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vendredi 10 mars 2023

LE PAYS BASQUE EN OCTOBRE 1922 (deuxième et dernière partie)

 

LE PAYS BASQUE EN 1922.


Le Pays Basque, depuis très longtemps, est une terre de voyages pour touristes et/ou journalistes.




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CASINO MUNICIPAL BIARRITZ 1922
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire La Revue Politique et Littéraire, le 8 octobre 

1922, sous la plume d'André Rousseaux : 



"Le Pays Basque (suite).



... Au plus bel endroit du village, entre deux rangs de platanes s’étend une longue place sablée, que surplombe, à un bout, un grand mur au faîte arrondi. C’est le fronton. C’est là que se joue le jeu national basque, la pelote.


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AFFICHE PARTIE PELOTE FRONTON AGUILERA BIARRITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


Le jeu a plusieurs variétés. Le vieux jeu traditionnel, aux règles difficiles, le jeu de rebot est tombé en désuétude. Mais les Basques le regrettent, et il suffirait, sans doute, que quelques grands joueurs le remissent en honneur pour qu'ils retrouvât sa vogue passée. Aujourd’hui, on ne joue guère que la pelote à main nue et la pelote à chistera, où les joueurs s'arment la main droite d’un long gant d’osier.



Tous les Basques jouent à main nue. A la fin de l’après-midi, quelques partenaires sont vite trouvés pour former devant le fronton deux équipes de deux ou trois hommes. Et la petite balle de peau de chien, dure comme du bois, va bondir des paumes endurcies sur le grand mur blanc. C’est un jeu d'athlètes, où le corps donne toute sa puissance contre la petite balle pour la faire rebondir bien loin. C'est un jeu long aussi, aux coups interminables, où le plus endurant finit par l’emporter, la main tuméfiée, la paume craquelée parfois. Tout le village, le dimanche, assiste à ces parties. Un triple gradin de pierre, usé par l’âge, court sous les platanes jusqu'au bout de la longue place. Il se garnit vite de spectateurs : des jeunes gens, qui brûlent de jouer en public à leur tour, des vieillards, surtout, qui viennent se rappeler leurs prouesses de jadis. Leur face, sous le béret, est halée et tannée, la lèvre mince, le nez coupant. Mais leurs yeux vifs ne quittent pas la balle, et leurs voix rudes ne rompent le silence qu’aux coups de grande adresse ou de grande force. Ils font penser aux vieillards d'Homère qui se contentaient de regarder de loin les combats.


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JOUEURS DE PELOTE A CHISTERA :
GOGORSA LANDA GONI


Aux parties de chistera, les vieux connaisseurs et les Basques sont noyés dans la foule. D'aucuns même n’y viennent pas, méprisant ce jeu comme une déformation facile des vieux principes. Et pourtant quelle vogue il a. A Biarritz, à Saint-Jean-de-Luz, il fait courir les baigneurs. Il s’est répandu dans tout le Sud-Ouest. Il a gagné Paris, qui possède deux frontons, Londres même où l’on en construit un. Et dans tout le pays où l’on porte le béret, on connaît mieux que Carpentier ou Mlle Lenglen, les grands champions, émules du célèbre Chiquito de Cambo, les Harispe et les Prévost, les Doyhénart et les Amijorena.



La partie se joue vers cinq heures, quand le soleil commence à décliner. Le public s’écrase sut les gradins. La place et le fronton sont inondés d’une lumière crue. Voici les pelotaris. Ils sont six. trois dans chaque camp. Chemise et pantalon blancs, béret noir, sandales blanches. A la main droite, la chistera ; c’est comme une gouttière d’osier recourbée, qui double la longueur du bras ; un gant de cuir y est cousu, où s’enfile la main ; un lacet de cuir sert à l'attacher plus solidement encore. Car cette main d'osier va recevoir la pelote à toute volée, puis, la faisant rouler le long de sa gorge jusqu’au bout, la relancera vers le fronton sur une immense trajectoire.



La partie sera belle aujourd'hui. Elle oppose deux grands joueurs : Pierre Prévost, un athlète, et le petit Harispe, un jeune Basque fluet qui ne connaît pas la défaite. Prévost est le "buteur" de son camp. C’est lui qui, du pied du mur, lance le premier la balle dans le jeu. Il la lance avec une force effroyable. La pelote cingle le mur et file dans le ciel comme un projectile. On la perd de vue. Elle va retomber là-bas, tout au bout de l’emplacement, à quatre-vingts mètres peut-être du fronton. Mais elle est attendue. Un petit arrière trapu la guette, l’aperçoit, court et la reçoit dans son gant d’osier. Un arrêt bref sur les jarrets tendus, un demi-moulinet qui fend l’air, et la pelote est déjà repartie vers le fronton qu’elle claque avec un bruit sec. Ce claquement alterné avec le bruit plus sourd de la balle dans l’osier, c’est le rythme de la partie. Il se précipite peu à peu, par les coups de volée rapides, qui se jouent plus près du mur. Les deux champions sont aux prises. Harispe, déjà célèbre au pays basque, comme un matador en Espagne, fait des bonds de chat. D’un saut il arrête la pelote à deux mètres au-dessus de lui. Tac, tac, la balle ne touche plus terre, les chisteras, comme des épées, coupent son élan, la relancent toujours plus vite. On ne la voit plus, on n’entend plus que le claquement au mur, de plus en plus serré, jusqu’à ce qu’elfe échappe enfin à l’un des joueurs pour aller rouler au loin dans un sillage de poussière. Alors retentit l’acclamation sur les gradins, l’applaudissement sans fin, mêlé de cris et de bravos. Une voix domine le tumulte, celle du chanteur-compteur, chargé d’annoncer les points. Il ne se contente pas de les crier ; quand les joueurs s’égalisent, il module son annonce sur un vieil air traditionnel ; et tout le public de protester s’il l’exécute mal ou s’il l’oublie.



