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mardi 22 décembre 2020

LE MAIRE DE BIRIATOU ET LE CURÉ SANTA-CRUZ AU PAYS BASQUE EN 1873 (première partie)

SANTA-CRUZ ET LE MAIRE DE BIRIATOU.


Le curé Santa Cruz , guérillero carliste, était un personnage hors du commun, considéré en Navarre comme un héros populaire, alors que ces adversaires le surnommait "le curé cabecilla" (le curé meneur ou leader), bandit en soutane ou encore "saint cabecilla" ou "saint homme qui s'approprie charitablement le produit de ses rapines".




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CURE SANTA CRUZ 1872

Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Patrie, le 30 juillet 1873, sous la plume d'H. 

Castillon :



"Huit jours de séquestration par ordre de Santa-Cruz.



I. 

Béhobie (France), juillet 1873. 



Jeudi, 26 du mois de juin, je m'étais transporté à Vera afin de recueillir des renseignements sur la bataille d’Astiarragata, où Nouvilas, disait-on, avait été fait prisonnier deux jours auparavant. M. Bathasar Ilardoy, maire de Biriatou (commune française), qui exerce depuis vingt-huit ans les fonctions municipales, voulut bien m’accompagner dans cette excursion. Arrivés à dix heures et demie à Vera, chef-lieu du district où Santa-Cruz dominait toute la frontière, nous nous rendîmes ensemble au domicile du colonel carliste Martinez, que j'avais déjà vu plusieurs fois à Vera, et nous lui demandâmes les renseignements que j’étais venu chercher.



Après m’avoir répondu que rien d’officiel sur ce combat n’était encore parvenu à sa connaissance et que, d’ailleurs, il ne pourrait pas m’en donner, attendu que Santa-Cruz exerçant une autorité absolue, c’était à lui qu’il fallait s'adresser, nous rentrâmes à l’auberge où nous étions descendus. Il était évident pour moi, d'après cette réponse, que toute autorité militaire s’effaçait devant celle de Santa-Cruz.



Au milieu du repas, où assistait M. Michel, propriétaire à Martingaud, un des hommes les plus honorables et les plus estimés de la frontière française, deux hommes portant le costume des gardes du corps de Santa-Cruz, très reconnaissables au cœur brodé en rouge sur le côté gauche de leur tunique, entrèrent en armes dans la salle, où ils se mirent en sentinelle des deux côtés de la porte.


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CURE SANTA CRUZ ET SES GUERILLEROS

— Nous voilà prisonniers, dis-je aussitôt à mes deux compagnons ; c’est une gracieuseté du genre de celles qu'a l'habitude de faire le curé Santa-Cruz, à l’égard des Français.



Nous n'en continuâmes pas moins notre repas silencieusement, les sentinelles restant muettes. Cependant, vers la fin de notre déjeuner, je leur demandai quel était le motif de leur présence et si nous étions prisonniers. L’un d’eux me répondit alors qu'ils étaient venus seulement chercher l’alcade (maire) de Biriatou pour le conduire en prison. Sur ce, ils l’emmenèrent.



Immédiatement M. Michel et moi, indignés de cette arrestation que rien ne motivait, nous nous rendîmes au domicile de Santa-Cruz pour demander la mise en liberté de notre vénérable compagnon.



Santa-Cruz rentrait avec son escorte, composée de cinq ou six officiers qui étaient son état-major et de huit hommes sa garde, le fusil au bras.



Santa-Cruz est âgé d’une trentaine d’année, de taille moyenne ; sa physionomie, fort commune, se distingue par les traits d’une rudesse sauvage ; ses yeux, recouverts par d’épais sourcils noirs, jettent de temps en temps des regards fauves ; il parle très peu. Il portait son costume habituel : un béret de couleur sombre qui recouvrait ses cheveux coupés en brosse ; une veste qu’il avait jetée sur son épaule gauche, à la façon des Basques, de sorte qu’il était en manches de chemise ; un pantalon gris, et des espargatas aux pieds.



