EIBAR EN 1906.
Au début du vingtième siècle, la ville "armurière" d'Eibar, en Guipuscoa, compte environ 8 000 habitants.
MAIRIE EIBAR GUIPUSCOA 1906 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Gaulois, dans son édition du 24 juin 1906, sous la
plume de Louis de Meurville :
"En Espagne.
Une petite ville collectiviste.
Puisqu'on nous vante les charmes futurs du collectivisme, il n'est pas inutile de le voir à l'œuvre.
Il existe, et, - qui le croirait ? - c'est dans la catholique et monarchique Espagne qu'il fonctionne, en plein pays basque, pays carliste par excellence.
Il y a là une agglomération de cinq mille ouvriers républicains, socialistes, athées, matérialistes, qui ont appliqué dans toute sa rigueur, autant que les lois le permettent, les théories collectivistes.
La petite ville d'Eibar est située dans le Guipuzcoa, à deux kilomètres de la Biscaye, sur la ligne de chemin de fer qui relie Saint-Sébastien à Bilbao. A vingt kilomètres de là se trouve Guernica, dont l'arbre sacré, qui abritait jadis les délégués des quatre provinces basques, est mort à peu près à l'époque où, ont disparu les fueros, les privilèges de ces républiques qui ne tenaient à l'Espagne que par le drapeau et les levées d'hommes en cas de guerre sur la frontière.
PLACE ALPHONSE XIII EIBAR GUIPUSCOA 1910 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Près de là, aussi, se trouve la maison de saint Ignace de Loyola, encastrée dans un vaste couvent que les Jésuites ont bâti avec une magnifique église de styles italien.
Malgré ces voisinages, les ouvriers d'Eibar ont la haine de la religion et des anciens privilèges de leur province. Ils sont internationalistes.
Eibar a toujours été un centre métallurgiste. De tout temps, les ouvriers y ont fabriqué des armes, grâce au voisinage des mines de fer et des hauts fourneaux de la Biscaye ; et toujours ils ont travaillé par petits groupes, dans des ateliers communs, mais sans organisation. Il y a environ quarante ans que M. Zuloaga, le père du peintre dont on sait le grand talent, y introduisit la fabrication de ces objets en fer, incrustés d'or et d'argent, boîtes, cadres, manches de canne, coffrets et bijoux damasquinés, que l'on voit partout.
Cette industrie existe aussi à Tolède ; elle continue à Eibar, mais M. Zuloaga y a renoncé, bien qu'il habite encore cette petite ville, dans un vieux manoir où il a grand'peine à trouver une femme de service pour faire son ménage. Il ne peut trouver une cuisinière, ni à plus forte raison un valet de chambre, et il doit aller manger à l'auberge avec les ouvriers célibataires.
C'est que le service domestique est considéré comme honteux par ces collectivistes et, dès qu'il arrive un homme au service d'un autre homme, ils l'endoctrinent et lui proposent six francs par jour, comme apprenti, dans leurs ateliers, avec promesse d'avancement rapide. On comprend que bien peu résistent à cette aubaine. On fera bien, si l'on fait le voyage d'Eibar, d'y aller sans domestiques.
C'est en 1900 que les ouvriers d'Eibar se sont organisés en syndicat collectiviste. Ils sont plus de quatre mille dans cette organisation, et il en reste quelques-uns qui acceptent de travailler aux pièces dans les deux manufactures privées, qui subsistent encore, et cela dans des conditions qui équivalent à peu près aux bénéfices des ouvriers indépendants.
La ville est construite dans une étroite vallée, le long d'une petite rivière. La grand'route est la rue principale, et la ville entière ressemble à une cité ouvrière de nos grands-centres.
VUE PARTIELLE D'EIBAR GUIPUSCA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les petites maisons sont rares ; les terrains augmentent de prix de jour en jour ; ce sont donc, le plus souvent, des maisons de quatre étages divisées en petits logements. Façades plates, sans aucun ornement, mais de nombreux balcons ; c'est tout ce qui rappelle l'Espagne, si ce n'est la vieille église du quatorzième siècle, restaurée et embellie au seizième, qui domine la ville et qui n'est plus fréquentée que par quelques femmes et quelques enfants.
Ces maisons sont construites à très bon marché par les paysans des environs,collectivistes et libres-penseurs comme les ouvriers. Ils s'associent pour se partager l'entreprise, chacun dans une spécialité : charrois, charpenterie, maçonnerie, plomberie ; les entrepreneurs sont collectivement propriétaires, et les loyers très bas sont cal
Tout le long de la grand'rue, il y a une série d'ateliers au rez-de-chaussée, de façon à réunir les dix ou douze ouvriers qui logent dans la maison. Quelques hommes cependant, qui sont une spécialité de la lime ou du burin, travaillent chez eux. Tous, d'ailleurs, sont spécialisés et font constamment la même pièce. Ils arrivent ainsi à une grande perfection, mais sans la moindre ingéniosité. Dans chaque atelier, il y a un ajusteur, et les armes sorties de cet atelier sont vendues au profit du groupe.
FABRIQUE D'ARMES VICTOR SARASQUETA EIBAR GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les ouvriers descendent à l'atelier à la même heure :aucune amende, mais un fort grognement pour le retardataire, quand il marque une certaine paresse.Les hommes mariés dînent et~ soupent en famille ; les célibataires vont au cabaret, et, se nourrissent fort bien, ne se refusant ni les huîtres, ni les bouteilles de bon vin. Il est vrai de dire qu'ils ne sont pas exploités dans ces restaurants dont les patrons et les garçons sont considérés comme ouvriers, et sont les agents de la Société coopérative qui est dirigée par le syndicat ouvrier.
Pour se tenir au courant de la fabrication des armes, le syndicat fait venir chaque année des spécimens des armes les plus perfectionnés d'Angleterre, de Belgique, et de France. Tout est imité très fidèlement à Eibar : rien n'y est inventé.
Pour vendre les armes, on attend les offres des acheteurs, ou bien l'un des ouvriers s'offre à faire le commis-voyageur ; on lui ouvre un certain crédit, et il s'en va avec un lot d'armes de toute espèce et d'objets en fer niellé. Les uns s'en vont en France, à Biarritz, à Vichy, à Paris ; d'autres vont en Angleterre, quelques-uns même en Amérique, mais surtout dans l'Argentine.
ARME BONIFACIO ECHEVERRIA EIBAR GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
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