LA CONFÉRENCE DE BIARRITZ EN 1881.
En juin 1881, se tient à la villa De Wecker, à Biarritz, pendant 4 jours, un congrès des Républicains espagnols.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Temps, le 18 juin 1881 :
"Lettres d'Espagne.
La conférence de Biarritz.
Biarritz, 12 juin.
En quittant Madrid par une belle et tiède soirée de juin, nous étions loin de nous attendre à un changement dé température aussi considérable que celui qui nous a surpris en route. Déjà en montant les pentes roides près du monastère de l'Escurial, nous sentîmes que la brise fraîchissait, et le soleil empourprait de ses derniers rayons les rochers et les lierres qui se dressent en superbe amphithéâtre derrière le Panthéon des rois d’Espagne, que nous grelottions déjà. Mais ce fut bien pis quand, aux premières lueurs de l'aube nous arrivâmes à Miranda de Ebro, par une pluie fine et pénétrante, sous un ciel gris comme en automne. Nos pèlerins, en chemin pour Biarritz, furent salués à Médina et à Miranda par les sons discordants d’une musique que de grands gars, le chef couvert de boinas rouges, tiraient de leurs instruments de cuivre. Je ne vis aucune démonstration capable de faire tressaillir les chefs du radicalisme et leurs nombreux amis dans le train. Il était singulier de voir combien peu les autorités et la gendarmerie dans les stations semblaient s’inquiéter de ce voyage. Les voyageurs, eux, s’effrayaient bien davantage de l’idée que les autorités françaises allaient exiger, comme on le disait à Madrid, un passeport que plusieurs n’avaient pas eu le temps de se procurer. Nous passâmes par des sites rendus célèbres par deux guerres : Tolosa, Hernani, Irun, où nous vîmes pas mal de police, de gendarmes et de curieux ; puis, franchissant la Bidassoa avec son horizon de sombres montagnes sur la rive espagnole et le riant aspect de Hendaye, sur la rive droite, nous entrâmes sur terre de France.
Nos compagnons de voyage forent vite rassurés, car il ne fut pas même question de papiers ; la douane se montra bienveillante et nullement indiscrète pour maint paquet de havanes et de cigarettes. Quelques émigrés qui hantent la frontière par habitude ou nécessité vinrent saluer M. Martos à Hendaye.
Sur le quai de la gare de Biarritz, nous aperçûmes "les exilés", MM. Zorrilla, Salmeron, Fernandez y Gonzalez, entourés d’une vingtaine de personnes, attendaient MM. Martos, Montero Rios, Echegaray. Ce fut un moment d’effusion devant quelques indigènes un peu surpris, et nos collègues madrilènes déployèrent déjà, le calepin de notes et le crayon à la main, une activité dévorante. Enfin, on se casa dans des voitures et nous gagnâmes rapidement Biarritz.
Biarritz est dans sa morte saison en ce moment, car la colonie anglaise se disperse au printemps et les baigneurs castillans n’arrivent qu’au mois de juillet quand les chaleurs forcent les Madrilènes à s’éloigner. Il y a pourtant à toute époque de l’année beaucoup d’Espagnols qui résident près de la frontière. Un grand nombre y ont été amenés par les événements politiques qui les forçaient à chercher un refuge au loin, et ils ont pris racine sur ce sol hospitalier.
On vous montrera même des vétérans de l’émigration qui sont ici depuis un demi-siècle et il est même fort intéressant de les voir sourire finement en vous disant qu’ils en ont vu passer souvent de ces mouvements qui prennent naissance dans un conciliabule, dans une conférence, que sais-je, dans les villas carlistes, républicaines ou alphonsistes des Basses-Pyrénées. Vous êtes ici sur la terre classique ou se sont préparées toutes les agitations de la péninsule, et, si nous avions le temps, je mènerais volontiers vos lecteurs aux châteaux où don Carlos s’est caché longtemps avant sa dernière chevauchée en Espagne, aux auberges de Ciboure, où ses volontaires se reposaient, à la villa ou Santa-Cruz se réfugia, aux maisons qui servirent d’abri dans une période antérieure à Prim et à Serrano. Ici on vous montrera l’endroit où Espartero et Rivero ont préparé 48 ou 54, Prim 1866, d'autres 1868, car on a pris l’habitude espagnole de tout compter par des dates mémorables. Aussi il n’y a rien dans la conférence radico-fédérale qui surprenne les habitants de la contrée. Ils se félicitent, au contraire, de la bonne aubaine qui leur arrive entre deux saisons. C’est à peine si dans la colonie espagnole on a montré quelque curiosité et, chose singulière, ce sont les carlistes et leurs amis, toujours nombreux dans les Basses-Pyrénées, qui sont les plus friands de renseignements sur la marche future et la force du mouvement républicain qui commence à la villa Wecker, sous la direction de M. Ruiz Zorrilla. Si vous demandez aux carlistes pourquoi ce mouvement les intéresse, ils vous diront avec une entière franchise et une pantomime très éloquente : "Dame, nous suivons avec intérêt toute agitation antidynastique en Espagne, dans l’espoir qu’elle nous aidera à retourner là-bas." Et ils vous montrent cette ligne de sierras à moitié perdue dans la brume là-bas, bien loin, qu’on aperçoit du haut de la côte des Basques. La villa Wecker, théâtre du conciliabule républicain fédéral et radical, est si tuée à l’angle de la route qui couronne les falaises de la côte des Basques en face de la mer. La côte décrit une courbe qui permet au regard d’embrasser jusqu’à l’embouchure de la Bidassoa, le Monte-Jaizquibel et les sombres montagnes du Guipuzcoa. C’est un admirable panorama.
VILLA DE WECKER BIARRITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
La villa a pour hôte principal M. Ruiz Zorrilla, qui représente, avec MM. Martos, Figuerola, Montero Rios, l’élément radical et progressiste. Il s’est fait républicain depuis l’avortement de la monarchie d’Amédée de Savoie. M. Salmeron, avec MM. Azcarate, Chao, Fernando Gonzalez, représente l'élément fédéral républicain avec de vagues tendances économiques qui ne sont pas éloignées du socialisme.
MANUEL RUIZ ZORRILLA |
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