Libellés

mardi 17 novembre 2020

LA LANGUE ET LE PEUPLE BASQUE EN 1874 (première partie)

LA LANGUE ET LE PEUPLE BASQUE EN 1874.


Au cours des siècles, de nombreux savants et linguistes ont étudié la langue Basque.




pays basque autrefois langue bonaparte
CARTE LINGUISTIQUE DU BASQUE EN 1865
PAR LOUIS LUCIEN BONAPARTE



Voici ce que rapporta le journal La République Française, dans son édition du 14 août 1874 :



La question ibérienne.



On sait aujourd’hui, à n’en plus douter, que les populations actuelles de l’Europe sont venues, à une époque relativement récente, de l’Asie ; on sait aussi que cette immigration n’est point un fait isolé, et qu’elle peut être considérée comme un accident normal dans la série des évolutions des races humaines sur la surface du globe. Depuis les temps historiques seulement, nous avons maints exemples de ces grands mouvements, causés le plus habituellement par la loi naturelle de la lutte pour l’existence : lorsqu’une race est devenue trop nombreuse pour la région qu'elle habite, la partie la moins favorisée de cette race doit, sous peine de périr, se répandre hors des limites-primitives de son pays d'origine. Les progrès de la civilisation, en multipliant les ressources locales, en ouvrant tant de voies à l’activité individuelle, ont pu restreindre ces migrations, en changer la nature et le caractère, mais elle ne les a point supprimées, ce qui n’était pas possible, d’ailleurs. 




pays basque autrefois langue
WILLEM JAN VAN EYS



Quoi qu'il en soit, à chaque déplacement de population, il peut se présenter deux cas : Ou bien les régions envahies sont déjà peuplées par une race autochtone, ou bien elles sont inoccupées. Dans le second cas, les immigrants s’y établissent sans peine et, à mesure que leur nombre augmente par la production de générations nouvelles, ils s’étendent sur toute la surface de ces régions et des régions voisines, de proche en proche, jusqu'à ce qu’ils se trouvent en contact avec d'autres peuples, ce qui nous ramène au premier cas supposé. Il est bon de remarquer ici que plus une race se développe géographiquement, plus elle tend à perdre son uniformité primitive de mœurs, de langage, de caractères physiques, et plus, sous les influences diverses de sols et de climats, elle tend à se diviser pour ainsi dire en sous-races sensiblement distinctes. 



Mais si le territoire où arrive le courant humain a déjà ses habitants propres, il doit se produire infailliblement soit une effroyable concurrence vitale qui amènera la soumission de l’un des peuples en opposition, soit une alliance volontaire et pacifique entre eux. Dans l’une ou l’autre hypothèse, la race survivante est nécessairement modifiée par l'adjonction inévitable d’éléments ethnologiques nouveaux. 



La science, et surtout la science linguistique, a démontré que le plus grand courant de l’émigration aryenne s’établit de l’est à l’ouest et que la race tout entière se partagea, suivant les progrès de son épanouissement, en huit tribus distinctes, pour ne nommer que celles parvenues en Europe, la plus occidentale était formée par les Celtes, qui s’arrêtèrent à l’océan Atlantique, mais refluèrent au nord et au sud, passant la Manche et franchissant les Pyrénées ; derrière eux venaient les Germains au nord et les Latins au midi, suivis de près par les Lituaniens et les Slaves, d’une part ; par les Grecs de l’autre. Ces divers peuples se subdivisèrent, à leur tour, en nations séparées, souvent ennemies ; arrêtée d’ailleurs, dans leurs mouvements  naturels d’expansion par des obstacles géographiques, quelques uns d’entre eux durent revenir sur leurs pas et se trouvèrent en lutte avec d'autres peuplades d’origine aryenne. Ainsi, même dans le sein d’une race primitive, il peut se produire des rivalités, des querelles, des conflits plus ou moins ardents et par suite une méconnaissance complète de la parenté antique : l’extrême variabilité du langage, modifiable comme tous les organismes vivants, aide particulièrement à cette séparation absolue des divers rameaux, sortis non seulement du même tronc, mais encore de la même branche secondaire. 



Si nous voulons maintenant rechercher quel était l’état de l’Europe, lors de l’invasion aryenne, si nous nous proposons de découvrir s’il y avait, au pied de ses montagnes ou dans ses vastes forêts des populations indigènes primitives ou en tout cas plus anciennes, lors de l’arrivée des Indo Celtes ou Indo-Germains, nous pourrions nous heurter à une grande difficulté. 



pays basque autrefois langue bonaparte

CARTE LINGUISTIQUE DU BASQUE
PAR LUCIEN BONAPARTE




Il nous faudra, en effet, consulter tout d’abord ces vagues traditions éparses chez tous les peuples ; mais nous manquerons souvent des moyens exacts de contrôle et nous en arriverons à nous demander, sans pouvoir résoudre la question, si telle peuplade nommée dans ces antiques récits ou légendes était vraiment indépendante de toute alliance aryenne ou si ce n’était pas plutôt une avant-garde méconnue du grand flot indo-européen ? Le problème se pose pour toutes ces tribus incertaines des Douges, des Jotunes, des Curètes, des Caucona, des Japodes, des Sicanes, des Ligures et des Ibères. 



