierge ne guérit que les malades, notre miracle est plus grand puisque nous sauvons la patrie ! 

Pettan. — Merci ! pour que les trains de pèlerins retardent les trains des permissions ! Mais si on veut reprocher leur ignorance aux gens de chez nous, il faut s’en prendre aux journalistes !

Ganich. — Bravo ! blâmons les journalistes. Toi, Chimun, qui ne parles pas, mais qui sais écrire, pour le prochain bilzar apporte-nous un blâme tapé. 

— Garde à vous ! dit à ce moment une voix. 

Un groupe d’officiers escortait un général. Celui-ci demanda : 

— Que faites-vous là, les enfants ? 

— Bilzaar ! murmura Ganich. 

Le Général. — Hein ? 

Le Colonel. — Général, ce sont nos Basques. 

Le Général. — Des Basques ! Alors repos, mes enfants. Bilzaar ce doit être leur théorie et dans l’action, ils l’appliquent admirablement. 

— Chic type, le général, déclara Ganich quand la ronde se fut éloignée. J’aurais dû lui passer le chaacoua ! 

Pour noyer ce regret, le dernier chaacoua circula de mains en mains, devant chaque bouche. Quand le tour fut achevé la gourde était plate comme un "taloua", qui est la galette du pays."


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