LE BILÇAR D'USTARITZ.
Le Bilçar (ou Biltzar) est une assemblée représentative du Labourd qui a existé pendant des siècles et perduré jusqu'en 1789.
CHÂTEAU D'HAITZE LABOURD PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce qu'en raconta, en 1906, P. Yturbide, dans la Revue Internationale des Etudes Basques :
"Les trois provinces qui composent le Pays Basque français offrent cette particularité historique, qu’elles ont, eu presque toujours une existence séparée au point de vue politique et administratif. La Soule et le Labourd ont été soumis longtemps à la domination anglaise ; mais aucun lien ne pouvait s’établir entre ces deux provinces, puisque la Basse-Navarre qui était alors terre espagnole s’étendait entre les deux. Après la conquête française, le Labourd fut rattaché au gouvernement de Guyenne, tandis que la Soule était réunie à la vicomté de Béarn. Plus tard, la Basse-Navarre fut aussi annexée au Béarn quand elle cessa de faire partie du territoire espagnol ; mais le Labourd resta toujours attaché à la sénéchaussée de Lannes.
C’est sans doute à cause de cette séparation prolongée que le Labourd possédait autrefois des institutions locales, qu’on ne retrouvait pas dans les autres provinces. La Révolution française a fait disparaître ces anciennes institutions, et une fois disparues elles sont tombées dans. l’oubli. Elles méritent cependant d’être étudiées, car elles présentaient des particularités curieuses et donnaient à l’organisation de ce pays écarté un caractère tout spécial.
RUE DE LA POSTE USTARITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
...Le trait dominant de l’ancienne organisation du Labourd était l’absence de tout droit féodal, et la liberté complète des hommes et des terres. Les nobles labourdins n’avaient aucune prérogative, aucun privilège. Ils n’avaient aucune part au gouvernement du pays. A peine avaient-ils quelques droits purement honorifiques: la première place à l’église, le droit de présenter le curé. Leur situation était celle de propriétaires un peu plus riches que les autres ; mais comme leurs domaines n'avaient jamais de grands étendues, la plus grande partie des terres cultivées, environ les sept huitièmes, appartenait aux cultivateurs.
Les propriétaires étaient donc fort nombreux en Labourd et les propriétés très divisées. Tous ces petits héritages étaient protégés et maintenus par la Coutume locale, qui avait consacré en matière de succession un régime particulier. A la mort du père de famille l’aîné des enfants, fille ou garçon, héritait en totalité de la maison paternelle et des terres qui en dépendaient. Cet enfant aîné, du vivant même de son père, portait le titre d’héritier ou d’héritière et il était considéré comme co-propriétaire de l’immeuble familial.
La conséquence de cet état de choses devait être la prédominance des propriétaires laboureurs sur les propriétaires gentilshommes. C’est eu effet ce qui s’était produit. Toute l’administration locale était entre les mains des villageois et les gentilshommes en étaient exclus.
PLACE DU JEU DE PAUME USTARITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
La base de cette administration était la paroisse dont les habitants formaient tous ensemble, au point de vue civil, une communauté. C’est à cette communauté qu’appartenaient les terres vagues et incultes, les landes, les forêts, les eaux courantes, les chemins publics. Les habitants des paroisses avaient la jouissance gratuite des bois et des pâturages. Ils avaient tous le droit de chasse et de port d’armes, le droit de pêche et le libre parcours pour leurs bestiaux. Ils étaient exempts de la taille et de la corvée. En revanche, ils devaient entretenir mille hommes de pied pour défendre la frontière.
Chaque communauté était administrée par une assemblée qui s’appelait en basque capitala, et en français l’assemblée capitulaire. Elle était composée, non pas de tous les habitants de la paroisse, mais seulement de ceux qui étaient etcheco-yaunac, c’est-à-dire propriétaires d’une maison et de leurs héritiers. Les femmes propriétaires étaient exclues de ces réunions mais elles y étaient représentées par leurs maris, leurs fils aînés, ou les maris de leurs filles aînées. Les nobles et les membres du clergé pouvaient y assister, mais ils ne pouvaient exercer ni charge ni fonction dans la communauté.
La tenue des assemblées capitulaires avait quelque chose de primitif et de champêtre, qui ramène l’esprit aux époques lointaines des maals germaniques et des champs de mai mérovingiens. Elles délibéraient en plein air, le dimanche, à l’issue de la messe. Elles se réunissaient, parfois sous le porche de l’église, mais plus souvent dans le cimetière qui l’environnait, ou bien sur une place ou dans un carrefour qui, dans nos villages, s’appelle encore aujourd’hui chapitalia ou capitalecou.
HIRIBERRIA USTARITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
Chaque année, à l’époque de Noël, l’assemblée capitulaire nommait parmi ses membres un certain nombre de jurats (trois, cinq ou sept) qui devaient, pendant l’année suivante, gérer les affaires de la communauté, Ces fonctions étaient obligatoires; elles ne pouvaient pas être refusées. L’un des jurats était désigné pour exercer la police, présider les Assemblées et correspondre avec les autorités. On l’appelait en basque hauz-apeza, titre qu’on traduisait ainsi : le sieur Abbé. Ses attributions étaient celles de nos maires actuels et celles de l’alcalde des villages espagnols. Au commencement du XVIII e siècle, ils prirent le nom de maires-abbés.
Pour traiter les questions et les affaires qui intéressaient l’ensemble du pays de Labourd, les maires-abbés de toutes les paroisses se réunissaient à Ustaritz, et tous réunis formaient une assemblée qui s’appelait le Bilçar d’Ustaritz. Lorsqu’un maire-abbé ne pouvait pas s’y rendre, il envoyait à sa place un des jurats ou un habitant notable; celui-ci était alors appelé le député.
Le Bilçar nommait un mandataire qui le représentait dans l’intervalle des réunions, et restait en fonctions d’une façon permanente. Ce représentant prenait le titre de Syndic général du pays de Labourd. C’était lui qui convoquait le Bilçar toutes les fois qu’il le jugeait nécessaire, et lui soumettait les affaires qu’il devait examiner.
MAISON USTARITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le Bilçar discutait sous la présidence du Bailli de Labourd, ou de son Lieutenant. Le Bailli était un officier nomme par le roi, qui représentait dans le pays l’autorité souveraine et cumulait, en principe, tous les pouvoirs : militaires, judiciaires et administratifs. Mais dans la pratique il ne s’occupait que des affaires militaires; il chargeait son Lieutenant des affaires judiciaires, civiles et criminelles, et laissait au Syndic général les affaires administratives et financières.
Ces Baillis avaient été créés par les rois d’Angleterre et remontaient à une époque reculée. Il est établi que le bailliage de Labourd existait déjà au milieu du XIIIe siècle. Quant à l’origine du Bilçar, on a pu dire en toute vérité qu’elle se perd dans la nuit des temps.
C’est seulement sous le règne de Louis XIV que le Bilçar commence à faire parler de lui, à propos des violents démêlés qui éclatèrent, en 1658, entre les officiers du bailliage et le syndic alors en fonctions. Ce syndic était Martin de Chourio, notaire royal à Ascain.
Il était d‘usage que le Syndic fût renouvelé tous les deux ans, et en sortant de charge il devait rendre ses comptes au Bilçar. Chourio avait plus de deux ans d’exercice et comme il tardait à rendre ses comptes, M. d’Arcangues, procureur du roi au bailliage de Labourd, fit réunir le Bilçar. Celui-ci nomma pour syndic général, Pierre Durruty, avocat à Ustaritz.
USTARITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
Chourio protesta avec la plus grande énergie. Il soutint que les officiers royaux n’avaient pas le droit de convoquer le Bilçar ; que seul le Syndic jouissait de cette prérogative. A son tour, il convoque un nouveau Bilçar qui, dans une réunion agitée et tumultueuse, casse l’élection de Durruty.
A l’issue de cette réunion, M. d’Arcangues en fit arrêter quelques membres, des plus exaltés, et les fit conduire à la prison d’Ustaritz. Chourio envoya des affidés piller la maison de M. d’Arcangues, et forcer la prison d’Ustaritz. Les prisonniers furent délivrés. Le procureur du roi dénonça ces excès au Parlement de Bordeaux, qui rendit contre Chourio un décret de prise de corps et commit l’huissier Lambert pour mettre ce décret à exécution.
Lambert se rendit à Ascain avec trente hommes d’armes de la garnison de Bayonne, qu’il avait jugé prudent de prendre pour escorte. Mais en entrant dans la rue d’Ascain, ils trouvèrent toutes les maisons et le clocher de l’église occupés par les complices de Chourio, qui les reçurent à coups de fusil et les forcèrent à battre en retraite.
PHILIPPERENIA USTARITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voulant réprimer ces graves désordres, le bailli de Labourd, M.d’Urtubie, mit sur pied les mille hommes de troupe qui formaient la milice du pays. Chourio de son côté arma ses partisans qui coururent la campagne, rançonnèrent les habitants, s’emparèrent des bestiaux et commirent toutes sortes d’excès. Pendant près de deux ans, une véritable guerre civile désola le Labourd. Les adversaires pour se reconnaître avaient adopté des ceintures de couleurs différentes : blanche pour les d’Urtubie, rouge pour les autres. De la les noms de sabelchouris et sabelgorris qui furent donnés aux deux partis.
Sur ces entrefaites Chourio mourut de mort naturelle dans sa maison d’Ascain. Cet événement inattendu déconcerta ses partisans qui se débandèrent. Le calme fut enfin rétabli. Un procès fut fait aux principaux mutins. Le Bilçar se réunit encore, paisiblement cette fois, et confirma l’élection du syndic Durruty.
OUHALDIA USTARITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ces troubles sérieux avaient fâcheusement impressionné Louis XIV. Quand un peu plus tard il vint à St-Jean-de-Luz pour son mariage, il voulait, dit-on, supprimer le Bilçar et toutes les institutions du pays de Labourd. On lui représenta que ce projet était dangereux ; qu’avec leur caractère indépendant les Basques émigreraient en masse, soit du coté de l’Espagne, soit du coté de Terre-Neuve ; que le pays allait rester désert et réduit à la misère. Le roi comprit ces raisons et se contenta de réglementer pour l’avenir les réunions du Bilçar.
Par une ordonnance du 3 juin 1660, rendue à St-Jean-de-Luz, le roi y étant, il prescrivit :
"Qu’à l’égard des bilçars ils seraient convoqués à la diligence du Syndic du pays, mais par l’ordre et en présence du Bailly et des officiers de Sa Majesté ; que les propositions du Syndic seraient données à entendre par le Lieutenant ; que ledit Syndic, les abbés, ou députés ne pourraient y porter aucunes armes ; et qu’ils « ne pourraient s’assembler qu’au parquet de la justice royale du bailliage."
Cette Ordonnance devint pour ainsi dire la loi organique et la charte fondamentale du Bilçar. Dans les procès-verbaux de ses séances, on la trouve constamment invoquée, soit par les Syndics, soit par les communautés, soit par les officiers royaux.
Il est facile de voir maintenant les différences qui existaient entre l’Assemblée d’Ustaritz et d’autres assemblées locales plus connues, telles que les Etats de Béarn, ceux de Navarre, ou la cour de Licharre en Soule.
VUE GENERALE USTARITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
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