La solution de cette importante question sera fournie par des recherches d’un ordre plus positif. Etant données les lois générales de l’action et de la réaction, du développement et de la variabilité, en un mot les conditions normales de la vie des peuples, il est à peu près impossible qu’une race considérable ait existé sans qu’elle ait laissé quelques traces.



Nous ne pouvons espérer de trouver ces précieux indices que dans trois ordres de faits : la langue, les institutions morales, les caractères physiques des peuples postérieurs. On comprend, à ce simple exposé, quelles difficultés spéciales présentent des recherches d'une nature aussi délicate et combien ceux qui se décident à les entreprendre sont exposés à des causes multipliées d’incertitude et d’erreur. 



De tous les peuples censés primitifs que nous venons d’énumérer, celui qui a peut-être le plus d'importance, au point de vue scientifique, c’est celui des Ibères qui, en tout cas, a été l’objet d’un plus grand nombre de travaux et a occasionné le plus de discussions prolongées. Il paraît établi, grâce aux traitions recueillies par les premiers écrivains de l'antiquité classique, que les Ibères étaient, antérieurement à la venue des Aryas, les habitants de toute la Péninsule ibérique (Espagne et Portugal), et qu'ils occupèrent même toute la partie de la Gaule qui reçut plus tard le nom de Narbonnaise. En admettant que ces Ibères soient réellement Anaryens, on raconte que les premiers rapports qui s’établirent entre eux et des races étrangères remontent aux expéditions de ces hardis navigateurs phéniciens, dont nous lirons avec admiration les audacieuses tentatives. 



Plus tard, les Celtes envahirent la Péninsule et formèrent avec les indigènes un peuple mixte qui a reçu le nom de Celtibères ; il paraît pourtant qu’il y eut encore, après ce mélange, des régions occupées par des Ibères purs, reconnaissables à leur teint basané, à leurs cheveux touffus, et d’autres où les Celtes s’installèrent seuls et conservèrent longtemps leurs cheveux épais et leur teint pâle. Quelle confiance faut-il attacher à ces détails, tirés d’auteurs auxquels on ne saurait demander la précision scientifique moderne ? Il est certain que nous ne trouvons pas, dans les géographes grecs et latins, la preuve que telle ou telle population de la Péninsule dont le nom est donné soit demeurée pure de toute alliance celtique. Nous croyons utile de faire remarquer que, dans le mélange des Ibères et des Celtes, c’est l’élément Indo-européen qui a dû l'emporter, parce que ce devait être l’élément actif et intellectuellement supérieur ; aucun idiome, en effet, n’a atteint le degré de perfection des idiomes aryens. On sait le reste de l’histoire de l’Espagne, les colonies et les incursions des Carthaginois, la conquête romaine, l’invasion des Visigoths, l’occupation musulmane, etc.  



Ainsi, c'est précisément dans la partie de l'Europe où nous pouvons espérer de retrouver quelques vestiges des Ibères que, d’après le témoignage de l'histoire, se sont rencontrés le plus d’éléments ethniques différents, originaux, indo-celtiques divers, sémitiques de diverses époques. C’est de ces nombreux éléments qu’il faut essayer de dégager les traits susceptibles de provenir de la langue, des mœurs et du type physique des Ibères primitifs, sans doute fondus eux-mêmes avec des éléments antérieurs. 



Dans ces trois ordres de faits, les Ibères, n’étant ni aryens ni sémites, devaient offrir des particularités spéciales. Leur langue, notamment, devait offrir un caractère tout particulier. Or, il s'est conservé, précisément dans la région pyrénéenne qu’ont occupée les Ibères, un idiome remarquable, le basque, qui n’est ni aryen, ni sémitique, qui forme un îlot isolé, comme le hongrois ou le magyar, comme les idiomes finnois, qui se rattache, par sa structure générale, d'un côté au polysynthétisme américain, et de l’autre à l’agglutination dite touranienne (ce ne sont à tout prendre que deux degrés différents de développement d’un même principe, de dérivation). Mais les idiomes de cette nature appartiennent à une période plus ancienne de la vie des langues que les dialectes indo-européens ou sémitiques ; ils conviennent donc seulement à des populations relativement inférieures et moins développées. Donc, a-t-on dit, le basque est le représentant direct de l’idiome national des Ibères. Cette proposition, ainsi conçue, est un postulatum très discutable, un a priori peu scientifique, qu’ont admis (l'état de leurs connaissances n’excluait point ces hypothèses incompatibles avec toute bonne méthode) la plupart des historiens du Moyen-âge. C’est la base de toute la théorie ibérienne, encore généralement accueillie par la science contemporaine, mais dont on commence à douter un peu, et que nous nous proposons de discuter ici dans son ensemble, autant que nous le permettront les bornes de cet article. 



