RONCEVAUX EN NAVARRE EN 1902.
Roncevaux a été depuis longtemps une étape importante pour tous les pèlerins sur le chemin de Saint-Jacques.
RONCEVAUX NAVARRE 1905 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que raconte La Petite Gironde, dans son édition du 25 août 1902 :
"Le journal d'un chauffeur.
Sur la route de Roncevaux.
A la Frontière. — Carabineros. — La Cadeña : Pagar! pagar!. — L'Hospitalité espagnole.
De notre envoyé spécial.
De la montagne, 22 août.
Saint-Jean-Pied-de-Port serait une perle pour le tourisme chauffeur si elle pouvait être pittoresque sans avoir des rues d'une pente que les moteurs considèrent en général comme une plaisanterie douteuse. Pour sortir de Saint-Jean et gagner la route de la frontière, il faut s’élever sur de larges pavés à une inclinaison de 13 à 11 % ; pour nous, ce fut un jeu ; la vapeur ne connaît pas d'obstacle ; mais quand tous les habitants de la rue virent notre Serpoilette démarrer en plein arrêt, ils n’en purent croire leurs yeux. Barbereau, qui connaît sa voiture, riait sous cape, content de son exploit.
AUTOMOBILE SERPOLLET 1902 |
Et, pour changer, nous continuons à gravir la montagne, par ses routes en serpentins. Le coup d'oeil est charmant de cette verdure robuste, qui semble toujours jeune et s'offre à nous ; ce qui l’est beaucoup moins, c’est le débouché dans Arnéguy, où est la douane française. Il y a là un dangereux et unique couloir, qu'il faut aborder avec une extrême circonspection.
ARNEGUY PAYS BASQUE D'ANTAN |
La douane : halte ! Nous recevons notre feuille de sortie et nous passons un tout petit pont jeté sur la Leyrie, et sur lequel est planté en son milieu la plaque bleue internationale : à gauche, France ; à droite, España. A cent mètres, sur un terrible raidillon, ce sont les premiers carabineros qui nous attendent, devant une petite bicoque qui leur sert de corps de garde, et porte au fronton l’écusson royal d’Espagne, peint par un peintre héraldique au style primitif. La veste de toile bleu pâle haut montante, la culotte noire au large brandebourg rouge, le képi au pompon de cuivre et de forme rejetée en avant, recouvert de toile blanche ; le petit "coupe-cigare" au côté, ils ont fort bon air los carabineros.
Nous montons une centaine de mètres après avoir jeté un regard en arrière aux petites maisons blanches en paquet dans le contre-bas, et qui sont pour nous la dernière indication matérielle du pays, et nous arrivons à la Aduana Nacional. Un monsieur très bien, sanglé dans un costume bleu, casquetté de même, et copieusement galonné d'or, vient à nous : "C’est votre officier ?"demandons-nous à un carabinero qui, lui aussi, porte quelques galons d’or à sa manche (cinq). En style bref, le fils d'Ibérie répond : "administrador." Tous sont très gentils pour nous à cette douane — et s’excusent des formalités auxquelles ils nous soumettent !
DOUANE VALCARLOS NAVARRE 1903 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ici, c'est Val Carlos, le pendant d’Arnéguy en France, et le maire — pardon, l’alcalde, — qui se trouve là, et parle le français avec pureté, nous apprend des choses fort intéressantes. Ainsi, notamment, les habitants d’Ondarrola, un des quartiers d’Arnéguy, en France par conséquent, se font tous baptiser, marier religieusement et enterrer à Val Carlos, en Espagne, dont ils sont moins éloignés que d’Arnéguy. Cela parait curieux. Ce qui ne l’est pas moins dans une autre note, ce sont les appointements des carabineros. Voilà des gens qui débutent à 45 pesetas par mois, et l'homme aux cinq galons en gagne 85 avec peine ! Et il a fait cinq campagnes parmi lesquelles la guerre carliste et cette épouvantable expédition de Cuba ! L'administrateur, lui, est entré dans le service par la grande porte, mais il est obligé de se claustrer dans cette résidence, où il est déjà depuis deux ans. Ce n'est pas très, très drôle, surtout l'hiver, quand il y a des pieds de neige. Il en a pris son parti très philosophiquement : "Il le faut, me dit-il, c'est obligatoire".
ONDARROLA VALCARLOS NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
La contrebande de France en Espagne se pratique-t-elle beaucoup, vos hommes font-ils souvent des prises ?
Avec un sourire, il nous répond :
"Monsieur, il y a un douanier ; le meilleur de tous : c'est le change !"
Le mot est typique et vrai.
Mais il faut repartir, car il se fait tard. Nous échangeons saluts et poignées de mains, nous quittant les meilleurs amis du monde. Nous traversons Val Carlos, qui s’est acquis un renom fameux par sa procession annuelle des Croix du 14 mai, et nous sommes en pleine montagne sauvage. Comme il faut rendre à l’Espagne ce qui appartient à l’Espagne, disons à sa louange que l'empierrement de ses routes, pour cette partie du moins, est aussi soigné que chez nous.
PONT SUR LA ROUTE DE RONCEVAUX PAYS BASQUE D'ANTAN |
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