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MANUEL SANTA CRUZ LOIDI



Je l'abordai au milieu de son entourage, et tout en marchant je lui exposai brièvement l’objet de ma visite, en lui disant que j’étais correspondant d'un journal de Paris qui n'était pas hostile à la cause carliste ; que j’étais porteur d’un passeport et d’autres pièces qui pouvaient établir la sincérité de mes dires, et qu’enfin, je lui demandais la liberté de M. le maire de Biriatou, qu’on venait d’arrêter par son ordre.



Santa-Cruz m’écouta sans me répondre un mot ; puis se tourna vers un de ses officiers en prononçant un mot basque ; ce mot est immédiatement transmis au chef de l’escorte, qui, détachant quatre hommes, nous arrêta, M. Michel et moi, et nous conduisit a la prison, où se trouvait déjà M. le maire.



Cette arrestation imprévue et accomplie dans les conditions que je viens de décrire, peuvent donner une idée du despotisme de ce prêtre-soldat qui répandait la terreur parmi les populations de la Navarre, et surtout des frontières de la France.



L’endroit où nous fûmes enfermés était une salle étroite au second étage d’une vaste maison que Santa-Cruz a réquisitionnée pour servir de lieu de détention provisoire aux prisonniers. Elle servait aussi de poste à huit ou dix de ses gardes-du-corps, de véritables hercules par la taille, des brutes accomplies sous le rapport de l’intelligence. Deux de ces janissaires de Santa-Cruz se mirent en faction sur la porte d’entrée de cette singulière prison, tandis que les autres passaient leur temps à vider des outres pleines de vin, à nous insulter et menacer avec leurs fusils comme étant des Français qu'il fallait matar et et fusillar (tuer et fusiller) ; enfin, à s’endormir sur des tas de paille qui remplissaient la moitié du réduit où nous nous trouvions.



Voici un trait du caractère de ces bandits constitués nos gardiens.



Ne voyant arriver personne pour nous interroger, depuis deux heures que nous étions debout dans une anxieuse attente, je me permis de demander à l’un d’eux ce qu'on voulait faire de nous.



— Parbleu ! me répondit-il en mauvais espagnol, car ces gens-là ne parlent que le basque, vous fusiller dans un instant.



— Pourquoi nous fusiller ? dis-je à mon tour ; vous n’êtes donc pas carlistes ? car si vous l'étiez, vous ne parleriez pas de fusiller des carlistes.



A ces mots, dont il ne comprit pas sans doute le sens, il répliqua avec fureur :



— Ah ! nous ne sommes pas carlistes ! nous ne sommes pas carlistes !



Il se rua aussitôt sur moi et me terrassa d’un coup de poing. Comme je me redressais tout meurtri pour lui reprocher sa brutalité, il s’élance de nouveau sur moi avec la baïonnette de son fusil, et il allait me transpercer lorsque M. Michel détourna son arme, tout en m’engageant à garder le silence et à patienter.



A sept heures du soir, deux officiers de l’état-major de Santa-Cruz arrivèrent dans la salle, escortés de quatre nouveaux gardes, l’arme au bras ; ceux du poste ayant pris également les armes, ils formèrent un cercle autour de nous. L’un des deux officiers me demanda d’abord mes papiers, les examina avec soin ; puis mon porte-monnaie, dont il fit l’inspection. Après quelques explications insignifiantes, je lui demandai le motif de notre arrestation.



— Santa-Cruz vous fait ses prisonniers, me répondit-il, parce que le gouvernement français a interné et interne tous les jours des carlistes. Il vous retiendra en son pouvoir comme otages jusqu'à ce que plusieurs internés nous soient rendus. Tel est le motif de votre arrestation.



Toutes les observations que je pus lui faire au sujet de cette mesure inique furent inutiles.



Il s’adressa ensuite à M. le maire de Biriatou et lui reprocha, avec l'accent d’une fureur concentrée, d'avoir dressé un procès-verbal, deux mois auparavant, au sujet de la violation du territoire que s’étaient permise six carlistes armés en venant arrêter, dans le domicile même du maire, deux déserteurs de la bande de Santa-Cruz. M. le maire, mis en cause, s’efforça en vain de lui faire comprendre que l’autorité supérieure avait exigé cette constatation que son devoir et les lois de la France lui commandaient. L’officier instructeur lui déclara que pour le même motif, il partagerait avec moi la même captivité. Deux questions adressées ensuite à M. Michel sur sa présence à Vera ayant terminé ce triple interrogatoire, les deux officiers quittèrent la salle, nous laissant aux mains des gardes, sans autre espoir que de rester prisonniers indéfiniment.



M. Michel ayant été mis en liberté à huit heures du soir, M. le maire et moi nous passâmes une nuit affreuse, une de ces nuits dont le récit peut paraître tout d'abord emprunté à un chapitre de quelque roman de Cooper. Nous étions couchés sur la paille dans un des coins de cette salle infecte, occupée en entier par les séides de Santa-Cruz. En outre des deux factionnaires qui gardaient la porte d’entrée, un troisième était assis à côté de moi, le fusil sur ses genoux et la pointe de sa baïonnette dirigée vers ma poitrine, à la distance de cinquante centimètres. Les autres gardes buvaient, dansaient, chantaient autour de nous, nous menaçant de leurs fusils et criant de temps en temps : Muerta à los Franceses !



Une dispute étant survenue entre deux de ces bandits, ils en vinrent aux mains, et, s’armant de leurs carabines, ils allaient se fusiller, sans l’intervention de leurs compagnons, qui parvinrent à les désarmer. Si ce duel à coups de fusil s’était effectué dans une salle aussi étroite, il était impossible que nous n’en fussions pas nous-mêmes les victimes.



Le lendemain vendredi, le maire, accablé par les émotions qu’il avait ressenties la veille, tomba malade. La fièvre s’empara de lui ; tremblant et grelottant de froid, il restait en syncope des heures entières. Je demandai aux gardes d’aller chercher un médecin ou du moins d’aviser Santa-Cruz de l’état où se trouvait un de ses prisonniers, vieillard septuagénaire. A cette demande toute naturelle, les bandits se mirent à rire et à se moquer du malade. J’insistai pourtant auprès de l’un d’eux pour faire appeler la dame, propriétaire de la maison, qui se chargeait nous procurer notre nourriture ; car, quoique prisonniers, nous devions pourvoir nous-mêmes et de nos deniers, à nos modestes repas.



Cette dame respectable, dont je regrette de ne pas connaître le nom, fut, pendant les trois jours que nous restâmes séquestré à Vera notre providence. Elle pourvut à nos besoins et nous consola, tout en protestant par son silence contre les iniquités dont nous étions les victimes. Elle s’empressa de venir à mon appel, fit apporter des tisanes et promit, sous le sceau du secret, d’envoyer auprès du malade le médecin de la localité.



Il vint, en effet ; c’était un petit homme à la tournure d’un officier de santé ou barberio, tel que Lesage les dépeint dans son roman de Gil-Blas. Il examina consciencieusement le malade, lui ordonna une potion qu’il alla préparer lui-même et qu’il vint ponctuellement administrer ,en présence des gardiens qui l’entouraient.



Comme je lui demandai d’intercéder pour ce brave homme auprès de Santa-Cruz :



Per Dios ! s’écria-t-il effaré, qu’il ne sache pas, au moins, que je suis venu ici ; et il s'empressa de fuir à toutes jambes.



J’entre dans tous ces petits détails, afin de donner une idée en France de l’horrible despotisme qu'exerce Sinta-Cruz dans son district, alors surtout qu’il s’agit d’assouvir sa haine contre les Français.



L'arrivée d’un troisième prisonnier fit diversion aux souffrances de la troisième journée : c'était M. Irey d’Ostabat, canton d’Yholdy (Basses-Pyrénées). Arrivé depuis dix jours de Montevideo, où il était resté dix ans comme industriel, il était venu apporter à M. Apestégui, maire de Véra, des valeurs qui lui avaient été confiées. Avisé par ses espions de la présence de cet autre Français dans sa capitale, Santa-Cruz l'avait fait également arrêter malgré son passeport en règle et la mission de confiance qu’il venait accomplir auprès de l'alcade de Véra.



Enfin une quatrième séquestration, celle de M. Irey, jeune homme de trente ans, produisit une extrême irritation dans la localité. Nous pensâmes que cette irritation aiderait notre délivrance. Erreur.



Le samedi suivant, 28 juin, les janissaires de Santa-Cruz parurent vouloir s'humaniser ; ils se montrèrent moins féroces à mon égard et surtout à l’égard du maire de Biriatou. qui allait beaucoup mieux ; mais à midi, un des gardes vint nous annoncer de nous tenir prêts à partir.



— Pour quel endroit ? lui demandai-je. 



—Pour Achulégui ! 



Ace mot d’Achulégui, un frisson me parcourut tout le corps. Je savais par l’expérience que j’avais acquise par cinq mois de séjour dans les provinces insurgées en qualité de correspondant de journaux, que c'est dans les montagnes d’Achulégui que Santa-Cruz envoie les prisonniers dont il veut se débarrasser ; que c’est à Achulégui qu’il opère ses exécutions sommaires;  que c’est, enfin, du camp d’Achulégui, repaire de ses bandes, qu’il les fait partir pour exécuter les vols, les incendies, les réquisitions et le pillage dans tous les environs, depuis Tolosa jusqu’à Irun.



— Nous ne partirons pas, M. le maire et moi, pour Achulégui ! répondis-je à l’envoyé de Santa-Cruz. Allez dire à votre maître que ce n’est pas à notre âge qu’on fait gravir à pied des montagnes infranchissables. Nous aimons mieux être fusillés ici que dans les gorges d’Achulégui !



Me voyant très résolu à ne pas obéir à ses ordres, l’envoyé m’engagea de venir moi-même faire part de ma détermination à Santa-Cruz, me priant de ne pas lui dire le lieu où il nous envoyait, afin de ne pas le compromettre.



Je fus conduit entre quatre gardes dans la maison de Santa-Cruz et déposé dans un vestibule du rez-de-chaussée, où il vint me rejoindre quelques minutes après.


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LIVRE LA CROIX DE SANG CURE SANTA CRUZ


— Santa-Cruz, lui dis-je le regardant en face, vous nous retenez prisonniers arbitrairement ; vous nous envoyez je ne sais où, à pied, comme des malfaiteurs ; je vous déclare que nous ne marcherons pas. A défaut de justice, notre âge devrait vous inspirer au moins plus de respect et surtout plus d’humanité.



Un caballo ! fut toute sa réponse, qu'il transmit encore au chef de l’escorte. Il me quitta ensuite en remontant les escaliers qui conduisent à son appartement.



Il fallut donc obéir quand même. Une escorte de dix hommes sous les ordres d’un chef nous conduisit tous les trois : M. Iray, le maire et moi, à la maison du maire, où un caballo (cheval) avait été réquisitionné et d’où nous devions partir pour notre nouvelle destination. Ici se passa une scène vraiment dramatique. L’alcade de Véra, M. Apestegui, qui avait espéré jusqu'au dernier moment que Santa-Cruz n’aurait pas osé nous transporter à Achulégui, refuse de fournir le cheval demandé, s’oppose à notre départ et va trouver Santa-Cruz, auprès de qui il proteste contre notre enlèvement, le déclarant une iniquité. Ce fut en vain. Il nous fallut partir, et le courageux alcade de Véra allait, le même jour, chercher un refuge en France pour lui et sa famille."



A suivre...


(Source : Wikipédia)



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