UNE VEILLÉE DE NOËL AU PAYS BASQUE EN 1937.
La tradition de Noël, au Pays Basque, a toujours été importante, et en particulier la messe de minuit.
NOËL ROCHER VIERGE BIARRITZ - MIARRITZE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce qu'en rapporte Pierre Apesteguy, dans Le Petit Journal, dans son édition du 25
décembre 1937 :
"Minuit au Pays Basque.
J'avais promis à Salvat Harismendy d'aller passer chez lui la vallée de Noël. J'aime le commerce de mes anciens compagnons de jeu. Salvat, depuis qu'il avait pris femme, délaissait un peu trop la chistera, à mon goût, pour les besoins de sa terre. Mais ce regret personnel ne me détournait pas de ma promesse et je quittais vers les neuf heures Saint-Etienne-De-Baigorry pour me rendre à la maison de mon ami, située sur la hauteur, à flanc de montagne, vers les Aldudes.
Je trouvai chez les Harismendy nombreuse compagnie. De proches voisins s'étaient joints à la famille de mon camarade, comme ils ont accoutumé de le faire chaque année, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre. Jeunes gens, jeunes filles, parents, et valets de terre faisaient cercle dans l'entrée carrelée de rouge, vaste pièce qui tient lieu chez nous de cuisine et de salle commune. Attablés devant des verres de cidre, quelques-uns devisaient à voix calme. Mais la plupart se rapprochaient de la lueur des flammes qui consumaient des arbres entiers, dans l'immense cheminée, au fond de la salle. Mon entrée fut joyeusement saluée, et je pris place sur un escabeau, près de Salvat, après avoir secoué dehors mon pardessus couvert de neige.
Ces trois heures s'écoulèrent comme eau courante. La paisible assemblée de ce foyer, qui élargissait à ses frères de sang le sentiment de famille, donnait à l'heure présente ce réconfort du cœur à cœur et du coude à coude qui passe toujours trop vite.
NOËL 1962 1963 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Fumant pipe sur pipe, je prêtai l'oreille aux propos divers. Les femmes parlaient, comme toujours à pareille époque, de la volaille dont la ponte se ressentait des effets du froid, des herbes potagères brûlées par le gel, ou des pommes qui ne se conserveraient pas jusqu'au mois d'avril, bien que les ménagères eussent pris la précaution de les ranger bien au chaud, dans l'armoire à linge.
Les vieux discutaient chasse à la palombe on entretien des appeaux, prévoyant les réparations futures à la palombière de Lépeder, aux Aldudes, ou bien citaient en exemple les prodigieux coups de filets d'Ybar, le grand chasseur du col de Behorléguy.
LEGENDE DE NOËL BIDARRAY - BIDARRAI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les jeunes, comme il se doit, échangeaient leurs éternels propos sur la pelote basque. Tous les jeux y passaient : "yoko garbi", grand gant, rebot ou trinquet. Ils supputaient mutuellement leurs forces ou leur faiblesse. Des équipes s'organisaient. Les défis traditionnels se lançaient à voix vibrante, en telle quantité qu'il serait impossible, le moment venu, d'en réaliser la moitié.
J'écoutais ces conversations en contemplant la muraille blanche où les flammes se jouaient en des lueurs merveilleuses. L'écorce des souches éclatait en jetant des braises, comme un pétard manqué de feu d'artifice. Dans l'âtre monumental, des hommes pouvaient se tenir debout. De chaque côté, deux bancs très simples s'enfonçaient jusqu'aux briques noires de suie. Les valets de terre y prenaient le repos. Ils quittaient leurs sabots empaillés, et appliquaient leurs pieds contre les chenets. La chaleur faisait fumer leurs chausses de laine humide.
Intime décor ! Deux grosses colonnes de plâtre soutenaient le manteau de la cheminée. II était lui-même surmonté par une étagère bordée de dentelles, où des pots en cuivre, bien astiqués, luisaient comme des étoiles. Et, plus haut, les longs fusils reposaient sur des cornes de chèvres. Par terre, les chats cauteleux s'approchaient lentement de l'âtre, et venaient se rouler en boule devant la crémaillère où pendait une marmite pansue, pleine d'une eau chantante qui se vaporisait sous la caresse des flammes.
—- En route ! ordonna soudain le père Harismendy.
Minuit approchait.
Nous reprîmes tous ensemble la route de Baïgorry. La lune éclairait de façon un peu théâtrale le paysage enneigé, et pour qui connaît l'éclatante blancheur des maisons basquaises, avec leurs boiseries peintes en rouge vif, on petit dire que la clarté du sol et des murailles se mélangeait si bien que portes, auvents et balcons, semblaient suspendus par miracle au-dessus de la terre, comme dans une atmosphère de légende.
La nef de l'église de Baîgorry regorgeait de monde. Nous écoutâmes pieusement les trois messes, les deux premières basses, la dernière chantée. La tradition de foi de notre peuple est si haute que les mots sont imparfaits pour en transmettre l'esprit, le recueillement, la profondeur. L'édifiant spectacle ! Seules les femmes occupent le carreau de l'église. Les hommes, répartis sur les trois étages des galeries en chêne sculpté, entourent les murs de leur ligne noire. Tous debout, vêtus de sombre, le béret à la main, immobiles, ils écoutent. Dans le transept, le chœur des jeunes filles en mantille, le front penché sur le livre d'heures, entoure l'harmonium. Leurs voix suaves entonnent le Noël, et celle des hommes leur donne réponse, avec une impétuosité de torrent. Les vitraux en résonnait, et, lorsque le prêtre récite les litanies, comme on sent bien que l'Enfant divin vient de naître dans chaque cœur, en toute simplicité, et pourtant avec tout le faste qui lui convient !
Après l'office nous regagnâmes en chantant la maison de Salvat Harismendy. Le réveillon nous attendait. La maîtresse, pour l'occasion, avait fait fi de la classique garbure, ou des galettes de maïs, ou "méture" de chaque jour, ou presque.
Aujourd'hui, jour de fête, le repas se corse : sur la table ornée de beau linge à carreaux, voici la "piperade", avec ses tomates, ses piments cuits à l'huile, qui emportent la bouche, peut-être, mais qui s'accommode si bien à la "loquenqua", saucisse au piment rouge, ou avec la tranche de jambon grillée.
Un gâteau de froment savoureux, "bouroussou Kopila" complète les agapes arrosées, bien entendu, par le vin d'Irouleguy.
Quand l'aube approche, il n'y a qu'une porte à pousser pour donner au bétail son "réveillon" : un peu plus de foin que les autres jours. Une odeur de paille chaude se répand alors dans toute la maison, symbole du bœuf et de l'âne bibliques, qui donne aux veillées patriarcales basques une raison de plus de fêter la Noël à côté d'une étable."
HORRA HORRA GURE OLENTZERO PAYS BASQUE D'ANTAN |
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