L'ÉNIGME BASQUE.
L'origine du peuple basque remonte à la nuit des temps et reste inconnue à ce jour, malgré les très nombreuses hypothèses à ce sujet.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Croix, le 30 juillet 1925 :
"Revue des revues.
L’Énigme Basque.
II. La littérature populaire.
Il y a un axiome qui court les manuels et les dictionnaires : Les Basques n’ont pas de littérature.
Je le confesse : l’euskara n’a ni ses Niebelungen ni sa Chanson de Roland , et il attend toujours un Mistral pour nous donner sa Mireille.
L’ancienneté même de la langue basque permet de croire que si l’euskara fut jamais une langue de civilisation, cette civilisation est si prodigieusement lointaine que tous ses monuments ont depuis longtemps disparus, comme ont disparu, au reste, les traces vraiment anciennes de la civilisation celte-ligure. En somme, le peuple basque est exactement sur le même pied que les autres peuples préhistoriques, exception faite d’un petit nombre, tels que les Assyriens et les Hindous, que sauvent de la nuit complète le Code d'Hammurabi et les poèmes des Vedas.
La littérature basque existe, et non pas seulement la littérature de folk-lore (proverbes, devinettes, chansons légères), mais la littérature proprement dite, l'expression hautement littéraire du génie lyrique ou esthétique d’un peuple, d’une race, d’une langue. La littérature française s’enorgueillit de ses chansons de geste et de ses mystères, nous les avons aussi ; de ses légendes poétiques, nous les avons aussi ; de ses œuvres de prose abondante, cadencée, éclatante de période, d’harmonie et d’images, nous les avons aussi ; de ses poèmes, de ses romans même, nous les avons encore ; de son théâtre enfin, et nous l’avons, éminemment populaire et original...
Ce qui fait toute la beauté de la poésie euskarienne, c’est d’abord l’exquise simplicité des sentiments, leur fluidité, limpide et fraîche, leur noble sobriété d’expression. Pour les bien comprendre, il faut faire table rase de toute notre rhétorique latine. Il faut descendre dans l’âme populaire à la faveur de ces mots si simples et si spontanés et chercher à comprendre tout ce qu’ils renferment de naïveté, d’émotion, de douceur infinie. Il faut avoir sans cesse devant les yeux le cadre incomparable où ces mots ont été pris et où, seulement, ils ont tout leur sens.
Beaucoup de ces poésies, satiriques ou amoureuses, s'inspirent de la chasse à la palombe. Ce mot usua est vite traduit en français : palombe. Il ne vous dit rien. Vous n'avez sous les yeux qu’un schéma, un mot imprimé. Pour en goûter la poésie, il faut voir cet usua tel que le poète l’a vu, tantôt fouettant de l’argent de ses ailes le bleu limpide du ciel quand, de la clarté des vallées perdues, le vol passe sur la forêt de hêtres où le chasseur l’attend dans son gîte de branches au plus haut de l'arbre, tantôt jetant le sifflement rythmé de ses ailes sur le silence des glaciers et des morènes pour passer en Espagne, et tantôt captif, les paupières cousues, les pattes attachées à la palette pendant les longues heures de guet à la cabane. Et c’est, en effet, à ces trois visions très distinctes que répond ce mot usua dans les trois poètes souletins : Urzo luma gris gaixua (Pauvre palombe à plume prise), Urso xuria errazu (Dites-moi, blanche palombe) et Urxaphalarem malüra (Oh ! la peine du pigeon ramier).
Si nous étions au temps du romantisme où encore du lyrisme ampoulé d’un Lefranc de Pompignan ; je désespérerais de vous faire goûter la suprême sobriété de la poésie basque. Mais nous revenons, en France, à la douce simplicité des classiques, à un classicisme affranchi de toute cette mythologie, de tout ce conventionnel qui le guindait. Verlaine et Francis Jammes, en poésie, Charles Bordes et Vincent d’Indy, en musique, nous ont ramenés au goût des notations toutes pures. Et comme notre génération sait goûter les mélodies grégoriennes, ainsi elle ne tardera pas à comprendre la pure ligne onduleuse sans heurts, sans éclats, sans arpèges et sans trémolo de la poésie euskarienne.
