Libellés

vendredi 15 janvier 2021

LA CONFÉRENCE DE BIARRITZ EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN JUIN 1881 (première partie)

LA CONFÉRENCE DE BIARRITZ EN 1881.


En juin 1881, se tient à la villa De Wecker, à Biarritz, pendant 4 jours, un congrès des Républicains espagnols.





pays basque autrefois carlisme
VILLA DE WECKER BIARRITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Temps, le 18 juin 1881 :



"Lettres d'Espagne. 



La conférence de Biarritz


Biarritz, 12 juin. 



En quittant Madrid par une belle et tiède soirée de juin, nous étions loin de nous attendre à un changement dé température aussi considérable que celui qui nous a surpris en route. Déjà en montant les pentes roides près du monastère de l'Escurial, nous sentîmes que la brise fraîchissait, et le soleil empourprait de ses derniers rayons les rochers et les lierres qui se dressent en superbe amphithéâtre derrière le Panthéon des rois d’Espagne, que nous grelottions déjà. Mais ce fut bien pis quand, aux premières lueurs de l'aube nous arrivâmes à Miranda de Ebro, par une pluie fine et pénétrante, sous un ciel gris comme en automne. Nos pèlerins, en chemin pour Biarritz, furent salués à Médina et à Miranda par les sons discordants d’une musique que de grands gars, le chef couvert de boinas rouges, tiraient de leurs instruments de cuivre. Je ne vis aucune démonstration capable de faire tressaillir les chefs du radicalisme et leurs nombreux amis dans le train. Il était singulier de voir combien peu les autorités et la gendarmerie dans les stations semblaient s’inquiéter de ce voyage. Les voyageurs, eux, s’effrayaient bien davantage de l’idée que les autorités françaises allaient exiger, comme on le disait à Madrid, un passeport que plusieurs n’avaient pas eu le temps de se procurer. Nous passâmes par des sites rendus célèbres par deux guerres : Tolosa, Hernani, Irun, où nous vîmes pas mal de police, de gendarmes et de curieux ; puis, franchissant la Bidassoa avec son horizon de sombres montagnes sur la rive espagnole et le riant aspect de Hendaye, sur la rive droite, nous entrâmes sur terre de France. 



Nos compagnons de voyage forent vite rassurés, car il ne fut pas même question de papiers ; la douane se montra bienveillante et nullement indiscrète pour maint paquet de havanes et de cigarettes. Quelques émigrés qui hantent la frontière par habitude ou nécessité vinrent saluer M. Martos à Hendaye



Sur le quai de la gare de Biarritz, nous aperçûmes "les exilés", MM.  Zorrilla, Salmeron, Fernandez y Gonzalez, entourés d’une vingtaine de personnes, attendaient MM. Martos, Montero Rios, Echegaray. Ce fut un moment d’effusion devant quelques indigènes un peu surpris, et nos collègues madrilènes déployèrent déjà, le calepin de notes et le crayon à la main, une activité dévorante. Enfin, on se casa dans des voitures et nous gagnâmes rapidement Biarritz. 



Biarritz est dans sa morte saison en ce moment, car la colonie anglaise se disperse au printemps et les baigneurs castillans n’arrivent qu’au mois de juillet quand les chaleurs forcent les Madrilènes à s’éloigner. Il y a pourtant à toute époque de l’année beaucoup d’Espagnols qui résident près de la frontière. Un grand nombre y ont été amenés par les événements politiques qui les forçaient à chercher un refuge au loin, et ils ont pris racine sur ce sol hospitalier. 



On vous montrera même des vétérans de l’émigration qui sont ici depuis un demi-siècle et il est même fort intéressant de les voir sourire finement en vous disant qu’ils en ont vu passer souvent de ces mouvements qui prennent naissance dans un conciliabule, dans une conférence, que sais-je, dans les villas carlistes, républicaines ou alphonsistes des Basses-Pyrénées. Vous êtes ici sur la terre classique ou se sont préparées toutes les agitations de la péninsule, et, si nous avions le temps, je mènerais volontiers vos lecteurs aux châteaux où don Carlos s’est caché longtemps avant sa dernière chevauchée en Espagne, aux auberges de Ciboure, où ses volontaires se reposaient, à la villa ou Santa-Cruz se réfugia, aux maisons qui servirent d’abri dans une période antérieure à Prim et à Serrano. Ici on vous montrera l’endroit où Espartero et Rivero ont préparé 48 ou 54, Prim 1866, d'autres 1868, car on a pris l’habitude espagnole de tout compter par des dates mémorables. Aussi il n’y a rien dans la conférence radico-fédérale qui surprenne les habitants de la contrée. Ils se félicitent, au contraire, de la bonne aubaine qui leur arrive entre deux saisons. C’est à peine si dans la colonie espagnole on a montré quelque curiosité et, chose singulière, ce sont les carlistes et leurs amis, toujours nombreux dans les Basses-Pyrénées, qui sont les plus friands de renseignements sur la marche future et la force du mouvement républicain qui commence à la villa Wecker, sous la direction de M. Ruiz Zorrilla. Si vous demandez aux carlistes pourquoi ce mouvement les intéresse, ils vous diront avec une entière franchise et une pantomime très éloquente : "Dame, nous suivons avec intérêt toute agitation antidynastique en Espagne, dans l’espoir qu’elle nous aidera à retourner là-bas." Et ils vous montrent cette ligne de sierras à moitié perdue dans la brume là-bas, bien loin, qu’on aperçoit du haut de la côte des Basques. La villa Wecker, théâtre du conciliabule républicain fédéral et radical, est si tuée à l’angle de la route qui couronne les falaises de la côte des Basques en face de la mer. La côte décrit une courbe qui permet au regard d’embrasser jusqu’à l’embouchure de la Bidassoa, le Monte-Jaizquibel et les sombres montagnes du Guipuzcoa. C’est un admirable panorama. 


pays basque autrefois carlisme
VILLA DE WECKER BIARRITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



La villa a pour hôte principal M. Ruiz Zorrilla, qui représente, avec MM. Martos, Figuerola, Montero Rios, l’élément radical et progressiste. Il s’est fait républicain depuis l’avortement de la monarchie d’Amédée de Savoie. M. Salmeron, avec MM. Azcarate, Chao, Fernando Gonzalez, représente l'élément fédéral républicain avec de vagues tendances économiques qui ne sont pas éloignées du socialisme. 



pays basque autrefois carlisme
MANUEL RUIZ ZORRILLA



Il y a enfin deux ou trois hommes d’Etat du parti radical. 



Il avait été décidé que les membres de la conférence garderaient le secret de leurs délibérations ; mais la décision n’a pas été respectée. 



Il n’y a pas de peuple chez qui on entoure la politique de plus de mystère et de solennelle discrétion qu’en Espagne, et il n’y a pas de société politique qui révèle plus facilement le secret de ses conspirations, ou de ses délibérations, car les Espagnols ont par excellence le don de tout insinuer par un regard, le don de tout trahir par une exclamation, le don enfin de chuchoter les secrets de l’Etat. Quand les principaux intéressés se taisent, il s’agite autour d’eux tout un essaim d’amis indiscrets ou trop zélés, de clients avides de répandre une excellente impression sur leurs illustres patrons, de chevau-légers de la littérature et d’irréguliers de la politique qui vous ont bien vite mis au courant des questions, discutées et des solutions adoptées. 



C'est ainsi que j'ai appris que M. Ruiz Zorrilla avait déjà depuis un mois avoué à ses collègues qu’il ne rentrerait pas en Espagne, malgré, le décret royal qui lui ouvre la frontière. C’est ainsi que nous entendons dire que, dans la conférence, trois tendances sont en présence : le fédéralisme transigeant, la révolution intransigeante, et l'habileté politique qui voudrait amener tout le monde à coopérer dans les élections prochaines, de façon à avoir aux Cortès une minorité respectable d’éléments démocrates. Nous savons en outre que MM. Azcarate, Salmeron et consorts iront en Espagne occuper leurs chaires de professeur ; tandis que M. Martos, lui, dirigera les élections et la propagande publique du parti. Les mêmes indiscrétions permettent de dire que M. Ruiz Zorrilla croit fermement pouvoir être plus utile à la cause de la démocratie dans son exil volontaire, qu’il ne le serait à Madrid, perdu au milieu de la brillante phalange des orateurs de la gauche. Etant donné cette attitude respective des hommes d’Etat républicains réunis à la villa Wecker, on commence à se demander, même dans leur entourage, pourquoi ce conciliabule, et quel en sera le résultat. Si l’on cherchait une entente cordiale, on ne l’a trouvée que sur les principes et dans le domaine des espérances, puis que sur les procédés, sur la marche à suivre, il y a une opposition aussi radicale que jamais entre MM. Martos, Echegaray, Montero Rios, retournant à leur labeur, et M. Ruiz Zorrilla, cantonné dans son exil aujourd’hui volontaire ; à moins toutefois que la malveillance des conservateurs n’ait deviné juste en prêtant à M. Ruiz Zorrilla la pensée de coopérer à l’œuvre de ses coreligionnaires par des moyens qui, depuis cinquante ans, sont de tradition sur la terre classique des pronunciamientos. C'est assez vous dire que M. Ruiz Zorrilla est plus que jamais séparé de M. Castelar et des républicains modérés par un abîme, et, du train dont vont les choses, il ne semble pas que la conférence de Biarritz ait fait faire un pas aux groupes démocrates vers l’union et l'entente qui est désirée par leurs partisans. On voit même poindre vaguement des sentiments qui, s'ils se développaient, pourraient donner naissance à un groupe démocrate monarchique. Qui vivra verra."



A suivre...





Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

Plus de 5 300 autres articles vous attendent dans mon blog :

https://paysbasqueavant.blogspot.com/


N'hésitez pas à vous abonner à mon blog, à la page Facebook et à la chaîne YouTube, c'est gratuit !!!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire