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samedi 27 juillet 2019

UNE COURSE DE TAUREAUX À BAYONNE SAINT-ESPRIT EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN OCTOBRE 1855 (première partie)


UNE COURSE DE TAUREAUX À SAINT-ESPRIT EN 1855.

Saint-Esprit, quartier de Bayonne, est la plus ancienne place taurine de France.

pays basque autrefois corrida
COURSE DE TAUREAUX BAYONNE 1856
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que rapporta à ce sujet le Journal des débats politiques et littéraires, dans son édition 

du 6 octobre 1855 :



"Une course de taureaux à Saint-Esprit.




La curiosité, suivant Voltaire, est naturelle à l'homme, aux singes et aux petits chiens. Elle m'a poussé, j'en fait l'aveu, dans le cirque de Saint-Esprit, près de Bayonne, où ont eu lieu tout récemment des courses de taureaux à la mode espagnole. Ces fêtes tauromachiques ont duré trois jours Je n'ai assisté qu'aux deux dernières représentations ; elles ont suffi amplement pour m'édifier sur ce genre de spectacle que je ne connaissais encore que d'après les impressions quelque peu mythologiques de M. Alexandre Dumas ou le Voyage en Espagne de M. Théophile Gautier. J'avoue que les récits pleins de flamme de ce dernier n'étaient pas le moindre aiguillon de ma curiosité. Ils faisaient taire les quelques velléités de remords et de sentiment humain qui s'élevaient en moi contre le plaisir sanglant que j'allais prendre. 




"Il est plus sain pour l'esprit et pour le cœur, dit l'auteur de Tra-los-Montes, de voir un homme de courage tuer une bête féroce en face du ciel que d'entendre un histrion sans talent chanter un vaudeville obscène ou débiter de la littérature frelatée devant une rampe fumeuse." J'étais pour le moment de cet avis. Je passai sans m'arrêter devant l'affiche du théâtre de Bayonne : elle annonçait justement pour le soir, en guise de représentation extraordinaire, un vieux mélodrame de la littérature frelatée, les Incendiaires, je crois, de feu Victor Ducange, et probablement, me disais-je, une de ces pièces imbéciles, bien bourrées de crimes et de mystères, où le crime est toujours puni à la fin et la vertu récompensée, ce qui est une dernière invraisemblance ajoutée à un tissu d'autres, et de plus une immoralité. Car à quoi bon le ciel si la vertu obtient tôt ou tard ses couronnes dans ce bas monde ? Voulez-vous être vrai et moral, ami poète ? montrez seulement la vertu aimable et belle comme elle l'est, non utile et récompensée. La vertu n'est pas un mât de cocagne chargé de prix ou une entreprise fructueuse et assurée moyennant quoi les gens vertueux seraient tout au plus d'intelligents actionnaires attendant tôt ou tard un beau dividende en échange de leurs bonnes actions. Je me promis bien, de ne pas aller au mélodrame, et je poursuivais mes réflexions plus ou moins philosophiques sur ce genre de littérature tout en suivant la foule qui se portait dans une affluence extraordinaire au champ de foire. Là s'élevait le cirque. Tout autour des baraques de toute espèce, chiens et singes savants, magie blanche, hercules du Nord et du Midi essayaient d'attirer les badauds en attendant l'ouverture des courses. Je fus insensible à ces séductions comme à celles du mélodrame. A peine jetai-je un regard sur une affiche monstre qui promettait un combat d'ours et où (par parenthèse) je lus une assez singulière suscription. On connaît la devise du théâtre de M. Comte à Paris : 


Par les mœurs, le bon goût, modestement il brille, 

certes, modestement !

Et sans danger la mère y conduira sa fille. 



Ici l'épigraphe s'adressait à la cléricature : 

"Les ecclésiastiques, disait l'affiche du combat d'ours, pourront assister à ce spectacle curieux, intéressant et moral." 


En Espagne, il est défendu aux ecclésiastiques d'assister aux courses de taureaux, quoiqu'à vrai dire cette défense ne soit pas toujours religieusement observée. Voilà sans doute le motif de cette invitation particulière adressée ici au clergé par quelque saltimbanque transpyrénéen lui offrant des ours en dédommagement des taureaux. 



J'entrai dans le cirque.



C'était une simple baraque construite pour les besoins de la circonstance, en charpente grossière, à la façon des plaza de toros, qu'on trouve dans les petites villes de l'Espagne. C'est d'ailleurs une chose très simple qu'une plaza de toros. Qu'on se représente un amphithéâtre circulaire plus ou moins spacieux (celui-ci était d'un tiers environ plus vaste que nos cirques de Paris) : au centre l'arène, bordée d'une forte cloison d'environ deux mètres, avec un rebord où les toreros posent le pied pour sauter par-dessus quand ils sont trop vivement pressés par le taureau. De l'autre côté de cette cloison, une deuxième plus élevée. A partir de cette deuxième barrière s'étagent des gradins découverts terminés par un rang de loges et de galeries couvertes dans la partie la plus élevée de l'amphithéâtre. Plusieurs milliers de spectateurs s'étaient déjà partagé toutes les places. J'en trouvai pourtant encore une à l'ombre sur un des gradins découverts en face môme des portes du toril, où sont renfermés les taureaux, et d'où ils sont lancés dans l'arène. La foule présentait un coup d'œil des plus animés, assise et debout, ondulant sur les gradins comme les vagues de la mer, et s'agitant avec impatience. Aux Bayonnais et à la population espagnole de Bayonne s'étaient joints des habitants d'lrun, de Saint-Sébastien, qui avaient passé la frontière, chassés par le choléra et appelés par les taureaux. Biarritz avait fourni son contingent ; les eaux des Pyrénées avaient prêté leurs convalescents, le chemin de fer de Bordeaux avait apporté du monde ; il en était venu de Toulouse, de près et de loin ; le Parisien coudoyait le Basque ; à côté des senoras en mantille et sans chapeau, on pouvait voir des Françaises à la mode, le chapeau sur le cou, du monde de toutes les classes, des hommes, des femmes, des jeunes filles et des enfants, ou plutôt "ni hommes, ni femmes", tous Espagnols pour le moment, avides d'assister à ce spectacle inconnu en France et si populaire au delà des monts : une course de taureaux. 



pays basque autrefois corrida
CORRIDA BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Depuis longtemps ,il est vrai, les départements du midi de la France ont emprunté à la Péninsule des jeux plus ou moins tauromachiques. Le moindre bourg des Landes possède une place commune entourée de barrières et de torils où l'on combat des vaches et de jeunes taureaux. Mais les animaux sont retenus par une corde ; ni la pique, ni l'épée, ni le poignard ne figurent dans ces courses. Les lutteurs se bornent à des écarts gymnastiques. Le tout a lieu sans danger et sans effusion de sang. 




Une première course fut donnée par une cuadrilla espagnole à Saint-Esprit en 1853. Les bandérillos y firent merveille, ils plantèrent avec grâce leurs petits bâtons terminés en hameçon dans le cou des taureaux ; les capeadores firent des passes charmantes, et le matador, ou plutôt l'espada, c'est son vrai nom, leur plongea, pour finir, son épée dans la nuque. Mais il manquait encore à ces courses les picadores à cheval et la lance au poing. En 1833, pour la première fois, sur cette même place de Saint-Esprit, un des plus célèbres torreros de l'Espagne, Cucharès, donna des représentations qui durèrent trois jours, avec toute la pompe, tout l'appareil et tous les détails d'une corrida espagnole. Vingt-quatre taureaux furent immolés dans les trois journées.

corrida matador espagne
CUCHARES (PERE)



Les courses de cette année devaient surpasser encore en éclat les précédentes. Deux cuadrillas d'élite, disait le programme, l'une sous la direction du très fameux espada Julian Casas, plus connu généralement sous le nom de el Salamanquino, ayant pour second Antonio Sanchez, dit el Tato, l'élève de prédilection du fameux Cucharès, et déjà le rival de son maître ; la seconde cuadrilla, composée, s'il vous plaît, de faibles femmes, sous la direction de la non moins fameuse primera espada du cirque de Madrid, Martina Garcia, devaient combattre des taureaux formidables choisis dans les meilleurs ganaderias d'Aléas, d'Hernan, de Gonzalès, de Colmenar-Viejo. Pendez-vous, monsieur Théophile Gautier, vous n'y étiez pas. 


corrida matador
EL SALAMANQUINO


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EL TATO

En attendant la représentation, j'interrogeais à côté de moi un amateur, un aficionado, comme on dit dans le vocabulaire du sport tauromachique. Son teint d'olive, ses prunelles noires comme du charbon et son accent guttural trahissaient un Espagnol. Il me dit qu'il était employé à la municipalité de Bayonne ; mais je pus juger qu'il était, comme l'hidalgo du Chapeau d'un horloger, médiocrement naturalisé, à l'enthousiasme extraordinaire avec lequel il s'exprimait sur l'art des Costillarès et des Romero ; il était fort inquiet du succès des courses dont on allait faire cette fois l'épreuve décisive sur le sol français ; il s'offrit de m'expliquer pendant le spectacle, pour m'y faire prendre plus d'intérêt, le mérite des différentes passes, et il commençait sur-le-champ mon instruction en m'initiant officieusement aux principales règles qui forment le code de la tauromachie, et en me faisant la biographie des chefs de la corrida. J'appris de lui que el Salamanquino appartenait à une très bonne famille des environs de Salamanque ; qu'il avait fait des études médicales ; qu'il avait ensuite, malgré les larmes de sa mère, abandonné la Faculté pour les arènes, où l'entraînait une vocation invincible. Ses débuts avaient été difficiles. Mais il était aujourd'hui premier espada à Madrid et populaire dans toute l'Espagne. Quant à son second, el Tato, c'était un tout jeune homme de vingt ans à peine, d'une audace sans égale. La veille il avait fait merveille ; "le plus brillant avenir lui était réservé", ajoutait mon interlocuteur. Il me parlait encore, quand des fanfares annoncèrent l'heure du combat.




Un jeune homme revêtu d'un pourpoint noir du moyen-âge entra d'abord à cheval dans le cirque pour remplir le rôle dévolu en Espagne à l'alguacil ; il vint s'incliner devant la tribune réservée aux autorités de Saint-Esprit et de Bayonne qui présidaient la course et demanda la permission d'introduire la cuadrilla. Il disparut et revint bientôt en tête du cortège, qui s'avança en saluant devant la loge présidentielle. Cette entrée fît un fort bel effet. Les deux espada marchaient fièrement en tête. El Salamanquino, le plus âgé, avait tout à fait bon air pour un étudiant de vingtième année, et el Tato, avec sa taille mince et sa physionomie juvénile, ressemblait plus à un jeune Figaro qu'à un athlète. Leur costume était éblouissant : ils portaient une veste courte de couleur éclatante, chargée de passementerie et de broderies d'or et d'argent, un gilet brodé comme la veste, une culotte chamarrée, des bas de soie et des escarpins de satin. Une écharpe à la ceinture, une toque de velours sur la tète et derrière la nuque, une touffe de cheveux disposés coquettement en chignon, orné d'un nœud de ruban noir, complétaient ce riche et pittoresque ajustement. Après les deux matadors venaient les sobra saliente, matadors suppléants, les picadores à cheval, puis les chulos ou capeadores suivis des banderilleros, très richement équipés, et formant un brillant cortège. Ils marchaient comme des gladiateurs, d'un pas superbe et tranquille. Ils saluèrent le peuple-roi et allèrent occuper dans l'arène leur poste respectif. 



corrida pays basque autrefois
PICADOR CORRIDA BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Ici l'alguazil français s'inclina de nouveau devant l'autorité pour demander la clef du toril et la permission d'ouvrir le combat. En Espagne, le président lui jette cette clef attachée à un grand nœud de rubans. L'alguazil doit la saisir avant qu'elle ne touche à terre et la donner ensuite à un gardien de service, qui va ouvrir la porte du toril. Je crois que ce manège eut lieu, mais je ne saurais l'affirmer ; j'avais les yeux attachés sur la loge du taureau placée en face de moi. La porte en est encore fermée ; mais tout à coup les deux battants s'ouvrent à la fois, et un énorme taureau noir, superbement encorné, s'élance furieux jusqu'au milieu de l'arène. Ce nouveau venu ne salue pas. Il avise à sa gauche les deux picadors à cheval, et se précipite sans délibérer sur le plus rapproché. Le picador le reçoit sur le bout de sa lance, et le taureau se retire en rugissant, il revient à la charge : il est encore une fois repoussé, mais il a froissé de sa corne le poitrail du cheval et la jambe du cavalier. La vara corta ! la pique plus courte ! s'exclament avec une animation indicible des amateurs qui trouvent que le picador en prend trop à son aise, et qu'en tenant sa lance à distance du corps, il se donne trop l'avantage sur le taureau. Cependant l'animal fond sans s'arrêter sur le second picador à qui sa lance, mieux tenue probablement, vient trop tard en aide. Le taureau enfonce sa corne tout entière dans le ventre du cheval, qui se dresse en frémissant. Le picador tombe désarçonné. Bravo toro ! Bravo le taureau ! tel est le cri qui retentit, répété çà et là dans l'amphithéâtre au moment où l'on peut croire que c'en est fait du picador et que c'est sur lui que le taureau va tourner sa rage. Mais les chulos sont accourus à son secours ; ils agitent leurs manteaux éclatants devant la bête irritée et l'attirent dans un autre endroit de l'arène, où elle s'arrête. Alors, spectacle horrible ! le picador remonte sur le cheval éventré, blessé à mort, et pousse au taureau. Le cheval refuse d'avancer, il chancelle sur ses jambes toutes baignées de sang. Le picador lui enfonce dans les flancs un éperon long de plusieurs pouces aiguisé comme un poignard. Le pauvre animal fait quelques pas en haletant pendant que de sa large blessure ses entrailles s'échappent et que ses boyaux lui battent les jambes. Il se traîne ainsi jusqu'à ce qu'il tombe pour ne plus se relever. Une fanfare sonne : c'est la seconde phase de la course qui commence. Les banderilleros succèdent alors aux picadors ; ils s'élancent plusieurs, armés chacun d'une paire de flèches enrubannées, provoquant le taureau, et tandis qu'il fond sur eux, ils lui clouent dans l'épaule leurs deux banderillas. Il leur faut, pour exécuter cette passe, engager leurs bras entre les deux cornes. Le moment est critique ; un mouvement mal calculé, une seconde de retard, le banderillero est perdu. Quand il a planté ses flèches, il s'enfuit. Le taureau le poursuit bondissant et secouant avec fureur les dards qui le mordent et qui à chaque secousse entrent plus profondément dans les chairs. Une fois le banderillero courant a franchi la barrière et le taureau l'a franchie aussi ; malgré la seconde cloison qui protège les spectateurs, des cris d'effroi retentissent ; mais le banderillero saute une seconde fois la barrière et le monstre rentré après lui dans l'arène, où d'autres banderilleros détournent sa rage."

corrida antes
ALGUAZIL 1847


A suivre...







(Source : https://www.herodote.net/ et WIKIPEDIA et https://www.euskaltzaindia.eus/)




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