"UNE HISTOIRE DES BASQUES" PAR ADRIEN PLANTÉ.
Pierre, Raymond, Adrien Planté, né le 4 octobre 1841 à Orthez (Basses-Pyrénées), mort le 27 mars 1912 à Orthez (Basses-Pyrénées), est un député français, historien, félibre et homme de lettres.
ADRIEN PLANTE |
Voici ce que rapporta à ce sujet, en 1897, M. Adrien Planté, Président de la Société des Sciences,
Lettres et Arts de Pau, lors du Congrès de Saint-Jean-de-Luz de la Société d'Ethnographie
Nationale et d'Art Populaire :
"Les Basques ont-ils une histoire ?
Mesdames, Messieurs,
Parler des Basques, en présence des Basques, sans avoir l'honneur d'être Basque soi-même, n'est-ce pas se montrer trois fois audacieux ?
J'ai une excuse : je suis Béarnais. Or, vous savez tous que, depuis l'annexion de la grande France au petit Béarn par notre bon Henri IV et ses vaillants parpaillots, les Béarnais se sont permis bien des audaces.
Aussi bien, sous le bénéfice du vieux dicton latin qui promet aux audacieux tous les sourires de la fortune, représentée ici pour moi par l'aimable indulgence de cette admirable assemblée, me suis-je empressé de répondre à l'invitation qui m'était faite, au nom du Comité d'organisation des Fêtes de la Tradition du Pays Basque, par mon vieil ami, M. le docteur Goyenèche, Maire de Saint-Jean-de-Luz.
FÊTES TRADITION BASQUE ST JEAN DE LUZ 1897
PAYS BASQUE D'ANTAN
PAYS BASQUE D'ANTAN
S'il n'était pas si près de moi, je vous dirais combien il est insinuant et aimable : il veut ce qu'il veut, et le vent si bien, qu'il est bien difficile de lui refuser quelque chose.
Je suis venu me mettre à ses ordres et chercher avec lui un sujet digne de vous être offert aujourd'hui.
Quand il m'a soumis le tableau des oeuvres promises par tant d'auteurs basques jaloux de faire connaître et de célébrer les mérites du Pays Basque, j'ai senti, je vous l'avoue, défaillir mon courage.
Philosophes, poètes, philologues, paléographes, jurisconsultes, historiens, artistes et savants de tout ordre ont depuis déjà longtemps déposé le titre de leurs travaux : il ne restait que fort peu de choix au pauvre conférencier béarnais ; il semblait que la question basque était épuisée : j'étais venu trop tard.
Je demande à M. le docteur Goyenèche s'il n'y a pas une histoire complète des Basques, dans laquelle je pourrai, avec son aide éclairée, trouvera monteur un sujet... M. le Maire, en Basque fier et confiant, me répond : "Les Basques sont comme les femmes honnêtes ; ils n'ont pas d'histoire !"
Et bien, Mesdames et Messieurs, nous allons leur en faire une... Il est vrai qu'hier j'entendais dire dans un sermon prononcé dans un superbe langage basque, dont j'admirais en l'enviant la sonorité tout a la fois énergique et souple : "Heureux les peuples qui n'ont pas d'histoire !"... je ne veux rien enlever à ce bonheur, mais l'histoire se fera toute seule. Le mot du Maire me servira de texte ou d'épigraphe, et le Comité d'organisation, si éminent dans son intelligence, dans son zèle et dans son érudition, me permettra de vous présenter cette très modeste causerie, comme la préface de l'histoire complète et absolument documentée dont il est en train, par son Exposition et les travaux du Congrès, d'écrire les pages les plus intéressantes et les plus belles.
Donc, si vous le voulez bien, nous étudierons ensemble tout d'abord les problèmes nébuleux de l'origine des Basques et leurs luttes triomphantes pour la vie ; remarquez que je dis : nous étudierons ces problèmes ; je me garderais bien de vouloir les résoudre. Puis nous nous demanderons ce qui a fait la force de cette petite nationalité toujours si féconde et si vivace, et nous arriverons à établir— ceci nous reposera un peu, Mesdames, des Grecs et des Romains forcément invoqués par moi dans le cours de ma conférence, — nous arriverons, dis-je, à établir que nos ancêtres ont dû une partie de leur force a l'ascendant que, chez eux, ils ont toujours laissé prendre à la femme.
Enfin, après un rapide coup d'oeil sur l'influence des grands faits de l'histoire moderne dans l'existence des Basques, nous admettrons cette conclusion logique, nécessaire : le peuple basque, qui est, qui a toujours été, ne peut pas ne pas être toujours.
Tous les auteurs qui se sont occupés des Basques semblent s'être mis d'accord pour déclarer que l'on ne connaissait rien ou pas grand chose sur leur origine, ou sur leur existence primitive, en dehors de quelques hypothèses dont le champ s'ouvrait fort large devant eux.
