UNE PARTIE DE PELOTE EN 1901.
Au début du vingtième siècle, la pelote Basque est un sport qui se joue dans de nombreux pays, à la suite de l'émigration de centaines de milliers de Basques.
LIVRE LA PELOTE BASQUE DE BLAZY PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal Le Figaro, dans son édition du 7 juillet 1901 :
"Une partie de pelote basque.
Je n'ai jamais joué la pelote basque : je l'ai vu jouer à Saint-Jean-de-Luz, à Cambo, et encore dans le Guipuzcoa.
Si les amateurs de sport hardi et passionnant, si les amoureux de belles attitudes, si tous ceux pour qui la brusque détente d'un bras nerveux, le mouvement rapide et harmonieux d'un corps, la lutte ardente de volontés, de forces et d'adresses antagonistes sont des joies complètes, la connaissaient comme moi, le "fronton" de la rue Borghèse, qui verra cet après-midi, à 4 h. 1/2, la rencontre saisissante des Espagnols et des Français, serait trop étroit pour contenir leur foule.
PROGRAMME PELOTE BASQUE NEUILLY 1905 |
Une balle projetée contre un mur, et qui rebondit sur une piste dure, et qu'un joueur rattrape au vol ou après son premier bond, pour la renvoyer contre le mur, et qui sera ainsi reprise alternativement parles joueurs de camps adverses : voilà le jeu national des Basques.
En voilà du moins le bref et médiocre prospectus. Mais la beauté du vieux jeu d'Euskarie n'est point en lui-même, elle est tout entière dans l'effort d'énergie qu'il suscite, dans l'adresse, la grâce et la beauté de qui le joue : ici, le jeu ne vaut que parle joueur, et celui-là exprime si complètement pour nous l'âme euskarienne, que je m'imagine, à tort sans doute, qu'une partie de pelote basque sans Basques serait pareille à un défilé historique dont les figurants n'auraient pas leurs costumes.
JOUEUR DE PELOTE BASQUE A CHISTERA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il faut les voir, les fils orgueilleux du Labourd ou de la Soule, dans l'action du combat ! C'est à Saint-Jean-de-Luz, à Saint-Palais, à Hasparren, à Cambo, ou ailleurs encore. Les voilà, sur la piste dure, dallée ou nivelée, face à un mur qui a une douzaine de mètres de haut, quinze au moins de large, et que couronne un fronton. L'aire a la même largeur, avec une longueur de soixante à quatre-vingts mètres. A droite et à gauche, des gradins, où s'entasse une foule attentive et frémissante. Du fond du ciel immobile, tombent les nappes métalliques du soleil.
Les champions attendent le signal. Selon qu'ils jouent le blaid ou le rebot, ils sont quatre ou six, ou davantage. Mais le rebot est relégué au Guipuzcoa, et, depuis une quinzaine d'années, on pratique surtout chez nous le blaid, qui d'ailleurs n'en diffère que par des nuances. Les vieux joueurs, les triomphateurs jadis illustres du rebot s'en désolent: ils se montrent, avec orgueil et mélancolie, la traditionnelle inscription à demi effacée par le temps sur les murs de "fronton" : Debekatua da bleka haritcea. "Il est défendu de jouer au blaid".
Ils sont en tenue de tournoi : l'étroit béret bleu ramené sur les yeux, la chemise molle, le pantalon blanc, aux pieds les "aspargates" de toile-blanche nouées à la jambe comme le cothurne antique, à la taille la ceinture bleue ou rouge qui distingue les deux camps. Si c'est une partie de blaid au chistera qui les rassemble, ils ont au poing droit l'arme de bataille, une longue gouttière courbe, faite de lamelles de bois de châtaignier tressées, ce chistera qui saisit la balle au vol, l'encastre, et, faisant fronde, peut la renvoyer, avec une force prodigieuse, parfois à plus de deux cents mètres.
Et voici maintenant la pelote : un noyau de caoutchouc brut, entouré d'une couche de laine compressée et recouverte d'une peau de mouton ou de chevreau, que l'on mouille avant de la coudre afin de la tendre plus fortement. La pelote pèse 125 grammes, et c'est un instrument terrible. Projetée par le chistera, elle brise tout ce qu'elle rencontre. On cite ses méfaits : le célèbre Irun, trois fois atteint par elle et trois fois opéré ; ce "pelotari", qui, en 1895, à Saint-Sébastien, fut tué net d'une balle reçue à la tempe, sous les yeux de la reine Christine ; le propre frère de Chiquito éborgné ; son père atteint l'an dernier, à Cambo, par une balle heureusement à la fin de sa course, et qui reste un quart d'heure sans connaissance...
N'importe ! l'Euskarie est la vieille terre de courage et de passion, et, sous les pieds des joueurs de pelote, elle frémit d'allégresse et d'orgueil !... Enfin voici le signal.
Un des joueurs, à quelques mètres du mur, y projette la balle qui rebondit en arrière, est reprise, lancée de nouveau, retombe et repart, fend l'air selon des trajectoires imprévues, tantôt rasant le sol et tantôt s'élevant comme aspirée par le ciel, alternativement frappe le mur d'un bruit sec et s'engouffre comme une avalanche au fond du chistera qui craque, parfois, comme lasse et agonisante, tombe au pied du mur et se relève avec effort, et tout à coup s'élance, traverse toute la piste comme un boulet, revient et recommence, éperdue et frénétique, personne vivante et falote, qui va, vient, dans une hallucination de démence. Le chistera vole et tournoie, les bras se dressent, les muscles se gonflent, les corps rapides se précipitent, se haussent, se renversent, se courbent sur le sol, se tordent ou se détendent ; parfois les deux mains au bout des bras allongés se réunissent et, d'un élan prodigieux de tout le corps, d'un effort total des muscles, projettent la balle ; les faces congestionnées semblent des brasiers, les cous ruissellent, des flammes sortent des yeux agiles.
Dans le silence, la voix traînante et blafarde du marqueur annonce, en langue euskarienne, les fautes, inscrit chaque fois un point au bénéfice du camp adverse — lorsque la balle a dépassé le mur, ou qu'elle l'a atteint au-dessous d'une lame de fer qui y est fixée à un mètre du sol, ou qu'elle est sortie des limites du jeu, ou qu'elle a rebondi deux fois. Après un beau coup, le tonnerre des applaudissements secoue les gradins ; les partisans, qui ont engagé des paris sur leur camp préféré, l'encouragent, l'exaltent ou le semoncent : debout au bord de l'aire, trois messieurs constituent le jury.
MARQUEUR DE POINTS PELOTE BASQUE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Et quand c'est fini, lorsque l'un des camps a marqué les 70 points qui sont le terme ordinaire de la partie, alors l'enthousiasme éclate. Les acclamations montent dans l'air, les bérets volent, les mains s'agitent, la fanfare des clameurs déferle, se prolonge et se renouvelle, une frénésie d'allégresse emplit les poitrines, les vainqueurs apparaissent sur des épaules furieuses.
En applaudissant les "pelotaris", c'est eux-mêmes que ces hommes, ces femmes, ces enfants exaltent. Ils vont au "fronton" comme à un rendez-vous national ; ils y portent la même âme qui gonflait le peuple hellène au seuil du théâtre de Dionysos ; tous, fils ou pères de joueurs, joueurs eux-mêmes, revivent ou s'espèrent dans les vainqueurs présents; ils vénèrent en eux la tradition des siècles morts. Pas de bourgade, pas de village qui n'ait son fronton ; pas d'enfant qui, en s'essayant à courir, ne s'entraîne à lancer la pelote ; tout mur est propre à faire rebondir une balle ; la notoriété des bourgs est proportionnée à l'importance de leurs frontons, Cambo, Sare, Saint-Palais, Saint-Jean-de-Luz, Guétary ; on cite avec orgueil et envie ceux de Madrid et de Buenos-Ayres, l'Eskualduna de Bilbao, qui est vitrée, éclairée à la lumière électrique, et peut contenir 2 500 personnes.
On s'enorgueillit des grands joueurs. On nomme avec admiration, dans le passé, Chiquito de Eibar, qui fut le "roi de la pelote", Portal, Irun, Chilar, Arrué, Otharré, Lemoine, et ceux qui triomphèrent en Amérique : Ethulan, Goni, Elisalde, etc. Lorsque Chiquito de Cambo, que nous verrons aujourd'hui, triompha, il y a deux ans, de l'illustre Arrué, qui passait pour invincible, ce fut un beau combat : Arrué, sûr de la victoire, arriva au fronton en grand équipage, dans un break qu'escortaient ses amis ; dans la certitude du triomphe, on avait fait imprimer à l'avance des imitations de billets de banque à son effigie ; il fut vaincu, et, après deux ans, pas de foyer au pays basque où l'on ne s'entretienne encore de la rencontre mémorable et légendaire des deux intrépides champions.
CHIQUITO DE EIBAR PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il a fallu quinze années de pratique des exercices athlétiques pour que la pelote basque pénétrât à Paris, par l'initiative de jeunes hommes de là-bas, qui, habitant Paris, y ont fait construire, 26, rue Borghèse, à Neuilly, un fronton où ils s'exercent au jeu de leurs pères. La pelote basque sera vite populaire chez nous, et, si les frais d'établissement n'étaient si élevés (on a dû dépenser près de vingt mille francs rue Borghèse), je jurerais qu'avant dix ans elle serait partout pratiquée : ce n'est pas seulement les muscles qu'elle fortifie, c'est aussi le coup d'œil et la présence d'esprit qu'elle développe.
AFFICHE PARTIE PELOTE NEUILLY |
C'est précisément le célèbre Chiquito de Cambo, que les "pelotaris" de Paris ont fait venir. Fils d'un facteur des postes, Chiquito jouait à quatorze ans. Il en a vingt aujourd'hui, et sa réputation a franchi l'Atlantique. C'est l'an dernier, je crois, qu'il faisait, dans l'Amérique du Sud, où la pelote est passionnément pratiquée par les Basques, émigrés, une tournée triomphale et fructueuse. Il y a encore quinze ans, on allait là-bas jusqu'à donner trente mille francs par mois à des pelotaris en tournée ; avec la concurrence, les prix ont baissé, mais un bon joueur reçoit fréquemment encore, pour une partie, six, sept et huit cents francs.
CHIQUITO DE CAMBO AU BUT EN 1900 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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