LE VIN D'IROULEGUY EN 1932.
Le vin d'Irouleguy est connu depuis l'Antiquité par les Romains, puis par les moines de l'Abbaye de Roncevaux.
IROULEGUY PAYS BASQUE D'ANTAN |
Un document de 1397 décrit le vignoble du Vicomte d'Etxeberri d'Irouleguy, dont le vin était
renommé et apprécié des notables Bayonnais.
Voici ce que rapporta La Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays Basque, dans plusieurs
éditions :
- Le 28 décembre 1932 :
"Le vin d'lrouléguy et son histoire.
— I
— Sur les nobles collines du Béarn, à Lembeye et au Vic-Bilh, — le pays du Royal-Béarn, — à Jurançon au vin si doux, à Monein, au vin plein de flamme et de chaleur, au pays d’Orthez et de Salies, les quatre taches bleues du vignoble béarnais mettent leur note claire dans la gaieté du paysage.
En bordure de l’Océan, le Pays basque est un verdoyant pays bocager, où le pommier laisse tomber dans l’herbe fraîche ses fruits à la peau veloutée : le cidre — la "pomade", ou jus de la pomme — était au moyen âge, autrement répandu que de nos jours. Le Guipuzcoa est encore couvert de pommiers arrondis aux multiples branches chargées de doux fruits. Les géographes prétendent que le pommier fut originaire de cette même côte cantabrique ; quant aux linguistes, ils ont un argument à leur disposition qui conclut à l’invention du cidre par les Basques et non par les Normands.
Entre autres travaux pour élucider ce point, je n’ai point ici les savants ouvrages de MM. de Félice et Sion sur la Normandie.
Mais ce que je sais bien, en revanche, c’est qu’il est un coin privilégié de l’Eskual-Herria, où le jus de la treille donne un cru désormais célèbre, et qui s’incorpore au patrimoine basque. A Saint-Jean-le-Vieux, dans les villages du bassin de Saint-Jean-Pied-de-Port, tout semé de vie humaine, à Ascain également, la noble culture de la vigne mélange ses rangs de fil de fer aux fougeraies voisines ou aux longues tiges fibreuses des maïs.
Mais c’est Irouléguy, — et à Irouléguy, le coteau de Paregabé, — qui donne le vin le plus réputé du Pays basque tout entier. Vin plein de force et de vigueur à l’image de la race, rubis étincelant à travers le verre sombre de la bouteille qui recèle le liquide généreux, colline aux sucs mystérieux de notre Navarre, c’est tout cela qui s’entrevoit ce soir sur la table où nous choquons nos verres : la vieille église d'lrouléguy, — la rustique pyramide d’ardoises, — la mer régulière des pieds de vigne qui l’entourent, au second plan, les montagnes basques prochaines, je retrouve le paysage bien connu dans l’artistique étiquette du Paregabia qui se rehausse en rouges lettres de feu du quatrain euskarien créé par l’un de nos meilleurs improvisateurs basques : "Haritz-mihulak berde adarra — Eliza hunek Jaingo indarra — Paregabe-ko arno zaharra — Irouléguy-ko fama dakharra. Chênes et gui au vert feuillage — de Paregabé le vin vieux — Vieille église la force de Dieu — d’Irouléguy vante le visage."
Le site explique d'abord la merveille : de Saint-Etienne-de-Baïgorry à Saint-Jean-Pied-de-Port, une large dépression s’étend, au sol fertile de graviers et de limon ; hautes de près de mille mètres, les montagnes arrondies se recouvrent de vastes champs de fougères ; à leur pied, une première crête s’orne de quelques bosquets. Mais l’abri de la dépression ensoleillée attire à l’envi les villages et la vie humaine ; les maisons blanches jettent leur note gaie parmi les champs qui se multiplient à perte de vue. Sur le doux coteau qui entoure une humble et tranquille église, la vigne apparaît en rangs serrés ; cette église, c’est celle d’Irouléguy ; ce coteau, c’est celui de Parégabé : nous voici à l’un des en droits d’élection de la terre basque : ce vieux et généreux terroir, ces rayons du soleil de la Basse-Navarre, ces cépages renommés, ces soins minutieux et multiples, il a fallu tout cela pour former le rouge liquide dont la célébrité n’est plus à faire.
Non pas que le cru d'lrouléguy ne comporte point d’exquis vins blancs; mais ce sont ses vins rouges qui sont les plus réputés : à tort ou à raison ? Simple affaire de goût. Mais c’est bien le vin rouge d’Irouléguy qui emporte avec lui les sucs vigoureux de la terre navarraise, qui embaume de son fumet la fougeraie voisine, ou dont le riche et chatoyant coloris met dans les verres un peu de cette incomparable teinte violette qui rehausse le crépuscule des montagnes basques en faisant à la fois le ravissement et le désespoir des peintres et des artistes."
- Le 29 décembre 1932 :
"Le vin d’Irouléguy et son histoire.
— II
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— Je me penche sur le coteau de Paregabé : les pierrailles calcaires chauffent doucement au soleil, propices aux beaux genévriers et aux buis métalliques ; des traces rougeâtres de fer et de cuivre apparaissent nombreuses, ce vin, certes, pourra supporter la comparaison avec la royale noblesse du Bourgogne, et à tous les parfums dont il est chargé.
C’est "l’Acheria", ou cabernet, qui est ici le cépage illustre, le cépage direct. Mausenc, pinot, sauvignon contribuent aussi dignement à la gloire de l’Irouléguy ; le noble liquide coloré peut se conserver douze ou quinze ans, bien davantage même : à la table familiale du maître actuel des vignes, — employons le vieux terme local, — une bouteille de 1821 fit les délices de tous en 1887. Comme dans tout notre Midi, 1893 fut une année aussi fameuse qu’abondante et chaude. Les années de 1908, 1928, 1929 comptent parmi les meilleures. Mais la vigne est une culture exigeante : quatre ans de guerre apportèrent leur trouble, lentement, ses effets fâcheux s’en vont avec les années ; le sol n’a point changé, ni le soleil de la vallée de Baïgorry : ils recréent la plante à leur image ; le vin garde sa saveur et son bouquet.
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Depuis quand ces vignobles mûrissent-ils leurs lourdes et puissantes grappes ? Vrai Basque celui-là, l'un de ceux où s’expriment une race et sur qui seulement il est loisible de juger et de définir, Gui d’Irouléguy me racontait l’histoire des vignes de son pays. Elles sont citées dans les vieux documents de la Navarre, au moyen âge ; le prieur de Siguenza, Dom Damingo Echenique y Sorbouet, dut ensuite contempler avec amour les barriques aux flancs rebondis ; les vignobles appartinrent ensuite à la famille d'Urdos, les protecteurs nés de la vallée ; l’un d’eux fut subdélégué de l’intendant au dix-huitième siècle. Le coteau de Paregabia est aujourd’hui la propriété de M. Etcheverry-Aïnchart, maire et conseiller général de la vallée de Saint-Etienne.
Je crois me rappeler que Gui d’Irouléguy a tenu à me faire goûter les crus de diverses années, ayant chacun leur bouquet propre. Fils moi-même d’un pays de vignobles, conservant de mon enfance le souvenir de quelques vieilles bouteilles d'antiques cépages antérieurs au phylloxéra et à l’invasion des plants américains, j’ai tenu à faire honneur, comme il convenait, au vin puissant des vignes d’Irouléguy : comme dans la cordiale et franche hospitalité qui m’était offerte, j’y ai reconnu avant tout cette vertu de Force dont l’Eglise a fait, je crois, une vertu cardinale. C’est un regain d’énergie qu’en souvenir durable m’a laissé le vin d’Irouléguy.
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Maintenant les coteaux dorment de leur vie ralentie de l’hiver ; mais du printemps jusqu’aux vendanges, ils vont connaître une activité fiévreuse. Comme l’on savait que j’aimais les vieilles choses non moins que le bon vin, Gui d’Irouléguy alla me chercher un vieux bail rural, la police contractée pour huit ans, à la Saint-Martin de 1846, le 11 novembre, par le vigneron Jean Narbaïts. Document curieux s’il en fût. Je voudrais l’analyser ici pour montrer à l’usage de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire locale, les conditions du travail des vignes, il y a bientôt cent ans.
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