Toutefois ce n’est point dans cette sobriété et cette simplicité que réside uniquement le caractère vraiment original de la beauté littéraire dans les œuvres basques. Ce caractère, il faut le chercher surtout dans le jeu extraordinairement compliqué à la fois et aisé qui manie, avec une variété infinie, une aisance et une harmonie souveraines, les formes les plus complexes du verbe et de la syntaxe, pour amener au bout de la phrase l'idée, comme la liane enchevêtrée autour de l’arbre projette tout là-haut, au bout de ses résilles inextricables, la lumineuse fleur. Assurément pour bien comprendre ce charme que la meilleure traduction ne saurait rendre il faudrait être familiarisé avec la langue basque. Rien, dans nos idiomes romans aux concepts courts et jolis, fragmentés en petites périodes claires que l'on comprend à mesure, ne peut donner une idée du plaisir esthétique qu'on éprouve à suivre une longue phrase cadencée et n’en goûter qu’à la fin et le sens et l’harmonie. En écoutant se dérouler, lentement, la phrase à travers les périodes incidentes qui en font prévoir la signification dernière sans cependant l’exprimer, l'esprit est délicieusement tendu vers ce dernier mot pressenti et deviné : et à l'entendre enfin, tel qu’on l'avait prévu, ou encore plus joli, l’esprit s’épanouit en une délicieuse détente pleine de charme. C’est par là qu’il faut expliquer la faveur dont jouissent, chez les Basques, les bardes ou improvisateurs populaires, complément obligé des repas de noces, de nos fêtes traditionnelles ou simplement des longues veillées du dimanche dans les cidreries.
Ce peuple, qui "n’a pas de littérature", est, en effet, le peuple du monde qui possède le plus grand nombre de poètes. Il n’est peut-être pas un seul village en pays basque qui ne compte un ou plusieurs improvisateurs : paysan, berger, pêcheur, bûcheron, contrebandier. Aux deux bouts de la table, à la cidrerie, ou vers la fin des repas dans un beau domaine de la montagne, ils se guettent, se cherchent du regard, immobiles, graves, comme pour un défi. Les commensaux, qui épient le régal attendu, les excitent, les aguichent longtemps : "Allons ! jette une strophe !". Ah ! ils se font prier ! Les minauderies de certaines jeunes filles de salon quand on les prie de se mettre à leur piano ne sont rien auprès de leurs résistances. Aux dernières fêtes de Sare où les alléchaient pourtant les prix en argent offerts aux meilleurs, il nous fallait aller les chercher dans la foule qui nous les désignait, les empoigner à bras-le-corps, les pousser, les hisser sur l'estrade et les y maintenir (car ils voulaient s’échapper encore) jusqu'à ce que, ayant enfin commencé, ils ne consentaient plus à se taire.
L’un débute, d’une voix haute, presque blanche, les traits pâlis ou contractés par l'émotion. Il chante une strophe, généralement de quatre vers, sur quatre rimes égales de treize pieds ; six, plus une muette au premier hémistiche, et cinq, plus une ferme au dernier.
Une seconde de silence, et une voix s’élève à l’autre bout de la salle. Le second improvisateur a relevé le défi. Ils sont partis. Vous ne les arrêterez plus. Sans se concerter à l’avance, ils ont adopté chacun son point de vue ; tantôt une idée politique, plus souvent un état social (Américain et terrien), ou bien un métier (meunier et paysan), ou bien un objet (l’espadrille et le sabot). Pour un étranger, le spectacle qu'offre l'auditoire n’est assurément pas le moins intéressant. Accoudés sur la table, le menton dans la main, les yeux brillants, un sourire finaud sur les lèvres à mesure que l'idée le précise, la bouche grande ouverte à la fin et prêts à s'esclaffer, ces hommes au visage glabre suivent avec une attention passionnée révolution de la pensée et de la strophe.
On a pris des photographies de ces auditoires. Elles sont significatives. Rien n’égale l’intensité de communication qu'elles accusent entre le poète et ses auditeurs.
L'IMPROVISATEUR TABLEAU DE BORY MUSEE BASQUE BAYONNE |
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