CÉRÉMONIES ET FÊTES BASQUES EN 1905.
Les fêtes existent depuis de très nombreuses années au Pays Basque, et en particulier dans la province de Soule.
PASTORALE NAPOLEON PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal Mercure de France, le 15 mai 1905, sous la plume de
Paul Lafond, et j'ai déjà publié une première partie de cet article :
"Cérémonies et fêtes basques (suite).
..."Avant la représentation a lieu le passe-rue, c’est-à-dire une promenade de tous les acteurs à travers le bourg ou la ville avec stations obligatoires devant les maisons du maire, du curé et des autres autorités de l’endroit. La marche en est immuable, réglée de temps immémorial, et rien ne peut en changer l’ordre établi.
D’abord s’avance un jeune homme portant un drapeau tricolore, puis les musiciens, les principaux personnages de la pièce, Abraham, saint Jean-Baptiste ou Napoléon à cheval, à mulet ou à âne, portant souvent en croupe saint Michel, la Vierge ou un ange gardien aux longues ailes pendant sur le dos ; les diables marchent à la queue du cortège avec beaucoup moins d’ordre et de dignité. Ils donnent un autre témoignage de leur malignité en essayant d’escalader la scène avec leurs montures, s’ils en ont, tandis que les saints et les héros ont déjà quitté leurs selles pour monter à leurs places. Tous les acteurs disparaissent promptement de l’estrade et sont remplacés par deux personnages dont le premier présente au public les compliments de la troupe et récite, en vers, l’argument du drame dont chaque strophe se dit à un endroit différent, tandis que le second, qui n’est autre que le porte-drapeau du passe-rue, le suit pas à pas en secouant frénétiquement les trois couleurs au-dessus de sa tête.
Enfin la représentation commence. Les personnages vertueux du mystère ou du drame, arrivant par l'escalier de droite, s’avancent lentement sur les planches et débitent leur rôle d’une voix grave et monotone, couverte à chaque instant par les cris et les glapissements des diables montés par l’escalier de gauche, qui les entourent, et dansent devant eux sur l’air de J'ai du bon tabac dans ma tabatière — Marie trempe ton pain — Bon voyage, monsieur Dumollet ou de quelque autre refrain aussi vulgaire.
Il est remarquer que lorsqu’un personnage est condamné à périr son juge est fatalement un démon, à moins que ce ne soit le Très Haut lui-même qui accomplit alors un acte de justice. La mort est toujours donnée à l’aide d’une arme à feu, et les factionnaires qui se trouvent sur le théâtre sont chargés de cette besogne ; mais ils ne remplissent jamais leur mission avant que des jeunes filles n’aient tendu un drap sur les planches pour éviter que la victime ne salisse ses beaux habits en tombant. Alors seulement ils braquent leur fusil sur le condamné et l’abattent avec force détonations — le bruit de la poudre ravit les hommes et fait gentiment frissonner les femmes. — Ils enveloppent ensuite le cadavre dans le drap, comme dans un suaire, le prennent par les pieds et le traînent vers le fond de la scène où il ressuscite aussitôt pour s’en aller tout tranquillement.
La pièce se poursuit et s’achève sans interruption, et, bien qu’elle dure plusieurs heures, l’intérêt ne semble pas languir pour les spectateurs, qui ne paraissent jamais fatigués.
A la fin, l’acteur qui a récité l’argument revient tirer la moralité du drame, en déduire les conséquences ; mais cette fois, tous ceux qui ont participé à l’action sont rangés à ses côtés, Puis, avant de se retirer, car il n’est pas question de rideau à baisser, il salue respectueusement le public en le remerciant de l’attention qu’il a bien voulu prêter à la représentation. Mais tout n’est pas absolument terminé. Le théâtre va devenir un champ clos où les jeunes gens montreront leur grâce et leur agilité en dansant les fameux mutchikoak ou Saut Basque qui s’exécute de deux manières : dans l’une, le danseur tient au-dessus de sa tête deux makilas que, tout en sautant, il entrechoque en mesure ; dans l’autre, il passe rapidement les pieds dans les espaces compris entre les deux bâtons posés en croix, à terre.
Cette danse permet de faire face à une partie au moins des débours occasionnés par l’établissement de l’estrade et la confection des costumes, car un des acteurs met aux enchères le droit de monter le premier sur les planches. Les concurrents sont nombreux et empressés ; les offres atteignent rapidement cinquante et même parfois cent francs. Le second et le troisième mutchikoak sont également l’occasion d’enchères, mais sont adjugés à des prix moins élevés ; enfin, danse qui veut.
La troupe a encore une autre source de profits ; pendant la représentation, d’accortes jeunes filles circulent dans les rangs des spectateurs en leur offrant de l’eau sucrée et du vin plus ou moins baptisé, suivies de garçons de 15 à 18 ans portant des plateaux destinés à recueillir les offrandes que l’on y dépose. Pour inciter le public à la générosité, au milieu de ces plateaux se trouve d’ordinaire une pomme dans laquelle des pièces d’or ont été ostensiblement plantées.
Des représentations théâtrales, passons aux mascarades. Ce sont des espèces de cavalcades particulières à la Soule, organisées à l’époque du carnaval par les jeunes gens d’un village qui, le dimanche, le lundi ou le mardi gras, costumés et travestis, se rendent en troupe dans la commune voisine. Ils arrivent sans encombre jusqu’aux premières maisons du bourg, où les habitants, hommes, femmes et enfants, prévenus par des gamins envoyés aux renseignements, se sont réunis armés les uns de bâtons, les autres de balais pour s’opposer à cette invasion, ainsi que l’ordonne la coutume. Mais les assaillants finissent par trouer le mur vivant de leurs adversaires après quelques escarmouches peu sérieuses, car la tradition veut qu’ils aient le dessus et qu’ils fassent leur entrée triomphale dans le village.
En tête viennent plusieurs tambourinaires frappant à l’aide d’une longue baguette sur un tambourin, ou plutôt sur un tympanon à six cordes,et jouant en même temps d’une flûte à trois trous aux sons aigres et criards; le Cherrero, sorte d’ordonnateur de la cavalcade, s’avance ensuite : coiffé du béret national, portant une petite veste, une ceinture agrémentée de grelots et de clochettes retentissantes, un pantalon blanc et des espadrilles ; il agite sans trêve un long bâton garni à son extrémité d’une crinière de cheval pour écarter la foule; après lui vient le Gatia—le chat—costumé de blanc de la tête aux pieds, dont l’occupation consiste à faire des niches et des grimaces à tout le monde ; ensuite l'Artzaina — le berger — une pesante hache sur l’épaule, conduisant un petit trou peau d’agneaux que suit l'Hartza — l’ours — dans l’intention de les dévorer. Voici maintenant le coryphée de la cérémonie, le Zamalgaïn ou Chibalet, avec une haute coiffure surchargée de verroterie et de perles fausses d’où s’échappent des flots de rubans s’éparpillant sur son dos et sur sa poitrine, une veste rouge sur les épaules, le torse engagé dans un corps de cheval ailé en carton ou en osier, sans pattes, avec une housse rouge cachant les jambes du pseudo-cavalier. Celui-ci lient les rênes de sa singulière monture de la main gauche, et, de la main droite, un fouet qu’d ne cesse de faire bruyamment claquer; ses pieds sont toujours en mouvement sous la draperie de son coursier, il saute, danse, caracole, tourbillonne tantôt d’un côté, tantôt d’un autre : on le voit partout à la fois. Derrière ce centaure, pirouettent et gambadent, au nombre de douze, une légère baguette enrubannée à la main, les Kukulleroak, habillés des mêmes couleurs que le Zamalgaïn dont ils forment la garde d’honneur. Us sont suivis des Manicholak—maréchaux ferrants — la mission de ceux-ci consiste à referrer de temps en temps le cheval du Zamalgaïn, dont les fers ne peuvent incontestablement résister à ses bonds désordonnés ; ils portent le bonnet rouge catalan penché sur l’oreille, une veste de même couleur, un pantalon blanc que recouvre un grand tablier à poche en cuir jaune et tiennent dans les mains les tenailles et le marteau, attributs de leur profession ; ensuite ce sont les Kerestouak — les hongreurs — une large cravate autour du cou, en veste de velours vert et en culottes de même étoffe disparaissant dans de hautes bottes. C’est ensuite le tour du seigneur du pays, le Jaona, et de sa femme, l'Anderia ; ils marchent en se donnant le bras, pleins de dignité, l’homme coiffé d’un chapeau de soie haut de forme, vêtu d’une redingote, l’épée au côté, une canne à pomme d’or dans la main droite ; la femme habillée des défroques d’une châtelaine du voisinage. Ce couple est immédiatement suivi de celui du Laboraria et de la Laborarisa — le paysan et la paysanne ; — le Laboraria tenant d’une main son makila et de l’autre le drapeau tricolore.
