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vendredi 13 novembre 2020

VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND AU PAYS BASQUE (deuxième partie)

 

VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND.


Paul Faure a été l'ami et le confident d'Edmond Rostand pendant de très nombreuses années.



pays basque autrefois cambo rostand faure
LE PEINTRE PASCAU, FAURE ET ROSTAND ET MADAME ROSTAND  EN 1902
PAYS BASQUE D'ANTAN
COLLECTION MUSEE BASQUE BAYONNE


Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Les Annales politiques et littéraires, sous la plume de 

Paul Faure, dans son édition du 1er septembre 1927 :



"Arnaga, chef-d'oeuvre de Rostand. — Dessins, Croquis, Maquettes. — Premiers Travaux. —

Henry Bauer et Coquelin. — Départ  pour Paris. — Les Camelots et le discours. — 

Triomphale réception à l'Académie française. — Les années d'enfance contées par la mère de Rostand.



...1902.



Rostand veut commencer au plus tôt le plan de sa maison. Il fait venir de Bayonne papier, crayons, fusains, pastels, boîtes de couleur, tout ce qu'il faut pour dessiner et pour peindre. Quand le commissionnaire apporte l'énorme paquet bourré de ce matériel, il l'accueille avec la joie d'un enfant recevant un jouet.



Le dîner, ce soir, a été expédié en un clin d'oeil. A peine le dessert avalé, le couvert enlevé, les enfants couchés, Rostand étale sur la table son attirail d'architecte. La tête penchée à droite, l'oeil au ras du papier, il crayonne, lave, efface, recommence, retouche, s'applique comme un miniaturiste, trace chaque trait, n'omet aucun détail. La maison basque, telle qu'il la conçoit dans le premier jet de son imagination, s'étale, se précise peu à peu sur la feuille blanche, avec son grand toit qui la couvre comme d'une aile, avec ses balcons, ses volets de bois massif, sa loggia d'angle, sa terrasse, ses marches rondes. Mais à chaque coup de crayon, à chaque coup de pinceau, que d'hésitations ! Ce sont les premières. Combien Rostand en aura-t-il avant d'avoir terminé Arnaga !



Ces soirées sont parmi les meilleures de celles que j'ai passées avec Rostand. Sitôt le dîner fini, Rostand se met à la besogne. Quand il a bien vu sa maison, qu'il l'a plusieurs fois dessinée, il en fait de petites maquettes, qui sont des chefs-d'oeuvre de patience. Il les bâtit avec du carton qu'il taille, rogne, colle. Des papiers de soie font les vitres de fenêtres ; des allumettes, les piliers et les pans de bois. Il découpe les portes dans des couvercles de boîtes à cigares, fait les tuiles avec de minuscules morceaux de laine. Tout cela, fignolé avec une adresse, une minutie d'artiste japonais. Bientôt, un Arnaga en miniature, auquel rien ne manque, exact comme un jouet de Nuremberg, se dresse parmi les papiers et les pinceaux. Chaque soir, jusqu'à plus de minuit, Rostand dessine, peint, colle. Et des tas d'Arnaga, sans cesse modifiés, perfectionnés, sortent de ses mains patientes.



pays basque autrefois cambo
ARNAGA CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN




Mais un architecte était nécessaire. C'est alors que M. Eugène Rostand conseilla à son fils Albert Tournaire, à qui venait d'être confiée la tâche délicate d'agrandir le Palais de Justice de Paris.



A peine Tournaire est-il débarqué à Etchegorria, Rostand s'enferme avec lui... Penchés sur les maquettes et les plans, tous deux travaillent, ébauchent, discutent. Puis, Tournaire se met à parcourir le pays en tous sens, pour se documenter sur l'architecture basque, à la recherche de tout ce que les vieilles maisons pouvaient offrir d'intéressant comme ensemble et comme détails. Il revient, chaque jour, avec une moisson de photographies, de croquis, dans lesquels Rostand se plonge avec frénésie. Le côté pittoresque, le caractère, Tournaire sait en retenir l'essentiel ; il se l'assimile au point de réaliser, sans faire de fautes contre la couleur locale, les conceptions de Rostand, où débordent les fantaisies somptueuses d'une imagination de poète.



pays basque autrefois rostand
ETCHEGORIA CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN




Edifier un palais derrière une façade de simple maison basque n'était pas chose facile. Tournaire y réussit pourtant. Et à certaines parties de la maison, le vestibule par exemple, il sut donner, par la simple combinaison des lignes, une harmonie et des formes caractéristiques du chef-d'oeuvre.



Tournaire quitta Cambo, ses cartons bourrés de plans et de dessins. Et alors commença, entre lui et Rostand, une énorme correspondance qui se poursuivit jusqu'à l'achèvement d'Arnaga, un échange presque quotidien de notes, d'observations, d'idées. Souvent, Rostand s'exprimait par un croquis, que Tournaire mettait au point. Ou il entrait dans des explications détaillées sur la courbe que devait avoir telle voûte, la façon dont devait être bombé tel grillage de fenêtre ou s'arrondir le petit escalier de la terrasse. Tournaire envoyait des croquis, de ces beaux croquis d'architecte sur papier huilé. Il était rare que Rostand ne les retournât pas zébrés de remarques, de retouches.


pays basque autrefois architecte arnaga
ARCHITECTE ALFRED TOURNAIRE





On a dit qu'Arnaga avait fait perdre beaucoup de temps à Rostand. Il est évident qu'Arnaga l'absorbait jusqu'à le distraire. Il le disait lui-même. Quelquefois, quand il dessinait, combinait, faisait des plans, brusquement, il se levait en jetant son crayon.


— Voilà une heure que je suis là ! s'écriait-il. Quelle folie !



Tout de même, non, pas "quelle folie" ! Car si Rostand a pu regretter le temps consacré à sa maison, il a pu se dire aussi qu'Arnaga avait été son plus grand amusement, son seul amusement par le fait ; car lui, qui se lassait vite de tout, ne se sera jamais lassé d'Arnaga. Arnaga l'aura amusé jusqu'à la fin de sa vie.



Mais il fut comme tous les grands bâtisseurs : sa maison l'amusa surtout pendant qu'il l'édifiait ; son plaisir à l'habiter fut moindre que son plaisir à la construire. Heureusement qu'Arnaga ne fut jamais terminé, du moins pour lui. Son imagination y ajoutait continuellement des beautés.



pays basque autrefois rostand
VILLA ARNAGA CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN


Le plan fut vite arrêté dans ses grandes lignes. Extérieurement, la maison serait de style basque : toit aux deux versants inégaux ; façades enduites de chaux blanche, rayée de pans de bois ; fenêtres basses à volets pleins ; porte ronde, porche soutenu par un gros pilier.



Rostand aurait voulu que l'on commençât à bâtir tout de suite, que terrassiers, maçons, se missent immédiatement à l'oeuvre. Mais on lui représenta que c'était impossible, que, Cambo étant loin des centres, un certain temps était nécessaire avant qu'on pût faire venir matériaux et ouvriers, car il les fallait en grand nombre, et de choix, pour une construction de cette importance. Mais pour le jardin, lui assura l'architecte, on pouvait se mettre au travail sans plus tarder. On s'y mit sur-le-champ.


Cependant, l'Académie française, qui l'avait élu le 30 mai 1901, lui envoyait lettre sur lettre pour lui demander à quelle époque il pensait que son discours serait prêt.



On désirait fixer au plus tôt la date de sa réception. Or, le discours était à peine commencé, et Rostand ne se souciait guère de retarder la joie de faire son jardin pour s'atteler à l'éloge de son prédécesseur à l'Institut. Il s'agissait donc de gagner du temps, ce qui n'était pas facile, l'Académie étant une vieille personne qu'on traite avec les plus grands égards.



Mme Rostand mit sa diplomatie à l'oeuvre... Et l'Académie, se résignant à attendre encore le discours, renvoya la réception à l'été de 1903.



Dès lors, Rostand, ayant du temps devant lui, put s'occuper de son jardin.



Rien de plus curieux que la transformation du vaste et sauvage plateau d'Arnaga.



Une maison, quelque rapidité qu'on y apporte, ne se construit que lentement, d'une façon presque insensible ; mais la composition d'un jardin, c'est un peu la composition d'un tableau. De jour en jour, cela change. Et avec Rostand, impatient, pressé d'avoir des résultats, tout alla plus vite qu'avec un autre. La colline eut l'air d'obéir aux caprices d'une baguette magique.



Les premiers ouvriers arrivent, les terrassiers nivellent le plateau, le poudrent de terre végétale. On esquisse les allées, on trace les plates-bandes. Les parterres prennent vite leur aspect définitif ; il n'y manque que les couleurs, c'est-à-dire les fleurs. Des chars traînés par des boeufs déversent des pierres. La colline est vivante, grouillante d'une petite colonie d'ouvriers, elle semble un village à sa naissance. Quant aux arbres, Rostand ne les veut que tout venus.


— Ah ! non, qu'on ne me parle pas de ces arbres que l'on plante tout petits, qui pendant longtemps ne sont que des plumeaux, et ne poussent chaque printemps que d'un centimètre !



On chercha des arbres âgés. La chance voulut qu'un prêtre, qui en possédait de magnifiques dans sa propriété, situé assez près d'Arnaga, consentît à se débarrasser d'une moitié de ses tilleuls âgés de quatorze ans. On les déplanta, à l'aide de treuils compliqués, et on les replanta. Après cela, des platanes, des cyprès, des ifs taillés, prirent le chemin d'Arnaga.



Ce fut, pendant des mois, une procession d'arbres, une allée marchante, un spectacle qui clouait d'étonnement les bons Basques, peu habitués à voir des arbres en pleine croissance déterrés et trimbalés comme des asperges. Opération compliquée, délicate, mais qui réussit à merveille. Par ce moyen, Rostand donna de la patine à son jardin. Arnaga eut tout de suite de l'âge.



Le jardin se précise à vue d'oeil. Parmi les matériaux, poutres, fers, pierres, terre végétale, un peu de nature sauvage s'attarde, n'est refoulée que peu à peu. Le troupeau que nous avions vu le jour de notre première visite au plateau vient encore, s'obstine, cherche l'herbe de plus en plus rare. Le pâtre à la flûte étrange, qui le menait là depuis si longtemps, erre tristement, se cache, ne sait plus où aller. Rostand a recommandé qu'on ne l'inquiète pas, mais il fuit devant les ouvriers qui, de jour en jour, avancent, effacent la prairie, défoncent le sol.



Quotidiennement, le soir, vers cinq heures, Rostand allait voir l'état des travaux. Il aimait à causer avec les ouvriers, à les questionner sur leur vie, sur leurs idées politiques, sur toutes choses.



Un soir, l'un d'eux, qui était un peu fou, nous fit bien rire. Il faisait complètement noir quand nous arrivâmes à Arnaga. Les ouvriers étaient tous partis, sauf un, chargé de garder le chantier la nuit. Très loquace, il fut enchanté de notre venue tardive. Il allait pouvoir bavarder, et ne s'en priva pas. Comme il nous parlait de la situation d'Arnaga, il s'écria soudain, dans son enthousiasme pour la nature :


— Ainsi, messieurs, tenez, rien n'est plus beau que la vallée d'Ustaritz. Je sais, vous la connaissez ; mais je veux vous la montrer quand même. Permettez-moi de vous la montrer.



Et avec le plus grand sérieux, il prit un bougeoir dans une baraque, l'alluma, le promena en demi-cercle devant la vallée, qui était une immensité de ténèbres.


— Est-ce beau, messieurs ! s'écria-t-il, est-ce beau ! partout, en face, à droite, à gauche, partout ! Regardez, est-ce beau !



Et il promenait sa frêle lumière devant la vaste nuit, où rien ne se révélait du paysage, qu'un pommier planté devant nous, à un mètre.


— Est-ce beau, messieurs !



Et l'homme arrêtait sa lumière devant tel ou tel détail de la vallée qu'il nous commentait copieusement : colline, église, bois, absolument comme il eût fait d'un objet posé sur une table à portée de la main."



A suivre...



 



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