MIGUEL DE UNAMUNO À HENDAYE EN 1930.
Miguel de Unamuno est un poète, romancier, dramaturge, critique littéraire et philosophe espagnol.
Né le 29 septembre 1864 à Bilbao, ses articles virulents contre la monarchie lui valurent un exil
aux îles Canaries en 1924, jusqu'en 1930, à la chute de Primo de Rivera.
Je vous ai déjà parlé de l'exil de Miguel de Unamuno à Hendaye en 1925, dans un article
précédent.
Voici ce que rapporta la presse dans diverses éditions :
- la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays Basque, le 5 février 1930 :
"La crise politique en Espagne.
Un entretien avec M. de Unamuno à Hendaye.
Quelques instants de l’autre côté de la frontière.
Je m'étais déjà proposé, il y a quelques jours, d'aller rendre visite, à Hendaye, au grand universitaire don Miguel de Unamuno, qui y réside depuis le moment où le général Primo de Rivera, assumant la dictature, avait supprimé en Espagne les garanties constitutionnelles. Il avait été l'objet de mesures mesquines et non franchement avouées qui le décidèrent à venir demander l’hospitalité à la France. Profondément patriote, il voulait néanmoins que ses yeux pussent se porter sur les côtes espagnoles. Il avait donc choisi, pour son exil, cette ville d'Hendaye où il comptait déjà des amitiés ferventes et respectueuses.
Il sied d'ailleurs de lui rendre cette justice que, s'il continua de dire nettement et hautement son opinion sur les hommes et la politique de son pays et s'il ne cessa de combattre par la plume et par la parole, il le fit avec mesure, avec courtoisie, évitant de créer une agitation fébrile à deux pas de l'Espagne.
Je viens de dire qu'il avait déjà des amis à Hendaye lorsqu'il y arriva. On peut avancer qu'aujourd'hui le nombre de ces amis dans cette ville et dans la région s’est accru de façon considérable. A Hendaye, toute la ville est son amie.
On aime à voir passer dans la rue ce grand et vert vieillard qui, par tous les temps, s’en va tête nue, à la main une canne sur laquelle il ne s'appuie guère. Il mène d'ailleurs la vie plus mathématiquement réglée qu'on puisse imaginer, partagée entre ses amis avec qui il aime causer ou, à l'occasion, faire une partie de cartes, et ses travaux et ses méditations dans la petite chambre d'un modeste hôtel, proche de la gare.
Je m'étais donc proposé, il y a quelques jours, disais-je, au lendemain de la démission du général Primo de Rivera d'aller lui rendre visite, pour lui infliger, est-il besoin de le préciser ? le supplice de l'interview. D'autres événements m'en avaient empêché jusqu'ici.
Mais comme le bruit courut hier - et a même été reproduit, ce matin, par un grand journal régional - qu'il se disposait à rentrer en Espagne (ce n'était plus, disait-on, que l'affaire d'un jour ou deux) j'estimai que cette visite s'imposait décidément d'une façon péremptoire.
M. de Unamuno m’a accueilli de la façon la plus courtoise du monde. Je lui dis que j'avais l'intention de lui demander son opinion sur la crise politique en Espagne et ce qu'il prévoyait pour l'avenir, lorsqu'une interview parue dans l'Œuvre, sous la signature de M. Compolonghi (l’exilé italien) et dont je venais de prendre connaissance, m'avait déjà appris qu'il ne considérait le ministère que vient de constituer le général Berenguer que comme "un cabinet de transition" ; qu'il avait l'espoir que les élections seraient loyales ; qu'il était persuadé, en tout cas, qu'il faudra bien rétablir, en Espagne, un régime sincèrement constitutionnel et que les élections prochaines seraient marquées, vraisemblablement, par une poussée à gauche.
GENERAL DAMASO BERENGUER
CAMPOLONGHI LUIGI
- Mon Dieu, m'a dit M. de Unamuno, dont les doigts pendant qu'il parlait, manipulaient plusieurs journaux qu'il avait sur les genoux, je suis disposé à le croire. Mais il serait peut-être imprudent de se montrer trop affirmatif, quant aux résultats d'une consultation de cette importance, quand les partis sont encore désorientés, après avoir été si longtemps opprimés et éloignés des affaires. Ce qu'il y a de certain, c'est que l'on constate parmi la nouvelle génération, parmi ceux qui étaient bien jeunes encore à l'époque de la guerre, une orientation et des opinions bien différentes de celles des ans précédents. C'est à le constater qu'on s'est rendu compte des dangers que pouvait courir la monarchie et le pays si ce régime dictatorial de six années, voulu, instauré par le roi - telle est ma conviction - se prolongeait encore. Le péril est apparu aux yeux d'Alphonse XIII et c’est sous le coup de cette appréhension qu’il a résolu de mettre en demeure Primo de Rivera de donner sa démission.
Celui-là, on ne le regrettera guère, à part quelques personnalités qu'il s'était attachées, et encore !...Quant au général Berenguer c'est, j'en suis convaincu, un brave homme, plus intelligent que son prédécesseur. Mais pourra-t-il installer un gouvernement stable, alors que tant de conservateurs, eux-mêmes, se tiennent sur la réserve et que tant d'autres hommes politiques et de citoyens espagnols estiment qu’on ne pourra rien faire tant qu'on n’aura pas établi les responsabilités, toutes les responsabilités sur les événements, souvent douloureux, parfois scandaleux, qui se sont produits en Espagne depuis plusieurs années et surtout sous la dictature de Primo de Rivera.
N'est-ce pas un scandale, en effet, que ce défaut de garanties constitutionnelles à tout un pays, que ce pouvoir absolu qui pouvait tout permettre ? Il n'v a qu'une chose, il faut le reconnaître, dont il y ait lieu de tenir compte à Primo de Rivera, c'est que sous son directoire, il n'y eut aucun événement sanglant.
Mais penser que les choses puissent continuer ainsi et qu'on échappera à l'établissement des responsabilités, et au retour à un pouvoir vraiment constitutionnel, cela me parait, quant à moi, tout à fait impossible, d'autant plus qu'on s'intéresse beaucoup plus qu’autrefois, en Espagne, à la vie publique et à la vie politique.
Oui, oui, on voudrait "passer l'éponge", tenter, peut-être, une façon nouvelle de gouverner, avec certaines garanties données à la nation. Cela ne saurait durer et assurer à l’Espagne la stabilité et la paix intérieure. N'oubliez pas, d'autre part, le problème catalan, qui est gros d'inconnu et préoccupe beaucoup le roi...
M. de Unamuno rêve un instant puis il reprend :
"Avez-vous gardé le souvenir, me demande-t-il, de ce qui s’est passé à Canfranc, le jour de l'inauguration du Transpyrénéen ?...
GARE DE CANFRANC ARAGON
— J'assistais, dis-je, à cette cérémonie.
— Eh bien ! alors, peut-être vous souvient-il du toast du roi, qui, parlant à M. Doumergue, Président de la République française, et constatant qu’une Monarchie et une République peuvent tout de même s'entendre, ajouta que, d'ailleurs, le régime (d’alors) en Espagne, pourrait être appelé à subir des modifications prochaines, dans certaines conditions.
GASTON DOUMERGUE PRESIDENT REPUBLIQUE FRANCAISE |
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