LE BILTZAR DE GANICH.
Pendant la Première Guerre mondiale, les retours de permissions étaient souvent l'occasion de parler du pays aux autres soldats restés en première ligne.
PORTE BONHEUR POUR LES TRANCHEES 1917 |
Voici ce que rapporta à ce sujet La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, dans son
édition du 23 Février 1916, sous la plume de Lucien Biey :
Au temps de la guerre.
Le Bilzar de Ganich.
Dans ce secteur, chaque basque qui rentre de permission à son bilzaar. Les compatriotes voisins se passent le mot d’ordre pour se réunir le soir du retour, dans une tranchée de première ligne, et, c’est encore là qu’on est le plus tranquille. Le rentrant leur apporte l’air du pays, les nouvelles et, ce qui est plus tangible et aussi apprécié, un tas de provisions.
Ceux qui le purent n’eurent garde de manquer au rendez-vous de Ganich. Il arriva avec une véritable charge où chacun trouva son lot confié à ce commissionnaire improvisé par les parents, les amis : chignarre, fromages de brebis, chocolat, méture ! Erramoun reçoit la pelote qu’il convoitait pour donner une grande partie à mains nues, contre le mur d’une église, dont les obus boches avaient fait un fronton. Begnat eut ses sandales brodées et des grelots pour les danses du Carnaval.
SOLDAT LISANT UNE LETTRE EN 1915 |
Ganich apportait un gala général qu’arroseraient trois chaacouas respectables gonflés d’Irouleguy.
Les appétits furent satisfaits en silence.
— Maintenant, dit Ganich, pour boire et pour causer, il faut faire bilzaar suivant le rite des vieux qui aux temps anciens se réunissaient à la pleine lune peur parler des affaires du pays.
Les Basques formèrent un grand cercle autour de Ganich. Ils étaient une dizaine représentant les diverses vallées, des artilleurs, tringlots, dragons, zouaves, coloniaux et surtout des terribles-torriaux. Après une première tournée de chaacoua, où le vin cascada en régalade dans les gorges joyeuses. Ganich prononça :
— Je réclame un blâme général pour le pays !
— Qu’est-ce que tu racontes, dit Pettan, le grand discoureur de la bande, en sa qualité de Choubero ? Un blâme ? cela demande une explication.
Ganich. — Oui blâme général, pour les gendarmes, les maires, les femmes, les curés, les vieux, les embusqués, les déserteurs...
Begnat. — Qu as-tu à dire contre les gendarmes ?
Ganich. — A cause de mon papier de permission ; à chaque pas, à chaque instant, le jour, la nuit, il m a fallu montrer permission, rrrepermission et toujours permission !
Begnat. — C est ta faute. Je t’avais prévenu de porter toujours ton casque, pour montrer que tu venais du front, tu as voulu faire de la fantaisie avec ton képi et les gendarmes t’ont pris pour un embusqué !
Ganich. — Tu as raison, je passe pour les gendarmes. Mais le Maire, pourquoi m’a-t-il agacé avec ma permission.
Pettan. — C'est sans doute la loi.
Ganich. — Tu as raison, je passe pour les maires. Maintenant ce que je vais dire est plus grave.
CONSCRITS HENDAYAIS 1914-1918 |
Pour se donner du courage, il prit un chaacoua et le lança au sacrifice. Ayant bu le dernier, il reboucha le goulot et déboucha sa conscience :
Je ne parle pas de la mienne ni des vôtres. Ce sont de bonnes etchétoandriac... des maîtresses de maison. Elles font tout le travail comme si nous étions là. Mais il y en a qui emploient mal les allocations. On en a vu qui sont rentrées chez elles à quatre pattes, comme les bêtes ! Il y en a d'autres qui depuis 15 mois que l'homme est au front ont eu quand même un enfant ! Vous n'allez pas pardonner ces choses ?
Pettan. — Tu en as vu beaucoup dans l’un ou l'autre cas ?
Ganich. — Trois ou quatre seulement, c’est trop !
Bettiri. — Et c’est pour ces trois ou quatre que tu fais du chichi ? En temps de paix, il en va autant, sinon davantage.
Ganich. — Je veux un blâme.
Pettan. — Si on blâme les coupables, il sera juste de récompenser toutes les autres. Je demande pour elles la Croix de guerre ! Et puis la femme de César ne doit pas être soupçonnée.
Ganich. — Qui çà César ? C’est le nom de mon chien.
Pettan. — César était un type dans ton genre, le plus grand soldat de son pays.
Ganich. — Puisque je suis César, nous passerons pour les femmes. Et, en l'honneur de celles qui sont braves, en avant la chaacoua !
MESSE DANS LES TRANCHEES |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire