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mardi 14 mai 2019

EIBAR EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN 1906


EIBAR EN 1906.


Au début du vingtième siècle, la ville "armurière" d'Eibar, en Guipuscoa, compte environ 8 000 habitants.


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MAIRIE EIBAR GUIPUSCOA 1906
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Gaulois, dans son édition du 24 juin 1906, sous la 

plume de Louis de Meurville :



"En Espagne.


Une petite ville collectiviste.




Puisqu'on nous vante les charmes futurs du collectivisme, il n'est pas inutile de le voir à l'œuvre.




Il existe, et,  - qui le croirait ? - c'est dans la catholique et monarchique Espagne qu'il fonctionne, en plein pays basque, pays carliste par excellence.




Il y a là une agglomération de cinq mille ouvriers républicains, socialistes, athées, matérialistes, qui ont appliqué dans toute sa rigueur, autant que les lois le permettent, les théories collectivistes. 




La petite ville d'Eibar est située dans le Guipuzcoa, à deux kilomètres de la Biscaye, sur la ligne de chemin de fer qui relie Saint-Sébastien à Bilbao. A vingt kilomètres de là se trouve Guernica, dont l'arbre sacré, qui abritait jadis les délégués des quatre provinces basques, est mort à peu près à l'époque où, ont disparu les fueros, les privilèges de ces républiques qui ne tenaient à l'Espagne que par le drapeau et les levées d'hommes en cas de guerre sur la frontière.


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PLACE ALPHONSE XIII EIBAR GUIPUSCOA 1910
PAYS BASQUE D'ANTAN


Près de là, aussi, se trouve la maison de saint Ignace de Loyola, encastrée dans un vaste couvent que les Jésuites ont bâti avec une magnifique église de styles italien.




Malgré ces voisinages, les ouvriers d'Eibar ont la haine de la religion et des anciens privilèges de leur province. Ils sont internationalistes.




Eibar a toujours été un centre métallurgiste. De tout temps, les ouvriers y ont fabriqué des armes, grâce au voisinage des mines de fer et des hauts fourneaux de la Biscaye ; et toujours ils ont travaillé par petits groupes, dans des ateliers communs, mais sans organisation. Il y a environ quarante ans que M. Zuloaga, le père du peintre dont on sait le grand talent, y introduisit la fabrication de ces objets en fer, incrustés d'or et d'argent, boîtes, cadres, manches de canne, coffrets et bijoux damasquinés, que l'on voit partout.




Cette industrie existe aussi à Tolède ; elle continue à Eibar, mais M. Zuloaga y a renoncé, bien qu'il habite encore cette petite ville, dans un vieux manoir où il a grand'peine à trouver une femme de service pour faire son ménage. Il ne peut trouver une cuisinière, ni à plus forte raison un valet de chambre, et il doit aller manger à l'auberge avec les ouvriers célibataires.


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TIMBRES MUNICIPAUX EIBAR GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN



C'est que le service domestique est considéré comme honteux par ces collectivistes et, dès qu'il arrive un homme au service d'un autre homme, ils l'endoctrinent et lui proposent six francs par jour, comme apprenti, dans leurs ateliers, avec promesse d'avancement rapide. On comprend que bien peu résistent à cette aubaine. On fera bien, si l'on fait le voyage d'Eibar, d'y aller sans domestiques.




C'est en 1900 que les ouvriers d'Eibar se sont organisés en syndicat collectiviste. Ils sont plus de quatre mille dans cette organisation, et il en reste quelques-uns qui acceptent de travailler aux pièces dans les deux manufactures privées, qui subsistent encore, et cela dans des conditions qui équivalent à peu près aux bénéfices des ouvriers indépendants. 




La ville est construite dans une étroite vallée, le long d'une petite rivière. La grand'route est la rue principale, et la ville entière ressemble à une cité ouvrière de nos grands-centres.


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VUE PARTIELLE D'EIBAR GUIPUSCA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Les petites maisons sont rares ; les terrains augmentent de prix de jour en jour ; ce sont donc, le plus souvent, des maisons de quatre étages divisées en petits logements. Façades plates, sans aucun ornement, mais de nombreux balcons ; c'est tout ce qui rappelle l'Espagne, si ce n'est la vieille église du quatorzième siècle, restaurée et embellie au seizième, qui domine la ville et qui n'est plus fréquentée que par quelques femmes et quelques enfants.




Ces maisons sont construites à très bon marché par les paysans des environs,collectivistes et libres-penseurs comme les ouvriers. Ils s'associent pour se partager l'entreprise, chacun dans une spécialité : charrois, charpenterie, maçonnerie, plomberie ; les entrepreneurs sont collectivement propriétaires, et les loyers très bas sont cal




Tout le long de la grand'rue, il y a une série d'ateliers au rez-de-chaussée, de façon à réunir les dix ou douze ouvriers qui logent dans la maison. Quelques hommes cependant, qui sont une spécialité de la lime ou du burin, travaillent chez eux. Tous, d'ailleurs, sont spécialisés et font constamment la même pièce. Ils arrivent ainsi à une grande perfection, mais sans la moindre ingéniosité. Dans chaque atelier, il y a un ajusteur, et les armes sorties de cet atelier sont vendues au profit du groupe.


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FABRIQUE D'ARMES VICTOR SARASQUETA EIBAR GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN



Les ouvriers descendent à l'atelier à la même heure :aucune amende, mais un fort grognement pour le retardataire, quand il marque une certaine paresse.Les hommes mariés dînent et~ soupent en famille ; les célibataires vont au cabaret, et, se nourrissent fort bien, ne se refusant ni les huîtres, ni les bouteilles de bon vin. Il est vrai de dire qu'ils ne sont pas exploités dans ces restaurants dont les patrons et les garçons sont considérés comme ouvriers, et sont les agents de la Société coopérative qui est dirigée par le syndicat ouvrier.




Pour se tenir au courant de la fabrication des armes, le syndicat fait venir chaque année des spécimens des armes les plus perfectionnés d'Angleterre, de Belgique, et de France. Tout est imité très fidèlement à Eibar : rien n'y est inventé.




Pour vendre les armes, on attend les offres des acheteurs, ou bien l'un des ouvriers s'offre à faire le commis-voyageur ; on lui ouvre un certain crédit, et il s'en va avec un lot d'armes de toute espèce et d'objets en fer niellé. Les uns s'en vont en France, à Biarritz, à Vichy, à Paris ; d'autres vont en Angleterre, quelques-uns même en Amérique, mais surtout dans l'Argentine.


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ARME BONIFACIO ECHEVERRIA EIBAR GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN



Ils vivent modestement le long de la route ; ils envoient l'argent qui revient au groupe, et qui correspond au bénéfice prévu ; le reste est pour eux. Mais c'est dans le change que consistait le principal bénéfice. En effet, ce qu'ils fabriquaient pour cent piécettes, vendu en France ou en Angleterre cent vingt-cinq francs, leur valait, avec le change de vingt-cinq à trente pour cent, environ cent soixante piécettes. C'était donc un bénéfice d'environ soixante pour cent.




Aujourd'hui, avec le change à six pour cent, le bénéfice est très réduit, et la gêne commencera bientôt à se faire sentir.



Tant que les affaires ont prospéré, les jeunes apprentis gagnaient, à partir de seize ans, de trois à quatre piécettes par jour, ainsi que les femmes qui n'avaient pas de ménage et qui pouvaient faire métier d'ouvrier ; les hommes recevaient environ douze piécettes par jour. Une petite part des bénéfices allait à la mairie ou au syndicat. Chaque ouvrier verse trois francs par semaine au cercle. Quand un ouvrier vient à mourir, laissant une veuve et des orphelins, le syndicat examine la situation de cette famille, lui assigne une pension suffisante, et la pension est souscrite parles ouvriers syndiqués, chacun s'engageant publiquement, selon ses moyens, pour cinq, dix ou vingt sous par an.



Le succès a amené chez ces ouvriers une complète insouciance de l'avenir. Ils dépensent tout ce qu'ils gagnent et, si une crise survient, ils seront dans la misère avec des familles dont la moyenne est de sept à huit enfants. Ils dépensent non seulement au cabaret, mais encore au théâtre : il y en a deux pour une population de sept mille cinq cents habitants, et ils sont pleins tous les soirs.



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RUE ELGUETA EIBAR GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Les enfants vont à l'école ; mais bien peu vont à l'église. A seize ans, ils sont reçus solennellement à la Maison du Peuple, sort de cercle construit par le syndicat et ils jurent fidélité aux statuts du syndicat. C'est une fête annuelle que cette initiation à la vie collectiviste et elle remplace la première communion.



Ces enfants élevés dans ces idées n'ont aucun respect, ni pour les étrangers, ni pour les vieillards.



Les ouvriers ont peu de disputes entre eux, le caractère basque étant essentiellement froid  et pondéré, mais ils n'ont d'égards pour personne.



Ils se croient les hommes les plus avancés et les plus intelligents du monde entier ; ils méprisent les arts et la science, et, en fait, ils sont incapables, non seulement d'une invention, mais même d'un perfectionnement dans leur industrie.



Ce sont d'excellents copistes, rien de plus. Les dessins de leur damasquinage sont toujours les mêmes depuis quarante ans.



Comme ils sont patrons et ouvriers en même temps, ils ne réclament nullement la journée de huit heures, et travaillent consciencieusement à l'atelier environ onze heures et demie par jour.


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RUE CALBETON EIBAR GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Enfin, comme les théories socialistes ne sont pas faites pour un groupe, mais pour l'humanité entière, il devient évident que ce qui a réussi à un groupe, pendant quelques années, ne comporte aucune conséquence pour la masse. Cette population devant augmenter rapidement par le nombre des enfants, la nouvelle génération ne trouvera pas toute entière une place dans les ateliers, les débouchés pour les armes fabriquées à Eibar n'étant pas indéfinis, et dès lors le syndicat deviendra une entreprise collective, rien de plus, comme l'usine Godin, le familistère de Guise.



Enfin, la moindre crise obligera une partie des ouvriers à chercher ailleurs un travail quelconque, et ce sera la faillite du système."




Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

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