A la suite de cette longue théorie, qui forme la partie noble de la cavalcade, court une seconde troupe qui n’en est pour ainsi dire que la caricature. Elle s’ouvre par un nouveau Zamalgaïn, noir, laid, repoussant, parodiste du premier ; puis derrière lui se presse toute une tribu échappée d’une cour des miracles du Moyen-Age ressuscitée pour la circonstance : deux minables Charrot-Chak — gagne-petit — avec leur meule ébréchée montée sur deux roues à bout de service ; trois Kaouterak — chaudronniers — conduisant leur apocalyptique bourricot pelé succombant sous une charge de vieux chaudrons troués et bossués ; le Bouhame-Joan — le roi des bohémiens — suivi de ses sujets des deux sexes, calamiteux et dépenaillés, les hommes, maquignons capables de faire caracoler Rossinante, les femmes, détentrices de philtres et de recettes secrètes, diseuses de bonne aventure, tireuses de cartes : tous prêts à tout, spécialement aux besognes louches, aux mauvais coups.
CHAR DES BOHEMIENS TARDETS PAYS BASQUE D'ANTAN |
Enfin la cavalcade est fermée par un médecin qui veut guérir les gens bien portants, par un apothicaire offrant ses drogues, ses pilules composées de mie de pain, ses flacons remplis d’eau claire, et par un barbier qui prétend raser tout le monde avec un formidable rasoir de bois.
En traversant le village, le cortège s’arrête un instant devant les demeures des autorités et leur présente ses hommages intéressés qui lui valent force rasades et même maintes pièces blanches. Mais ces stations se font sans que pour cela la danse s’interrompe, chacun exécute alors sur place ses évolutions et entrechats.
La mascarade se débande alors et ses membres invitent alors les jeunes filles du village à danser avec eux ; une longue farandole s’organise aussitôt et la fête prend alors une autre forme.
Au centre de la place, que le Cherrero a fait préalablement vider à coups de son terrible bâton à crinière de cheval, le Zamalgaïn de la troupe noble, qui n’a cependant guère cessé de pirouetter, recommence à danser, les maréchaux ferrent sa bête sans qu’il daigne s’arrêter pour si peu, ses entrechats deviennent de plus en plus rapides et plus élevés. Puis arrive le moment de la Gobalet Dantza, la danse du gobelet : autour d’un verre rempli de vin, placé à terre, le Zamalgaïn exécute un pas fort compliqué et fort difficile, réglé et convenu de temps immémorial, dont la dernière figure consiste à poser le pied gauche sur le verre sans le renverser ni lui faire perdre une goutte du liquide qu’il contient, en traçant en même temps un signe de croix dans l’air avec le pied droit ; pour finir il retombe sur ses pieds après un entrechat plus périlleux encore que les autres.
ZAMALZAIN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le Joan et l'Anderia ouvrent à leur tour une contredanse avec le Laboraria et la Laborarisa, les autres protagonistes de la mascarade, les Kheristouak, les Kaouterak, les Charrotchak entrent en mouvement, enfin tout le monde s’en mêle.
La cérémonie se termine par le fameux Mutchikoak et la fête se clôt par des festins.
Quelle est la raison et l’origine de ces mascarades ? Il est bien difficile de le dire ? Il n’est guère plus commode d’élucider la question de leur symbolisme. Ce qui semble admis, c’est qu’elles existaient déjà au XVIe siècle.
Des différents airs joués par les flûtistes avec accompagnement de tambourin pendant la marche et les arrêts du cortège, quelques-uns semblent spéciaux et particuliers à la région, mais le plus grand nombre sont de véritables pont-neufs : Au clair de la lune — il est vrai que celui-ci étant de Lulli n’est déjà plus très récent — et même, ce qui ne laisse pas d’étonner dans ce recoin des Pyrénées, le fameux Ça ira, de sinistre mémoire.
Bien entendu, comme dans les tragédies et les mystères, les rôles de femmes sont remplis dans les cavalcades souletines par de jeunes garçons travestis.
Moins bizarres que les représentations théâtrales et les mascarades, les processions de la Fête-Dieu ne manquent néanmoins ni de caractère ni de pittoresque dans le Pays Basque français.
Tout en ne différant guère dans leurs grandes lignes, leurs détails varient suivant les localités. Les plus belles et les plus curieuses sont celles qui ont lieu dans les villages les plus éloignés des centres.
Ces processions, et ce n’est pas un de leurs moindres charmes, se déroulent toujours dans un cadre admirable, soit au pied de ces collines basses qui viennent se perdre dans les flots agités de la mer de Biscaye, soit dans ces vallées couvertes de chênes puissants auxquelles servent d’horizon de grands pics altiers couronnés de neiges éternelles.
La commune, sous la direction du curé, déploie dans ces cérémonies tout le luxe et le faste dont elle est capable. Aucune dépense n’est épargnée en cette occasion.
Après la messe, le dimanche de la Fête-Dieu, à l’issue des vêpres, la procession sort de l’église et la population du village et celle des environs qui n’y figure pas se masse sur la place pour jouir du spectacle.
PARADE DE LA FÊTE DIEU PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le porte-croix ouvre la marche suivi immédiatement de sapeurs, au nombre de deux, trois ou quatre et même davantage, suivant l’importance de la paroisse, une hache sur l'épaule, la tête couverte d’un phénoménal et inénarrable bon net à poil qui fait presque complètement disparaître leur face glabre sous sa masse sombre, ceux-ci sont vêtus d'une large blouse blanche tombant presque jusque aux chevilles et ne laissant apercevoir que le bas d’un pantalon également blanc ; sur cette blouse une écharpe bleue traverse la poitrine en sautoir et forme ceinture à la taille pour finir en gros nœud bouffant sur la hanche gauche. Les hommes de la commune, jeunes et vieux, s’avancent ensuite en rangs pressés, le béret à la main, tous portent la veste courte du pays, le col de chemise boulonné sans cravate —- les Basques en ignorent l'usage — les pieds chaussés d’espadrilles ; puis ce sont des fillettes et des enfants en robes blanches, marchant deux par deux, les plus petites les bras croisés, une couronne de fleurs des champs sur la tête, les autres chargées de bannières et d’oriflammes, un long voile cachant la chevelure.
Autour de cette blanche théorie, aussi bien comme garde d’honneur que comme agents de la force publique, sont échelonnés des personnages dont le costume tient le milieu entre celui du Cherrero et du Zamalgaïn des mascarades souletines ; du premier ils montrent le pantalon blanc agrémenté de bandes de drap et de broderies, du second, la veste chamarrée de galons blancs et la haute tiare ornée de fleurs et de verroterie avec de larges rubans multicolores tombant sur les épaules ; tous tiennent à la main de longues hallebardes enrubannées.
A quelques pas d’intervalle, trois hommes, costumés de même façon, marchent de front. Ce qui les distingue des précédents, c’est que celui du milieu a dans les mains une baguette flexible — signe de commandement — et que les deux autres portent deux grands drapeaux tricolores dont la hampe disparaît sous des flots de rubans ; derrière eux, les flûtistes et les tambourinaires sans lesquels une fête basque ne serait pas complète, jouent de leurs instruments ; puis vient le Suisse habillé comme dans toutes les campagnes : tunique à épaulette, pantalon blanc, épée au côté soutenue par un baudrier, tricorne ou chapeau à claque sur la tête, hallebarde à la main. Les enfants de chœur en soutane et en surplis, les chantres et les prêtres précèdent immédiatement le dais, porté par les notables du bourg, sous lequel s’avance le curé tenant l’ostensoir.
De temps en temps, le cortège s’arrête, les enfants de chœur jettent des fleurs à l’officiant, puis s’écartent pour faire place à des jeunes gens, les uns en costume de Cherrero-Zamalgaïn, les autres en béret, en veste bleue et un pantalon blanc, retenu par une ceinture rouge, portant soit de longues oriflammes aux couleurs françaises, soit des makilas ou des épées. Le rôle des premiers consiste à agiter en mesure leurs drapeaux devant l’ostensoir, celui des seconds à exécuter leur plus beau Mutchikoak ou leur plus brillant Ezpata-Dantza — danse des épées — pour la plus grande gloire de Dieu.
EZPATA DANTZA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire