CHARIVARI À HASPARREN EN 1950.
Le charivari est une démarche symbolique et bruyante des membres d'une communauté villageoise, une démonstration empreinte de violence morale et parfois physique visant à sanctionner des personnes ayant enfreint les valeurs morales et (ou) les traditions de cette communauté.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Qui ?, dans son édition du 22 mai 1950, sous la plume
de Léo Vergez :
"Pour venger sa tante, un jeune Basque, Louis Itchorrotz, déclenche le charivari d'Hasparren
qui tourne à la tragédie.
Bayonne (de notre correspondant particulier).
Un sucrier renversé sur un billard...
CHARIVARI HASPARREN 1950 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Avec les innombrables cubes de ses fermes au crépi blanc disséminées à flanc de pente, parmi les pâturages et les cerisiers, c’est, en plein cœur du pays basque, Hasparren. Derniers tenants de la pureté de la race des anciens Ibères, les hommes y sont bruns et beaux et les femmes sveltes et élancées. Les mœurs y sont restées saines et patriarcales. Les unions mal assorties, les fidélités mal gardées font scandale et sont fustigées sévèrement par l’opinion attentive.
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Aussi, Louis Itchorrotz, apprenti cordonnier de son état, grand et blond, ne perdait-il rien du prestige que ses yeux bleus lui donnaient sur tant de prunelles brunes, lorsqu’il parcourait le quartier Eliçaberry, recrutant des compagnons de son âge, auquel il assurait d’une voix vibrante :
— Il faut venger ma tante !
Sa tante, c’était la femme de Jean Itchorrotz, son père adoptif. De tout temps, elle avait été pour lui une seconde mère, pleine d’attentions et de délicate tendresse. Et Louis souffrait de voir que son mari n’était pas, envers elle, tel que, peut-être, il aurait dû.
Car, pour tous les habitants du quartier Eliçaberry, la liaison de Jean Itchorrotz avec Louise Aldax, la belle aubergiste, ne faisait depuis longtemps plus de doute. Il y avait des années que le paysan écourtait son travail aux champs pour être plus assidu à l’auberge. Et le dimanche, après la partie de pelote qui voyait évoluer devant le fronton les joueurs chaussés d’espadrilles, le poing ganté du "grand chistera" d’osier, l’homme aimait s’attarder à l’auberge, indéfiniment, tandis que celle qu’il courtisait, verre en main, allait d’une table à l’autre.
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— Ordâo... Imbido... Idouki ! Les termes rituels de l’antique jeu de "muss" volaient dans la fumée des cigarillos, tandis que les joueurs abattaient ces cartes où cœurs et piques sont remplacés par des aubergines ou des soleils. Jean Itchorrotz aimait cette atmosphère. Il adorait recueillir au passage un clin d’œil et un sourire de la belle aubergiste. Il aimait affirmer son intimité en quittant la place parmi les derniers. Il aimait surtout que son amie l’accompagnât, sur le chemin qui le ramenait à sa ferme, sentier encaissé, peu fréquenté, bordé d’arbustes, et propice aux étreintes furtives.
Il y avait bien un mari, mais il était de ceux dont parle La Fontaine et qui, devant l’infortune conjugale, se révèlent délibérément aveugles et sourds. Ce fut la femme de Jean Itchorrotz qui, lasse d’être tenue par la rumeur publique au courant des fredaines de »on mari, se détermina à faire un éclat.
Le jeudi 4 mai, elle s’aperçut que son mari cessait le travail de la ferme plus tôt encore que d’habitude. Elle attendit jusqu’à 7 heures du soir, puis, sûre alors de ne pas le manquer, elle se rendit à l’auberge. Là, elle se livra à toute la rancoeur d’une rage trop longtemps comprimée. Devant les joueurs et les buveurs goguenards, elle sortit à son mari, blême de dépit, "ses quatre vérités". Puis, s’en prenant à l’aubergiste elle-même, elle lui fit honte sans ménagement. Enfin, ayant tout dit, elle s’en fut, et, deux heures plus tard, dans tout Hasparren, ce ne fut plus que chuchotements et éclats de rire.
Louis Itchorrotz fut des premiers informés de cette algarade. Entre son père et sa mère adoptifs, son cœur eut vite fait son choix. Et c’est pour cela qu’au soir de l’incident, événement d’importance dans un village aussi tranquille, il allait de ferme en ferme, chapitrant ses amis et connaissances, et leur répétant, d’un ton pénétré :
— Il faut venger ma tante !
Oui, mais comment ? On pensa tout de suite au classique "charivari", dont la tradition remonte au moyen âge. Mais avec des gens aussi chatouilleux sur le point d’honneur que les Basques, qui sont bien les plus sensibles, avec les Corses, il faut prendre garde à peser la plaisanterie. C’est ainsi que les deux derniers charivaris dont Hasparren avait conservé la mémoire, en 1919 et en 1922, s’étaient terminés par mort d’homme. Ces déplorables exemples avaient fait tomber le vieil usage en désuétude.
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