LES FÉLIBRES ET LES CIGALIERS À
SAINT-SÉBASTIEN EN 1890.
En 1890, les défenseurs de la langue provençale se réunissent en Guipucscoa.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Dépêche, le 22 août 1890 :
"De notre envoyé spécial :
Saint-Sébastien, 19 août.
...A côté de la députation, dans l'aile droite du palais, le gobierno civil, la préfecture ; et sur la place de Guipuzcoa, un square pittoresque, œuvre d'un paysagiste français, M. Ducasse, qui est demeuré longtemps installé à Saint Sébastien.
Quelques visites encore à divers monuments, et nous arrivons au Casino, où on nous distribue nos billets de logement et nos cartes pour la course de taureaux.
Le Casino est administré à la française ; sa cuisine est mixte : franco-espagnole et fort bien faite ; nous déjeunons en hâte et chacun s'en va faire ensuite un peu de sieste, car il est entendu que nous nous retrouverons à quatre heures de l'après-midi aux arènes qui avoisinent la gare.
Très belles, très animées, ces arènes, remplies aux balcons de jolies Espagnoles en toilettes claires, beaucoup d'entre elles en mantilles, brunes et blondes.
Vous n'attendez pas de moi, je l'espère, une description sensationnelle des courses de taureaux. Tant d'autres l'ont fait, et de si magistrale façon !
PLAZA DE TOROS ST SEBASTIEN GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nous occupons aux balcons sombras, à l'ombre, trois grandes loges décorées de drapeaux français et espagnols. Nous avons avec nous MM. F. Echevarria y Arrizabalaga et Lizarriturry, ainsi que le consul général de France.
Le spectacle qui nous est offert ne manque pas de grandeur, mais une chose nous répugne et nous écœure : l'éventrement des chevaux, qui succombent par couples, à la file, à chacune des "corridas". Tout ce sang répandu, toutes ces tripes mises au soleil, cette mort fatale, triste, lamentable, nous impressionne péniblement, quelque vaillance que mettent les "piccadores" à éviter à leurs montures les cornes implacablement cruelles des taureaux affolés.
Pourtant, je me surprends à applaudir les passes brillantes des "banderilleros" et le jeu superbe, plein de bravoure d'Angel Pastor et de Sparterro, deux crânes matadors.
Au total, six taureaux mis à mort et une vingtaine de chevaux éventrés.
Angel Pastor — tout comme on fait pour les princesses andalousas — a "brindé" un taureau en notre honneur. La bête est morte au troisième coup d'épée, et nous avons répondu à cette politesse, — de l'homme, entendez-moi bien — par l'envoi de quelques cigares exquis et d'un bâton d'honneur acheté par souscription et portant une dédicace de circonstance.
MATADOR ANGEL PASTOR 1889 |
A la sortie des arènes, je me suis payé le défilé de "las caras bonitas" aux yeux superbes, mais ne vous regardant jamais, ce qui me cause un chagrin extrême.
Le soir, à huit heures, dans la grande salle de session "del Ayuntamiento", convertie en salle de banquet, décorée de fleurs et de drapeaux des deux nations, nous nous sommes trouvés réunis autour d'une table somptueusement servie par M. Bourdette, le Vatel français du grand casino de Saint-Sébastien.
MAIRIE ST SEBASTIEN GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le banquet était présidé par M. Acuna, gouverneur civil, ayant à sa droite MM. Sextius Michel, D. José Machiru Parrena, vice-président de la députation provinciale ; Calvinhac, député de Toulouse ; Gaillard, député de Vaucluse, et, à sa gauche, MM. Henry Fouquier, député, président de la Cigale ; Saint-Sauveur, consul de France à Saint-Sébastien ; Samaniego, premier alcade ; Calbeton, vice-consul d'Espagne à Bayonne ; MM. Amilibia, D. Leonardo Muyna, ancien consul ; Bernal de O'Reilly, Bermingham, Ureola, Asqueta et autres illustrations espagnoles.
A nos côtés, des représentants de la presse locale, des artistes, des littérateurs de la province.
Pendant le repas, un orphéon espagnol a chanté la Marseillaise, la Sérénade de Saint-Saëns, le Zortzico de Gorriti, et Madrid, de Gœvard.
Le moment des brindes venu, M. Lizarriturry, en un très éloquent discours en français, interrompu par des salves d'applaudissements, a souhaité la bienvenue, une fois encore, aux félibres et aux cigaliers, au nom du conseil municipal de Saint-Sébastien. Il a fait ensuite un très habile parallèle entre la littérature espagnole et française, montrant les nombreuses affinités qui les font sœurs.
Rappelant les fêtes de Sceaux et de Montpellier, auxquelles il a assisté, M. Lizarriturry termine en formant des vœux ardents pour l'union des deux pays, et en buvant, aux poètes des félibres et cigaliers : Aubanel, Mistral, Roumanille, Félix Gras et tant d'autres.
M. Henry Fouquier a répondu à ce discours.
DEPUTE HENRY FOUQUIER |
Il a d'abord porté la santé de la reine régente et du roi d'Espagne, puis il a remercié la ville de Saint-Sébastien, son alcade, son gouverneur, les membres de l'ayuntamiento, les membres du consistoire littéraire, les confrères de la presse espagnole et tous ceux qui ont participé à un titre quelconque à l'inoubliable réception de la caravane française.
Il ne m'est pas possible de reproduire ni d'analyser le discours du président de la Cigale, mais je puis constater qu'il a profondément impressionné les Espagnols..
M. Sextius Michel a dit quelques bonnes paroles au nom des félibres, et salué le poète illustre de la Catalogne : l'abbé Balaguer, ici présent.
M. Acuna, gouverneur de la province, à porté la santé de la France artistique et littéraire.
Ont brindé encore: MM. Saint-Sauveur, consul général de France ; Calbeton, député de Saint-Sébastien ; A. Eschemauer ; Imbert, marin français ; von Tienoven, professeur hollandais ; Alexandre Delbaille, publiciste ; Albert Tournier, secrétaire de la Cigale ; Azac, Pirala, Ensenat, académiciens ou littérateurs espagnols ; enfin, un rédacteur du journal El Guipuzcoano, qui a levé son verre à la loyauté, à la sincérité des relations franco-espagnoles.
Vous pensez si ces divers orateurs ont été applaudis !
J'allais oublier le brinde si ému, si sincère de M. Samaniego, maire de Saint-Sébastien, à notre chère patrie : à la France !
J'oubliais aussi de dire que nous avons fait un succès à notre confrère de l'Echo de Gascogne, d'Agen, qui nous distribue, comme souvenir des fêtes cigalières et félibréennes, un numéro spécial de son journal contenant le portrait des poètes et littérateurs dont nous venons d'inaugurer les monuments.
Après le banquet, nous passons dans une autre salle où une soirée littéraire, moitié concert, est improvisée.
Nous applaudissons là un éminent pianiste espagnol, M. D. Leonardo Moyna ; les frères Lionnet, ces délicieux chanteurs basques ; M. Mounet-Sully, l'éminent artiste du Théâtre-Français, qui séduit et émeut les Espagnols ; Paul Coffinières, qui nous dit la Vague et bien d'autres dont les noms m'échappent.
Il me resterait, maintenant, à vous parler du feu d'artifice, bien couleur locale "toro de fuego" tiré en notre honneur sur la place de la Constitution, de nos excursions du lundi, de mes impressions personnelles sur l'ensemble de ces fêtes.
PLACE DE LA CONSTITUTION ST SEBASTIEN PAYS BASQUE D'ANTAN |
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