LE CHÂTEAU DE LACARRE.
Le premier château de Lacarre, en Basse-Navarre, a des origines très anciennes.
CHÂTEAU HARISPE A LACARRE BASSE-NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, dans son édition
du 17 octobre 1932 :
"Les Châteaux historiques du Pays Basque français.
Le Château de Lacarre.
Dans le dernier numéro du Bulletin du Musée Basque, M. J. Nogaret continue son attachant historique, si profondément documenté des châteaux du Pays Basque. Il nous est impossible de tout reproduire — et nous en laissons le plaisir aux lecteurs du Bulletin. Mais, à propos du château de Lacarre, nous citerons ces pages :
On ne connaît pas les origines du premier château de Lacarre ; mais on peut dire qu'elles doivent être recherchées dans une haute antiquité. Avant même que les Romains aient créé la fameuse voie qui a cessé d’être, il y a environ cinquante ans, le grand chemin de communication entre les Gaules et la péninsule Ibérique, il est probable que les relations entre ces deux pays s’effectuaient par la vallée de la Bidouze le pays de Cize et le col d’Ibañeta. Les Romains en effet ont tracé leurs routes suivant les chemins et les pistes existant avant eux.
Sur cette voie, l’endroit où se trouve aujourd’hui le château était un lieu de passage qui commandait trois vallées : au Sud, le riche pays de Cize ; au Nord l’Ostabaret conduisant au Béarn et à la Gascogne ; à l’Ouest, une vallée reliant la Basse-Navarre au Labourd par Irrissary et l’Arberoue. C’était donc une position des plus importantes au point de vue stratégique et il est probable que, lorsqu’on éleva des ouvrages militaires permanents en Pays Basque, un des premiers fut construit à Lacarre. Quel en fut le premier propriétaire ? A quelle époque vivait-il ? Autant de questions auxquelles on ne peut répondre et il faut arriver au XIIe siècle pour trouver quelques renseignements du reste bien succincts.
Entre 1119 et 1136, il est fait mention d’une dame de Lacarre qui fit don à l’abbaye de Sordes d’une chapelle dédiée a Saint-Saturnin. On ignore où se trouvait cet établissement religieux ainsi que les motifs de cette donation. Cette châtelaine eut deux fils, Géraud et Arnaud, sur lesquels on n’est pas mieux renseigné. Mais on trouve, à la même époque, Bernard, appartenant à la même famille sans qu'on puisse préciser les liens de parenté qui l'unissaient aux précédents. Bernard entra dans les ordres et devint chanoine de la cathédrale de Bayonne, en 1168 ; abbé de Sordes en 1176 et évêque du diocèse en 1185.
C'est une étrange figure que celle de Bernard de Lacarre, homme d'église doublé d'un homme d’action d’une énergie peu commune. Il prit part à la troisième croisade et y rendit les plus signalés services. Philippe-Auguste et Richard Cœur-de-Lion avaient décidé de former deux convois pour la Palestine ; l’un devait s’embarquer avec Philippe sur les cotes de Provence ; l’autre, sous les ordres de Richard, avait comme pointe d'embarquement Bordeaux et Bayonne. Il devait rejoindre le premier en Sicile pour les fêtes de Pâques 1191.
TUNIQUE DE BERNARD DE LACARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Richard nomma cinq amiraux qu'on appelait alors des connétables. Deux étaient des ecclésiastiques, Géraud de Labarthe, archevêque d'Auch et Bernard de Lacarre. Ce dernier commandait la flotte armée à Bayonne.
Tout alla bien jusqu’à Lisbonne. Là, le roi de Portugal demanda aux croisés de l'aider à reprendre la ville de Selvés occupée par les Maures. Combattre les infidèles en Portugal ou ailleurs était l’affaire des Croisés. Ils reprirent la ville et chassèrent les ennemis ; mais, mis en goût par la richesse du butin, ils se tournèrent contre leurs alliés et mirent à sac Lisbonne, pillant, brûlant, tuant et agissant comme dans un pays conquis. Il fallut toute l’énergie de Bernard de Lacarre pour venir à bout de ces forcenés ; il y eut bien des poings coupés et des bains de correction au fond du Tage, avant que l’expédition put lever l'ancre et reprendre sa route.
En Sicile, une tempête d’équinoxe détruisit une partie de la flotte, ce qui n’empêcha pas les croisés d’atteindre leur but.
A Limissa, sous le beau ciel de Paphos, Richard Cœur-de-Lion épousa Bérengère sœur de Sanche-le-Fort, roi de Navarre que la reine Eléonore avait amenée avec elle pour que ce mariage se fît à l'insu de Philippe-Auguste. L’évêque d’Evreux le bénit assisté de Bernard de Lacarre. Après la prise de Saint-Jean-d'Acre, ce prélat-amiral revint en France et ramena sa flotte à bon port. Il reprit la direction de son diocèse qu’il administrait encore en 1206.
Il est un intéressant épilogue au rôle de l'évêque de Bayonne à la croisade. En 1853, pendant qu'on effectuait des réparations à l’intérieur de la cathédrale on découvrit dans la chapelle Sainte Anne, un sarcophage contenant, avec des ossements, une mitre tissée d'or et d’argent, une tunique brochée d’or et de lettres arabes qui formaient l'inscription : "Il n'y a de dieu que Dieu et Mahomet est son prophète", une crosse en émail avec volute figurant un serpent aux écailles bleues, un anneau et divers autres vêtements sacerdotaux richement brodés.
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Bien que cet avis n’ait pas été unanimement adopté, ce tombeau a été considéré comme celui de Bernard de Lacarre décédé étant évêque de Bayonne.
L’architecte chargé des travaux de la cathédrale, fonctionnaire du ministère des Beaux-Arts, fit expédier ces précieux objets à Paris où ils ont été déposes au Musée de Cluny.
Du temps de l’évêque, le domaine de Lacarre formait déjà une baronnie dont les propriétaires étaient des ricombres influents, occupant les principaux emplois et faisant partie de toutes les expéditions à main armée. Mais, au XIIIe siècle, la descendance mâle s'éteignit et il ne resta qu’une fille comme héritière des biens. D’après la tradition, le fils du roi de Navarre, Thibaut 1er, étant passé par Lacarre, se serait épris de cette jeune fille au point de vouloir l’épouser. Son père s’y serait opposé, mais il n’aurait pu empêcher des relation de s'établir entre les deux jeunes gens et il serait né un fils qui reçut le nom de Jean-Henriquez. Cette origine a été contestée et il serait plus conforme à la vérité d’attribuer cette naissance à des relations de l’infant de Navarre avec une autre personne nommée Marie de Lehet. Cet enfant, élevé à la cour et gratifié de nombreuses dotations, serait devenu seigneur de Lacarre par son mariage avec l'héritière de la seigneurie.
TUNIQUE DE BERNARD DE LACARRE MUSEE CLUNY PARIS Photo (C) RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen-Âge) / Hervé Lewandowski |
Quoi qu’il en soit, Henriquez et ses descendants jouiront de la faveur royale et ils la méritèrent. Martin-Henriquez se distingua tout particulièrement par les services rendus à son souverain Charles-le-Mauvais qui le nomma "Alférez-mayor" c’est-à-dire porte-étendard royal, première charge du royaume. Il acquit rapidement lia réputation d'un capitaine de grand renom pendant les guerres de cette époque si agitée et il se fit remarquer par un courage à toute épreuve parmi les ricombres et chevaliers navarrais qui suivirent avec le plus de constance la fortune aventureuse de Charles-le-Mauvais. Il était avec les gentilshommes qui délivrèrent le roi de Navarre dans les circonstances relatées à l'article concernant les seigneurs de Garro.
