VINGT ANS D'INTIMITÉ AVEC EDMOND ROSTAND.
Paul Faure a été l'ami et le confident d'Edmond Rostand pendant de très nombreuses années.
LE PEINTRE PASCAU, FAURE ET ROSTAND ET MADAME ROSTAND EN 1902 PAYS BASQUE D'ANTAN COLLECTION MUSEE BASQUE BAYONNE |
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Les Annales politiques et littéraires, sous la plume de
Paul Faure, dans son édition du 1er septembre 1927 :
"Arnaga, chef-d'oeuvre de Rostand. — Dessins, Croquis, Maquettes. — Premiers Travaux. —
Henry Bauer et Coquelin. — Départ pour Paris. — Les Camelots et le discours. —
Triomphale réception à l'Académie française. — Les années d'enfance contées par la mère de Rostand.
...1902.
Rostand veut commencer au plus tôt le plan de sa maison. Il fait venir de Bayonne papier, crayons, fusains, pastels, boîtes de couleur, tout ce qu'il faut pour dessiner et pour peindre. Quand le commissionnaire apporte l'énorme paquet bourré de ce matériel, il l'accueille avec la joie d'un enfant recevant un jouet.
Le dîner, ce soir, a été expédié en un clin d'oeil. A peine le dessert avalé, le couvert enlevé, les enfants couchés, Rostand étale sur la table son attirail d'architecte. La tête penchée à droite, l'oeil au ras du papier, il crayonne, lave, efface, recommence, retouche, s'applique comme un miniaturiste, trace chaque trait, n'omet aucun détail. La maison basque, telle qu'il la conçoit dans le premier jet de son imagination, s'étale, se précise peu à peu sur la feuille blanche, avec son grand toit qui la couvre comme d'une aile, avec ses balcons, ses volets de bois massif, sa loggia d'angle, sa terrasse, ses marches rondes. Mais à chaque coup de crayon, à chaque coup de pinceau, que d'hésitations ! Ce sont les premières. Combien Rostand en aura-t-il avant d'avoir terminé Arnaga !
Ces soirées sont parmi les meilleures de celles que j'ai passées avec Rostand. Sitôt le dîner fini, Rostand se met à la besogne. Quand il a bien vu sa maison, qu'il l'a plusieurs fois dessinée, il en fait de petites maquettes, qui sont des chefs-d'oeuvre de patience. Il les bâtit avec du carton qu'il taille, rogne, colle. Des papiers de soie font les vitres de fenêtres ; des allumettes, les piliers et les pans de bois. Il découpe les portes dans des couvercles de boîtes à cigares, fait les tuiles avec de minuscules morceaux de laine. Tout cela, fignolé avec une adresse, une minutie d'artiste japonais. Bientôt, un Arnaga en miniature, auquel rien ne manque, exact comme un jouet de Nuremberg, se dresse parmi les papiers et les pinceaux. Chaque soir, jusqu'à plus de minuit, Rostand dessine, peint, colle. Et des tas d'Arnaga, sans cesse modifiés, perfectionnés, sortent de ses mains patientes.
ARNAGA CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais un architecte était nécessaire. C'est alors que M. Eugène Rostand conseilla à son fils Albert Tournaire, à qui venait d'être confiée la tâche délicate d'agrandir le Palais de Justice de Paris.
A peine Tournaire est-il débarqué à Etchegorria, Rostand s'enferme avec lui... Penchés sur les maquettes et les plans, tous deux travaillent, ébauchent, discutent. Puis, Tournaire se met à parcourir le pays en tous sens, pour se documenter sur l'architecture basque, à la recherche de tout ce que les vieilles maisons pouvaient offrir d'intéressant comme ensemble et comme détails. Il revient, chaque jour, avec une moisson de photographies, de croquis, dans lesquels Rostand se plonge avec frénésie. Le côté pittoresque, le caractère, Tournaire sait en retenir l'essentiel ; il se l'assimile au point de réaliser, sans faire de fautes contre la couleur locale, les conceptions de Rostand, où débordent les fantaisies somptueuses d'une imagination de poète.
ETCHEGORIA CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
Edifier un palais derrière une façade de simple maison basque n'était pas chose facile. Tournaire y réussit pourtant. Et à certaines parties de la maison, le vestibule par exemple, il sut donner, par la simple combinaison des lignes, une harmonie et des formes caractéristiques du chef-d'oeuvre.
Tournaire quitta Cambo, ses cartons bourrés de plans et de dessins. Et alors commença, entre lui et Rostand, une énorme correspondance qui se poursuivit jusqu'à l'achèvement d'Arnaga, un échange presque quotidien de notes, d'observations, d'idées. Souvent, Rostand s'exprimait par un croquis, que Tournaire mettait au point. Ou il entrait dans des explications détaillées sur la courbe que devait avoir telle voûte, la façon dont devait être bombé tel grillage de fenêtre ou s'arrondir le petit escalier de la terrasse. Tournaire envoyait des croquis, de ces beaux croquis d'architecte sur papier huilé. Il était rare que Rostand ne les retournât pas zébrés de remarques, de retouches.
ARCHITECTE ALFRED TOURNAIRE |
On a dit qu'Arnaga avait fait perdre beaucoup de temps à Rostand. Il est évident qu'Arnaga l'absorbait jusqu'à le distraire. Il le disait lui-même. Quelquefois, quand il dessinait, combinait, faisait des plans, brusquement, il se levait en jetant son crayon.
— Voilà une heure que je suis là ! s'écriait-il. Quelle folie !
Tout de même, non, pas "quelle folie" ! Car si Rostand a pu regretter le temps consacré à sa maison, il a pu se dire aussi qu'Arnaga avait été son plus grand amusement, son seul amusement par le fait ; car lui, qui se lassait vite de tout, ne se sera jamais lassé d'Arnaga. Arnaga l'aura amusé jusqu'à la fin de sa vie.
Mais il fut comme tous les grands bâtisseurs : sa maison l'amusa surtout pendant qu'il l'édifiait ; son plaisir à l'habiter fut moindre que son plaisir à la construire. Heureusement qu'Arnaga ne fut jamais terminé, du moins pour lui. Son imagination y ajoutait continuellement des beautés.
VILLA ARNAGA CAMBO PAYS BASQUE D'ANTAN |
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