L'ÉNIGME BASQUE.
L'origine du peuple basque remonte à la nuit des temps et reste inconnue à ce jour, malgré les très nombreuses hypothèses à ce sujet.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Croix, le 28 juillet 1925 :
"Revue des revues.
L’énigme basque.
I. L’histoire.
Les Etudes du 20 juillet publient un travail du R. P. Lhande sur l’histoire et la littérature du peuple basque. On sait que l’absence des documents anciens entoure d’une obscurité impénétrable tes origines lointaines de ce petit peuple à la langue étrange.
Les historiens et les poètes de l’antiquité, depuis Hésiode (800 av. J.-C.) jusqu’à Avenius (300 ap. J.C.) mentionnent bien l'existence, sur les deux versants des Pyrénées occidentales, d’un peuple à part, possédant une langue toute différente de celle de ses voisins. Mais aucun ne donne à ce peuple le nom que les Basques semblent bien s’être toujours donné : Eskualdunak. Ils l’appellent successivement "Ibères, Draganes, Turdétans, Cantabres, Vascons, Aquitains". D’où la difficulté d’identifier les Basques de nos jours. Pour trouver un document qui nous révèle d’une façon catégorique l’existence d'un peuple parlant l’eskuara dans ces régions. Il nous faut remonter des sources de l’histoire jusqu’aux abords du XIIe siècle. A cette époque seulement, le Codex du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle (publié par le P. Fita et J. Vinson) relève quelques mots de l’idiome des "Bascli" : Ursia (Dieu), orgui (pain), ardum (vin), aragui (chair), araing (poisson), echea (maison), iaona (maître de maison), andrea (maîtresse), gari (froment), etc. Et ces mots sont bien basques et usités encore aujourd’hui à peu, près dans la même acception. De plus, le peuple qui parle cette langue nous est présenté comme une famille "de même similitude et qualité pour ce qui est de la nourriture, des vêtements et de la langue..." Pour trouver un texte basque plus complet, il faut descendre jusqu’aux chansons biscayennes des Gamboinos et Onacinos, à la fameuse citation basque du Pantagruel, à la chanson de Perucho découverte par l’éminent polygraphe espagnol Menendez y Pelayo, au chant de Lelo et aux poésies de Detchepare, le premier livre connu imprimé en basque (Bordeaux, 1545).
LE CODEX DE ST JACQUES DE COMPOSTELLE DE FITA ET VINSON |
PANTAGRUEL DE RABELAIS 1542 |
Avouons, toutefois, que quand il n’existerait ni une ligne de basque imprimé ni une allusion, dans le passé, à l’existence des Basques, le problème demeurerait là, aussi mystérieux que jamais, du fait seul qu’il subsiste aujourd’hui un peuple dont nul ne connaît l’histoire, parlant une langue qui n’a guère d’analogie avec les autres et qui révèle seulement, par sa structure et surtout, sa conjugaison, un système depuis longtemps aboli dans les idiomes parlés sur la surface de la terre.
Ce peuple, avec sa langue, étrange et complexe, n’a pu surgir là tout à coup, dans notre ère moderne, parmi des peuples de langues romanes. Donc, avec son idiome, il procède de plus loin, par le temps ou par l’espace.
Certains, comme M. Julien Vinson, las de se perdre dans les généalogies des races, se résignent à penser que les Eskualdunak ont toujours vécu sur ce même coin de terre depuis le partage du monde.
Mais ce système a un inconvénient. Il ne nous explique plus cette traînée de noms géographiques appartenant sans aucun tour de force étymologique à l'eskuara ou à des langues très proches du basque, et qu'on retrouve sur toute la carte géographique du monde antique, du Caucase à Cadix de l’Orient à l’Occident. Si les Basques n'ont été de tout temps qu’une "tribu peu nombreuse cantonnée dans les Pyrénées occidentales", qui donc a été fondée à 100 lieues de là, dans toute la péninsule, des villes dont les noms sont : Ilberri, Bilbili, Ilerdi, Ilidor, Iligor. etc. ? Qui a porté, tout le long de "la route naturelle qui va de Somport à Toulouse" (Juilian, p. 265), des noms tels que le pâtre le plus illettré de la Rhune ou d’Orhy en devine le sens encore aujourd’hui : Iluro, Lapurdo, Bigorra, Iliberri, Hungunverro, peut-être Garona ? Comment expliquer, sans admettre que ce peuple est bien sorti un jour de ses "vallées", l’identité de ces noms de lieux avec la toponymie des sites qu’il occupe encore ; Lapurdum, Iriberri, peut-être Toulouse et Tolosa, Garona et Arrona (village du Guipuzcoa), etc. ? Or, la plupart de ces noms remontent à la plus lointaine antiquité. Il faut donc admettre ou bien que ce peuple a erré à travers l’Europe avant de se fixer dans sa terre d’aujourd’hui, ou bien qu’un jour il a essaimé au loin. De toute façon, il a été un peuple migrateur, — il l'est encore aujourd'hui. Mais l’histoire connaît les grands peuples migrateurs qui ont passé sur notre sol : Celtes, Ibères, Ligures... A laquelle de ces grandes branches appartient le peuple basque ? De laquelle nous a-t-il conservé, dans le fond vraiment authentique de sa langue — c’est-à-dire dans son caractère agglutinant et son formidable appareil verbal, — l’idiome actuellement perdu ?
C’est ici la clé du mystère.
Aujourd’hui, la science, qui a écarté définitivement les deux tiers au moins des hypothèses émises sur l’origine des Basques, a ramené la question à cette formule : "Les Basques sont-ils, oui ou non, les descendants des Ibères ?" De là, les deux camps qui se partagent l’arène de la controverse fameuse : les ibéristes ou partisans de l’identité ou, du moins, de la parenté étroite des deux races ; les antiibéristes ou partisans de la distinction.
Les ibéristes ont à leur tête le célèbre philologue prussien Guillaume de Humboldt, dont les fameuses Recherches sur les habitants primitifs de l’Espagne à l’aide de la langue basque parurent à Berlin en 1821 et furent traduites en français en 1866, en espagnol en 1879. Ce savant, qui posséda le rare privilège de connaître vraiment à fond la langue euskarienne, traita "avec plus d’érudition et une meilleure méthode que ses prédécesseurs", dit M. Julio de Urquijo, la thèse traditionnelle de l’ibérisme des Basques. Il a été suivi dans cette voie par ses compatriotes Hübner (Monumenta linguae ibericae, 1893) ; Linschmann, l’un des éditeurs de la revue basque Euskara, qui se publia à Berlin de 1886 à 1896, et fondateur de la Batkische Gesetlschaft ; Phillips (Die Eiwanderung der Iberer, 1870) ; surtout le maître incontesté des hautes études euskariennes à l’heure actuelle, M. Hugo Schuchardt, ancien professeur à l’Université de Graz.
RECHERCHES SUR LES HABITANTS PRIMITIFS DE L'ESPAGNE DE GUILLAUME DE HUMBOLDT |
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