CHARLES II DE NAVARRE DIT CHARLES LE MAUVAIS PAYS BASQUE D'ANTAN |
Froissard parle à plusieurs reprises de "Messire Martin de la Kare, moult seige et appert chevalier" qui fut comblé de bies et d'honneurs par Charles-le-Mauvais.
Le 10 avril 1367, à la tête de 300 lances, il combattit pour Pierre le Cruel à Nagera où Bertrand Duguesclin, qui soutenait la cause d'Henri de Transtamarre, fut fait prisonnier. Après la bataille le prince de Galles rallia ses gens et Froissard, dans sa chronique, après avoir donné les grands noms qui répondirent à l’appel, ajoute : "et, un peu plus en sus était messire Martin de Lacarre, la bannière de son seigneur et roi qu’il représentait devant lui et aussi tous les comtes et barons, laquelle chose était belle à regarder et à considérer."
Martin mourut en 1368, laissant deux enfants, Jeanne et Martin-Henriquez. Celui-ci bénéficia de la faveur royale, fut nommé chambellan, puis maréchal de Navarre par lettres du 16 mai 1389. A cette occasion, le roi de Navarre, Charles le Nobles, lui fit don de la ville d’Ablitas avec tous les honneurs et prérogatives qui y étaient attachés et, un peu plus tard, il l’autorisa à ajouter à ses armes celle de Navarre.
Martin-Henriquez fut la tige des comtes d’Ablitas dont les titres et majorats se sont transmis de génération en génération jusqu’à l'impératrice Marie-Eugénie-Ignace-Augustine de Pélafox-Portocarrero-Gusman, comtesse de Teba et d’Ablitas, mariée à l'empereur Napoléon III.
EUGENIE DE MONTIJO |
La sœur de Martin-Henriquez, Jeanne de Lacarre, qui avait épousé, en 1319 Ramire-Sanche, seigneur d’Asiayn, hérita des biens de Lacarre. Cette nouvelle dynastie se continua jusqu’au XVIIe siècle, bien que Ramire-Sanche n’ait pas vécu longtemps. Il perdit la vie dans des circonstances assez tragiques.
Il eut un démêlé avec Arnaud-Raymond, surnommé Fillot de Gramont, fils aîné et héritier d’Arnaud-Raymond de Bidache, ricombre de Navarre. Ce jeune gentilhomme ayant appris que Ramire-Sanche l’accusait d’avoir mal parlé de Charles-le-Mauvais et d’avoir même conspiré contre la vie de son souverain défia le seigneur de Lacarre et le cita à la cour majour de Navarre, où il se rendit lui-même, après avoir obtenu un sauf-conduit du roi. Sanche-Ramirez s’y présenta aussi et après que les deux gentilshommes eurent exposé leurs grief devant le roi, l’alcade de Pampelune et la cour les condamnèrent à vider leur différend par un combat singulier.
Le duel devait avoir lieu en présence du roi, sur la place d'armes de l'ancien château de Pampelune. Les deux adversaires s’y trouvèrent au jour fixé et après les serments d’usage, le seigneur de Gramont arma son fils chevalier et lui chaussa ses éperons d’or. La cérémonie terminée et les préliminaires du duel remplis, les deux gentilshommes allaient en venir aux mains lorsque les spectateurs qui remplissaient les tribunes se jetèrent entre eux et obtinrent qu’ils se missent à la discrétion du roi. Charles le Mauvais y consentit et ordonna que Fillot de Gramont fut enfermé au château de Saint-Jean-Pied-de-Port.
REMPARTS DE ST JEAN PIED DE PORT - DONIBANE GARAZI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Quant au seigneur de Lacarre, le roi lui donna pour prison le château de Tafalla. Il y était depuis six mois lors qu’il conçut le projet de s’évader. Il gagna quatre soldats Picards de la garnison et se rendit maître de la place, en empêchant cependant qu'on attentât à la vie du commandant.
CHÂTEAU DE TAFALLA NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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