La théorie ibérienne, s’appuyant sur l’a priori linguistique dont nous venons de parler, regarde les Basques actuels comme les descendants légitimes des Ibères, c’est-à-dire comme les restes géographiquement restreints des habitants primitifs (ou du moins préaryens) de la Péninsule ibérique et de la Gaule méridionale. On a étudié, en conséquence, les noms et le type physique des Basques contemporains ; on a principalement essayé de démontrer que leur langue avait été parlée dans toute l'Espagne. Nous commencerons notre examen rapide par ce dernier ordre de recherches.



Les géographes anciens nous apprennent que les Ibères avaient leur langue ou plutôt leurs langues propres ; mais une interprétation bienveillante et d'ailleurs très plausible, permet de ne regarder que comme des dialectes régionaux d’un même idiome les divers langages dont Strabon, par exemple, constate la présence contemporaine dans la Péninsule. Les seules traces venues jusqu'à nous de la langue ibérique, sont d’abord les noms topographiques cités par les écrivains grecs ou latins, puis ces inscriptions monétaires, lapidaires, murales ou autres qui ont fait le désespoir de tant d'épigraphistes. On sait que le mystérieux alphabet dans lequel sont écrites ces légendes ou ces invocations a été appelé par les travailleurs espagnols l’alphabet des letras desconocidas. Comme on n’a point manifestement affaire à du grec, à du latin, à du phénicien, à du celte, il a semblé naturel de supposer que cas caractères étranges appartenaient en propre à la langue ibérienne : mais le basque étant la seule langue non importée de la région où se rencontrent ces monuments, on a conclu que c’est lui qui doit fournir l’explication des inscriptions et des légendes inexpliquées, comme il doit aussi rendre compte de la dérivation des noms de lieux, rapportés par Strabon, Pline ou Ptolémée.



geographe historien grec
STRABON



Ces noms de lieux au moins nous ont été transmis sous une forme lisible et certaine. Mais avant d’en faire l'analyse, d’en chercher l’étymologie, il fallait s’attendre à rencontrer de nombreuses causes d’incertitude provenant tant des altérations subies par le basque depuis l’époque à laquelle remontent les noms étudiés, que de l’imperfection des transcriptions ; Strabon déclare quelque part les mots ibériens imprononçables. L’ouvrage le plus important, où l’étude de ces noms topographiques ait été scientifiquement essayée, est le livre bien connu de Guillaume de Humboldt, Prüfung der untersuchungen über die urbewohner Hispaniens, vermittelst der baskischen sprache (Berlin, 1821, in-4°,VIII-192 p.). Une traduction de cet intéressant travail a été publiée à Paris en 1866, mais M. d’Avezac constatait en 1870, dans la Revue critique, que cette traduction, écourtée, était en outre très défectueuse. Humboldt s’est borné à chercher le sens des noms de lieux espagnols cités par les géographes anciens. Bien que dans les étymologies qu’il propose, il y en ait de plausibles, la plupart nous semblent extrêmement aventureuses ; elles reposent d'ailleurs sur une connaissance beaucoup trop imparfaite du vocabulaire et de la grammaire basques. On sait à quels dangers sont exposés les étymologistes et à quelles erreurs peuvent conduire de bonne foi, des analogies apparentes de mots ! Les explications de Humboldt nous semblent donc fort peu probantes, et l’on doit, pour le moment, se tenir dans le doute à leur égard. Un remarquable mémoire de M. Van Eys, le patient auteur de la meilleure Grammaire basque et du premier Dictionnaire basque-français que nous possédions, vient de paraître à ce sujet dans l'excellente Revue de linguistique (Paris, Maisonneuve), déjà plusieurs fois recommandée à cette place."



pays basque autrefois langue
GUILLAUME DE HUMBOLDT



pays basque autrefois langue
ESSAI DE GRAMMAIRE DE LA LANGUE BASQUE
DE WILLEM JAN VAN EYS





A suivre...


Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

Plus de 5 500 autres articles vous attendent dans mon blog :

https://paysbasqueavant.blogspot.com/


N'hésitez pas à vous abonner à mon blog, à la page Facebook et à la chaîne YouTube, c'est gratuit !!!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire