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jeudi 12 novembre 2020

AU "PAYS DE RAMUNTCHO" EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1900 (quatrième et dernière partie)

 

AU PAYS DE "RAMUNTCHO" EN 1900.


"Ramuntcho" est un roman français de Pierre Loti. Publié pour la première fois en 1897, il a connu une vingtaine de rééditions françaises jusqu'en 1994. C'est un des ouvrages les plus connus de Pierre Loti, et un de ses principaux succès d'édition.


ASCAIN 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Temps, dans son édition du 23 septembre 1900, 

sous la plume de Gaston Deschamps :



"Au pays de Ramuntcho". 



... Celle qui marche la première est grande, mince, élancée, parfaitement belle. Jeune femme ? Ou jeune fille ? Peu importe. Elle est digne d’être comparée aux nymphes brunes, pour qui les chevriers de l’Olympe et du Parnasse jouaient, au clair de lune, des airs de flûte, tendres et langoureux. C’est ici l’occasion de dire, une fois de plus, combien la secrète influence de la montagne nous éloigne du convenu et de l’artificiel, nous rapproche de nos origines et nous fait voisiner avec l’époque de félicité où les hommes et lès femmes se contentaient de goûter simplement le bonheur de vivre. Hier, cette belle inconnue se mêlait à la cohue cosmopolite qui encombre la plage de Biarritz. Elle subissait les modes, les préjugés, peut-être les snobismes de son entourage. Captive des obligations mondaines, emprisonnée dans une armature qui bridait tous ses mouvements, elle ne risquait pas un geste, pas un mot qui ne fussent réglés par un cérémonial tyrannique et puéril. Aujourd’hui, elle s’est échappée de sa cage et délivrée de ses liens. Elle s’ébat librement dans l’espace libre. Et c’est plaisir de la voir ainsi, rayonnante de beauté sous le ciel, rayonnant de lumière. Dégagée de la sujétion qui s’oppose, dans les villes, à l’essor expansif de l’être humain, débarrassée des gênes et des entraves qui compliquent si bizarrement la parure féminine, elle a simplifié sa vêture de manière à concilier le respect, des usages éphémères avec les droits éternels de la liberté. Sous le léger tissu de son corsage, elle respire à pleins poumons l’air immaculé des sommets. Un chapeau de bergère protège contre le hâle son col délicat où retombe un chignon natté et son visage, où la gaieté du jour fait rire à chaque instant ses dents claires. Hier, c’était la promeneuse indifférente des stations balnéaires, des plages et des casinos. Aujourd’hui c’est une vision inoubliable. C’est un chef-d’œuvre de la nature immortelle. C’est une apparition contemporaine de tous les âges, et si impérieusement symbolique qu’on ne cherche même pas, à savoir quel est son nom. Est-ce Antiope ? Est-ce Atalante ? Serait-ce plutôt cette divine Nausicaa qui, selon le témoignage d'Homère, savait renvoyer la balle avec l’adresse d’un pelotari ? C’est la belle fille, heureuse de vivre, joyeuse de courir, innocemment coquette, riant aux arbres du chemin, vagabonde et contente, ingénument fière de pouvoir à chaque pas varier son allure, modifier ses attitudes, rythmer en des harmonies merveilleuses les lignes souples de son jeune corps. 



Le spectacle des montagnes et des vallées, de la mer et des fleuves, encadre de magnificence cet éclair de beauté qui a traversé, trop rapidement, la vaste étendue des solitudes. Il faudrait s’arrêter longtemps sur le faîte de la Rhune. Une lente contemplation ne suffirait pas à épuiser le charme du décor double et contrasté qui s’offre à nos regards. Le point culminant de ce belvédère coïncide avec la frontière. Les moellons d’une redoute, écroulée dans l’herbe, attestent qu’on se battit sur ces crêtes, qui séparent deux peuples. Le fortin de la Rhune pacifiée n'est plus qu’un tas de pierres qui peuvent servir de bancs aux spectateurs. 