Jusqu’à la fin de la partie, l’animation grandit. On parie sur les gradins, et souvent de grosses sommes. Les joueurs donnent leurs derniers efforts. Il ne faut plus que quelques points pour gagner. Enfin la pelote part du mur une dernière fois pour décider de la victoire. A peine le point est-il marqué, que les gradins se vident ; la foule envahit la place, enveloppe les pelotaris. Ils doivent être à bout de force. Allons donc ! On les retrouvera ce soir ici-même pour danser le fandango.



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DANSE DU FANDANGO SAINT-JEAN-DE-LUZ 1922
PAYS BASQUE D'ANTAN



Dix heures. La nuit est sans lune. Le fronton disparaît dans l’ombre. Mais au milieu de la place sablée, sur un fil de fer tendu, une rangée de lanternes de papier répand une lueur diffuse et multicolore. Une petite estrade se cache sous des feuillages. Un flageolet et un piston vont s’y installer. Déjà des groupes de jeunes gens attendent leur arrivée. Les figures s’esquissent. Voici la musique. Le fandango va commencer.



Sur un air léger et bien rythmé, c’est une de ces jolies danses anciennes que l’on dansait à plusieurs, et qui étaient ainsi un plaisir de société. Depuis plus d’un siècle, l’individualisme romantique a isolé les couples pour des danses plus passionnées, de la valse jusqu’à ces pas équivoques, que nous empruntons maintenant aux étrangers. Le fandango, c’est un peu comme un menuet ou un quadrille, mais avec la chaude vivacité d’une danse méridionale. Filles et garçons se tiennent face à face, la tête droite, les yeux dans les yeux, les coudes écartés du corps et les mains à la hauteur de la tête pour claquer les doigts comme des castagnettes. Cependant les pieds chaussés de sandales blanches sautent et s’agitent suivant le rythme des figures rapides. Les meilleurs danseurs gardent le corps immobile, depuis la tête toujours fixe jusqu’aux jambes. Il n’y a que les pieds et les genoux qui dansent ; mais avec quelle agilité, quelle légèreté ! Les figures sont nombreuses et compliquées. Aussi les bons danseurs de fandango sont-ils rares. Et chaque année des concours les distinguent, aux fêtes patronales, des concours pour lesquels on se prépare longtemps, les belles après-midi de dimanche, sous les platanes, les tilleuls ou les figuiers, auprès des maisons blanches.



La fidélité des Basques à leurs traditions, que ce soit la danse ou le jeu, la langue ou la foi religieuse, est remarquée par tous les étrangers qui parcourent le pays. Leur expansion, pour être moins apparente, vaut aussi d’être notée. Les Basques ont beaucoup d’enfants. On en cite un qui en a eu trente-six de trois mariages successifs. Et ce n’est pas un cas exceptionnel. Aussi y a-t-il beaucoup d’émigrants. C’est le voyage "aux Amériques". Non pas que les Basques aillent coloniser les deux Amériques. Ils ne s’embarquent à Bordeaux que pour le sud ou le centre du nouveau continent. Et le plus souvent ils reviendront mourir, après fortune faite, dans la terre natale. Mais, durant leur vie, ils auront travaillé à la prospérité de ces colonies basques qui croissent et se multiplient de l’autre côté de l’Océan.




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EMIGRATION BASQUE




Les Basques, par contre, ne se répandent pas en France. Ils se contentent de tenir ferme dans leur pays, contre l’envahissement des étrangers. Ces gens-là ne se laissent pas prendre au mirage de la grande ville lointaine. Le Basque est l’homme qui ne quitte pas le béret peur mettre un chapeau mou ; c’est même le baigneur parisien qui achète un béret en arrivant à Saint-Jean-de-Luz. Si bien que maintenant, le petit béret noir, qu’on tire sur la tête jusqu'au bas du front, triomphe dans tout le Sud-Ouest, de Bayonne à Bordeaux et à Pau.


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BERET EL RAMUNTCHO
PAYS BASQUE D'ANTAN


C’est peu de chose, il est vrai, que le béret. Hé non ! c’est beaucoup. L’homme qui a honte de son costume a honte de son pays. C'est un exemple pour trop de provinces, hélas ! que cet attachement tout naturel, tout simple, dont ils ne se doutent même pas, des Basques à leurs moindres coutumes. Les petites lâchetés amènent les grandes. C’est peu à peu que les vieilles races se perdent et se noient dans les populations amorphes. On commence par jeter une coiffure ou un fichu, on finit par abandonner les principes d'une vie indépendante et forte. Si jamais — non, jamais ! — les Basques quittaient le béret, ils cesseraient d’être Basques."



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