LES POLICIERS D'HENDAYE EN 1904.
Depuis l'exil de Paul Déroulède à Saint-Sébastien en janvier 1900 et jusqu'à son retour en France en 1905, les policiers basés à Hendaye exercent une surveillance sur les personnes qui le rencontrent de l'autre côté de la frontière.
HENDAYE 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal La Libre Parole, dans son édition du 19 septembre 1904 :
"Les policiers d’Hendaye.
Nous avons souvent signalé les tracasseries auxquelles les amis de Déroulède étaient en butte à la frontière. Notre ami Noilhan vient d’en être victime à son tour. Il a saisi de son cas la Ligue pour la Défense de la liberté individuelle, par la lettre que voici :
A Monsieur Henri Coulon, avocat à la Cour, président de la Ligue pour la Défense de la liberté individuelle.
DEROULEDE A LA PRISON DE LA SANTE PARIS 1899 |
Mon cher confrère,
Vous êtes le fondateur et le président de la Ligue pour la Défense de la liberté individuelle. Cette association a donné dans une circonstance récente la mesure de son indépendance politique et de sa féconde activité.
Permettez-moi de faire à mon tour appel à son concours à propos d’un incident qui m’est personnel. Je ne le considère pas comme très grave dans ses conséquences, mais il engage une question de principe ; et à ce titre il me paraît devoir comporter une suite.
Je suis un ami personnel de Déroulède. A chacun de mes voyages dans la région du sud-ouest, je vais jusqu’à Saint-Sébastien pour lui serrer la main.
BONJOUR A DEROULEDE CARTE SATIRIQUE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Régulièrement, j’ai dû subir à mon retour en France les indiscrétions de la police d’Hendaye, mais à mon dernier voyage, les choses sont allées plus loin, et j’ai été l’objet d’une arrestation de la part du commissaire spécial de service à la gare.
Voici les faits :
J’arrivais lundi dernier à Hendaye venant de Saint-Sébastien, en compagnie de mon frère et de sa fille.
Je fus abordé dans la gare par un commissaire de police qui me posa la question suivante :
— Monsieur, n’êtes-vous pas M. Hargat ?
Je lui répondis : je ne suis pas M. Hargat.
Il ajouta : Pouvez-vous me le prouver ? A quoi je répliquai : Je n’ai pas à vous prouver quoi que ce soit. Je suis un citoyen français usant de son droit de circuler librement sur tout le territoire de la République. Si vous avez un mandat de justice contre moi, exécutez-le, nous nous expliquerons ensuite.
Alors intervint un troisième personnage qui dit au commissaire de police : "Arrêtez-moi cet homme-là !"
HÔTEL CASINO HENDAYE 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Et l’on m’arrêta, sous les yeux des miens fort inquiets, devant cinquante voyageurs, qui paraissaient se demander sur quel grand criminel les agents de la force publique avaient mis la main.
On me conduisit dans le bureau du commissaire spécial, et la conversation suivante s’engagea :
Moi. — Monsieur, pour m’arrêter, vous devez être porteur d’un mandat de justice ; veuillez me le représenter.
Le commissaire.— Parfaitement, monsieur.
Il chercha dans un monceau de papiers, tous couverts de la même écriture, et il me communiqua un soi-disant mandat d’arrêt délivré par le juge d’instruction de Briey contre un sieur Hargat né et domicilié à Metz, inculpé d’avoir escroqué, en août 1903, la somme de 156 500 francs à la succursale de la Société générale de Lille.
PONT HENDAYE 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici le signalement que j’ai relevé sur ce papier suspect :
Grand, mince. — Je suis grand, mais sans être obèse, j’ai cessé d’être mince.
Marchant les bras ballants. — Quant on m’arrêta, j’avais ma canne dans la main droite, et dans la main gauche, une fouille de papier contenant le texte d’une dépêche que je m’apprêtais à expédier.
Barbe noire. — Hélas ! la mienne grisonne fortement.
Yeux noirs. — J’ai des yeux gris.
Myope. — Je suis presbyte.
Nez grand et mince. — J’ai un nez grand, mais très gros.
Teint pâle. — J’ai le teint hâlé.
DEUX JUMEAUX HENDAYE 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je fis observer au commissaire que ce signalement ne cadrait en rien avec le mien. Il me répondit que, pour lui, il s’appliquait à ma personne et qu’il me maintenait en état d’arrestation.
J’ajoutai : "D’ailleurs, l’authenticité de ce mandat me paraît incertaine. La signature du juge d’instruction n’est pas accompagnée de son sceau, l’écriture est pareille à celle des nombreux mandats que vous avez sur votre bureau, je n’y relève aucune des indications imprimées que l'on retrouve en tête de tous les documents de ce genre, notamment celle-ci : Tribunal de première instance de... Enfin, je ne comprends pas très bien comment le juge d’instruction de Briey a pu décerner un ordre d’arrestation contre un individu né et habitant à Metz pour un délit commis à Lille !
Le commissaire, feignant alors une vive indignation, me crie : "Prenez garde à ce que vous dites et tâchez d’être poli."
FONTARRABIE ET HENDAYE 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Moi, très froidement. — "Monsieur, n’espérez pas me faire sortir de mon calme. Je connais, par profession, toute l’étendue de mes droits et aussi de mes obligations.
Ce que vous voulez, c’est connaître mon nom parce qu’un de vos agents m’a suivi et qu’il m’a vu me promenant avec Déroulède, et que ce nom vous est utile pour votre rapport au ministre de l’intérieur. J’estime que cette scène a assez duré. Je vais vous dire qui je suis et votre maître n’apprendra rien de nouveau, car je n’ai jamais caché mon affectueuse estime pour le proscrit qui a été victime de la plus odieuse machination judiciaire qui se puisse concevoir."
Le commissaire de police. — Monsieur, Je vous donne ma parole d’honneur que je ne m’occupe jamais de politique, et que si vous n’êtes pas Hargat, je suis prêt à vous faire des excuses.
Moi. — Gardez votre parole d’honneur et vos excuses. Chaque jour des citoyens sont ici-même molestés sous le même prétexte. Je ne vous en veux pas. Vous n’êtes qu’un agent d’exécution. Les seuls coupables sont ceux qui vous donnent des ordres aussi manifestement illégaux.
CASINO HENDAYE 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je déclinai mes noms et qualités et l’on me remit en liberté. Je serais allé jusqu'au bout, si tout près de moi, de l’autre côté de la porte où se passait cette scène, deux membres de ma famille ne m’avaient attendu en proie à la plus vive inquiétude.
Sous l’Empire, mon cher confrère, les amis des proscrits pouvaient franchir la frontière, sans être inquiétés par la police. Sous l’ordre moral, les amis des communistes expatriés bénéficièrent de la même liberté ; et ce droit fut maintenu aux citoyens allant visiter Rochefort et Boulanger sur la terre d’exil.
M. Combes est moins respectueux de la liberté individuelle que ne le furent MM. de Morny, de Broglie et Constans.
ÎLE AUX FAISANS BEHOBIE 1904 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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