De là, des fables et des légendes qui ont fait de vos ancêtres des portraits très peu flatteurs, terrifiants même : la reproduction que je vous en donnerai ne devra pas vous froisser — il n'y a que la vérité qui froisse,— mais le bien que les modernes en ont déjà dit et celui que nous sommes, tous, disposés à vous en dire encore vous dédommagera amplement du mal que les anciens ont pu en penser.
Et finalement vous serez amenés à penser avec moi que, pour des gens qui n'ont pas d'histoire, du moins beaucoup d'historiens se sont occupés d'eux.
Et d'abord les légendes ! Le grand serpent ou le grand feu dort sous le massif immense des Pyrénées : dans son sommeil, agité en de grands soubresauts, il soulève les montagnes. De ses sept gueules béantes s'échappent des volcans... le feu détruit tout, pour purifier d'abord le globe et le vivifier ensuite... Le Pays Basque naît de ces torrents mythiques.
Les monstres peuplent les forêts : les souterrains de Balsola, en Biscaye, restent défendus par une vénération mêlée de crainte. L'homme des bois et la femme sauvage qui y habitent y font des apparitions dont les récits terrifient encore les veillées de nos chaumières ; tandis que, du mont Anhie, arrivent les échos enchanteurs de noces mystérieuses : ce sont les noces de la séduisante Maïthagarri et du beau Luzaïde... ouvrant des horizons poétiques et charmants à l'imagination enflammée de la race du feu...
LESCUN PIC D'ANIE BEARN D'ANTAN |
Oui, Mesdames et Messieurs, voilà vos ancêtres, vos premiers pères : au dire de la légende, vous êtes les fils et les filles du grand feu initial, c'est-à-dire du soleil.
Oh ! ne rougissez pas de pareille origine : certes, elle est des plus honorables et n'a rien qui nous puisse surprendre ; elle nous explique suffisamment certaines beautés ethniques que notre admiration se plaît à relever en vous, certains éclairs lumineux qui animent votre physionomie si attirante, certains élans qui sont la caractéristique de vos coeurs ardents et généreux, en même temps qu'ils témoignent d'un brillant, d'un très glorieux atavisme. Légende, n'est-ce pas ? Légende, soit ! Mais, comme l'a dit Voltaire, il n'y a pas "jusqu'aux légendes qui ne puissent nous apprendre à connaître nos nations".
Dans tous les cas, il n'y a de légende que lorsqu'il y a un fait mystérieux dont la curiosité populaire demande anxieusement l'explication : or, ici, le fait, c'est l'existence du peuple basque : il est, donc il a été un jour...
Mais de quand date-t-il ?
Mais d'où vient-il donc ?
La légende doit nécessairement, à un moment donné, céder le pas à l'histoire : l'hypothèse ne peut nuire à la thèse et réciproquement...
Il vient d'où sont venues toutes les générations humaines :
Race patriarcale, qui, au moment où, du berceau de l'humanité, l'Asie, les peuples se répandirent sur la terre, s'élança elle aussi de l'Orient vers l'Occident, obéissant à cette loi fatale qui, depuis le commencement des âges, pousse l'homme vers les régions encore insondées où le soleil se couche.
L'Occident, demeure du soleil, séjour des dieux, était pour les peuples primitifs la région bénie de leurs rêves ; car dans le voisinage des dieux et sous leur protection les hommes devaient être les plus justes et les plus heureux de la terre.
Les grandes invasions venaient de l'Orient, suivant toujours la direction de l'Occident.
De nos jours encore, depuis Christophe Colomb jusqu'au dernier paquebot qui part de nos grands ports maritimes, n'est-ce pas toujours vers l'Occident, vers l'Amérique, que l'homme se dirige ?
Jetez un regard attentif vers la civilisation nouvelle qui se constitue incessamment dans les États-Unis d'Amérique ; suivez ces longs convois aux chars bondés de meubles, de provisions et d'outils, qui se prolongent sur les routes à peine esquissées de ces régions presque vierges encore.
C'est le pionnier qui passe, à la recherche d'un fonds encore inexploité, pour faire, défaire, refaire sa fortune au gré de ses caprices ou des besoins de sa famille sans cesse grandissante.
Il va vers l'Ouest... ses fils iront comme lui vers l'Ouest et, comme eux, leurs descendants iront toujours vers l'Ouest, chercher l'aisance, le bonheur, la vie... loi fatale, je le répète, tendance mystérieuse des migrations humaines.
Et c'est ainsi qu'à une époque dont, après tout, il nous importe peu de connaître la date précise, qu'aucun document ne saurait nous donner, c'est ainsi que dans ce coin de la terre nommé Ibérie par les anciens des temps les plus reculés, parce que ses premiers habitants s'appelèrent Ibères, s'installa une race superbe, étrange... Elle s'y établit, et, toujours jeune, toujours vivace... elle y est encore.
Si, selon l'expression des anciens, le pays d'Occident est le pays où le soleil trouve le repos après les fatigues de sa course diurne, le nord de l'Espagne ou Ibérie réalisa peu, il faut en convenir, pour vos pères, le rêve touchant.
La lutte pour la vie fut la condition première et constante de son existence agitée.
Quels étaient ces hommes ?
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