D’un côté, c’est la Biscaye française, un paysage extraordinairement vert, souriant et gai. (Il faut bien recourir aux mêmes mots pour dire les mêmes choses.) L’atmosphère est si transparente qu’on distingue, depuis le bac d’Hendaye jusqu’aux clochers de Bayonne, les découpures du rivage, l’avancée des promontoires, la couleur des grèves, la courbe des rades, la structure des môles, les vergues des sémaphores. Au delà de Bayonne, la côte des Landes étend jusqu’à l’horizon ses futaies de pins, que le sable des dunes borde d’un liséré d’or pâle. Le golfe de Gascogne ouvre aux yeux et à l’esprit une perspective infinie, une immensité miroitante où l’horizon confond l’azur du ciel avec l’azur des eaux. Çà et là, une escadrille de bateaux pêcheurs s’éparpille au vent, et les voiles blanches ressemblent à un vol de colombes, égrené sur la mer. La baie de Saint-Jean-de-Luz dessine très nettement son demi-cercle de falaises, sa digue, son brise-lames, son amphithéâtre de maisons neuves. Les villas de Guéthary, éparses parmi les pelouses, ressemblent, de si loin, à un jeu de dés d’argent, dans un écrin de velours vert. Biarritz est blanc comme une carrière du Pentélique ou de Paros, miraculeusement boisée de chênes, de hêtres et d’ormeaux. Le phare du cap Saint-Martin est blanc comme un minaret d’Orient. Aux bouches de l’Adour, un haut fourneau exhale une fumée grise que le vent du sud rabat vers la mer. Dans les terres, voici la plaine du pays basque, les champs de maïs et de froment, les vignes, les prairies, les vergers de pommiers, les châtaigneraies. Ce panorama de forêts et de labours est repéré par de nombreux clochers : Ascain, Saint-Pée, Ainhoa... Mais les logis s’écartent volontiers du centre des paroisses. L’indépendance naturelle du Basque se marque dans l’isolement volontaire des métairies, d’ailleurs gaies, spacieuses, fort engageantes avec leurs étages en surplomb, leurs poutrelles hourdées en maçonnerie, et la petite rangée de platanes, qui forme une sorte de vestibule extérieur, devant le seuil. Ce pays, très fertile, très ameubli par la présence d’un peuple laborieux, est sillonné par le ruban sinueux des routes et par le caprice de la Nivelle serpentine... 



On se retourne. Quelle antithèse ! La Navarre espagnole, toute en ravins et en escarpements, depuis le col de Roncevaux jusqu’au cap du Figuier. Le soleil, incliné vers l’occident, fait ressortir, avec une singulière puissance de modelage, quatre ou cinq plans de remparts montagneux. L’oeil plonge aux profondeurs des précipices creusés par les torrents, se heurte aux aspérités d’une crête ébréchée, s'amuse aux zig-zags d’un sentier de chèvres, suit les dentelures, d’un faîtage ciselé, compte les stries d’une roche tailladée, se repose sur un coin de pâturage, ou s’égare vers la silhouette indécise de quelque lointaine sierra. L’approche du soir amasse des lacs d’ombre au fond des vallées où miroitent, çà et là, les eaux de la Bidassoa. Les montagnes, au crépuscule, prennent parfois une expression imprévue, comme des figures colossales, esquissées à grands coups d’ébauchoir. Dans la fluctuation de ces masses confuses et ondulantes, on croit voir des proues de navire, des pro fils de géants, des casques démesurés, à qui les forêts échevelées font un prodigieux cimier. Le noircissement des vallées semble exhausser, entre ciel et terre, la zone des sommets, encore éclairée par les feux du couchant. On dirait que le pinceau d’un artiste surnaturel indique aux arrière-plans, sur l’horizon décoloré, des tons de fresque effacée. Un bois solitaire émerge, ainsi qu’un îlot perdu, au milieu de cet océan de formes obscures.. Les couleurs s’éteignent, les bruits s’apaisent, comme si la nature et l’homme avaient peur de la nuit... 



En redescendant les pentes de la Rhune, nous avons rencontré, auprès de la fontaine, une femme du pays qui, malgré l’heure tardive, montait vers les cimes. Elle portait, sur sa tête, à la mode basque, un lourd fardeau. Elle n’en paraissait point accablée. Son bras droit, harmonieusement plié, soutenait la charge pesante. Il faut, pour supporter de pareils faix, que la corps soit d’aplomb et que la règle souveraine de l’équilibre, posée par les anciens sculpteurs, gouverne tous les mouvements. Je songeai à ce geste des canéphores, éternisé dans le marbre par les statuaires athéniens. Cette image, si antique et si jeune, me hantait de sa grâce impérieuse, tandis que la cloche d’Ascain, sous les premières étoiles, envoyait aux hameaux, déjà voilés d’ombre, l’appel de l’angelus."



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