AZPEITIA EN 1873.
Azpeitia, en Guipuscoa, compte environ 6 000 habitants en 1873.
AZPEITIA GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal la Gazette Nationale ou le Moniteur Universel, dans son
édition du 13 septembre 1873 :
"Azpeitia (Guipuzcoa), 6 septembre.
L’Espagnol est conspirateur par goût et bavard par nature ; il se cache, fait partie de juntes absolument secrètes, porte des manteaux couleur de muraille, et vous arrête volontiers dans la rue pour vous conter à haute voix ses projets politiques ou privés. Il y a des secrets de polichinelle qu’on garde très soigneusement en face de tel ou tel personnage quand toute une ville les connaît déjà. "Ah ! monsieur, me dit il y a deux jours un homme fort connu, au retour de mon excursion de Vera, vous aimez à voyager et à faire part de vos impressions aux autres, voulez-vous que je vous indique une promenade très curieuse et que les Français n’ont point l’habitude de faire ? allez à Saint-Sébastien, de là à Zarauz ; vous y louerez un mulet, et le soir même, s’il est bon marcheur, vous arriverez à Azpeitia. Les Guipuzcoans vont y fêter demain la Nativité de la Vierge au célèbre monastère de Loyola." Saint Ignace n’est pas un saint très fêté en France, le fondateur de la compagnie de Jésus y est moins populaire qu’en Espagne, et surtout qu’à Azpeitia où il est né ; je déclinai donc d’abord l’offre de mon interlocuteur, mais il insista et pour vaincre mes dernières résistances, murmura cette phrase à mon oreille : "N'en dites rien ici, mais comme il faut tout vous confier, sachez que don Carlos, qui était hier avec son armée à Zummaraga, arrivera à Azpeitia, et communiera après-demain dans le sanctuaire de Loyola. L’évêque d'Urgel doit officier."
Comment résister à un pareil appel ? Le lendemain, de grand matin, je partais d’Endaye dans une barque de pêcheurs, et j’étais à Saint-Sébastien trois heures après, non sans avoir vu de fort démêlés avec le sieur Océan. Hélas ! j'en devais avoir d’autres, cette fois, avec les loueurs de carioles et les muletiers. Mon Espagnol m'avait caché les difficultés du voyage. Depuis que républicains d’un côté et carlistes de l'autre réquisitionnent les chevaux, aucun voiturier ne veut aventurer ses bêtes. Mais, comme les loueurs vivent de transports, ils consentent d’ordinaire à se mettre en route moyennant une garantie en cas de perte. C’est une source de longs débats, et j’eus tontes les peines du monde à faire bande commune avec quatre personnes qui se rendaient à Zarauz. C'est une distance de quatre lieues que notre conducteur mit trois heures à franchir avec des ombres de chevaux que les plus féroces cabecillas eussent rougi de réquisitionner.
Mais on excuse en ce pays la lenteur des chevaux, tant les sites sont variés, tant les horizons changent à chaque tournant de la route. Le magnifique panorama de la baie de Saint-Sébastien et la vue dans le lointain de dix lieues de côtes françaises subiraient à charmer les ennuis du voyage.
Plus loin, les sombres montagnes du district de Tolosa se chevauchant les unes les autres, noircissent le tableau. Nous ne rencontrâmes les carlistes ni à Usurbil sur l'Oria, ni à Zarauz où nous nous arrêtâmes. Ils se concentrent sur les frontières du Guipuzcoa et de la Biscaye. Les ports sont d’ailleurs à l'abri des incursions par la facilité qu'ont les navires de guerre à les débloquer ou à les reprendre. Zarauz est une jolie petite ville qui est à Saint-Sébastien ce que Saint-Jean-de-Luz est à Biarritz. On y prend des bains de mer sur une plage de sable fin. Elle est déserte cette année.
Il me restait 20 kilomètres à faire, et la nuit était proche. D'ailleurs, pas de moyens de transport et la certitude de ne trouver aucun logement à Azpeitia où s’étaient portés des flots de population.
Je couchai à Zarauz, et le lendemain je partis à pied avec l'espoir de trouver à Cestona une occasion de voiture. Mais il me fallait perdre l'espoir de voir don Carlos communier, tout au plus pouvais-je arriver au milieu du jour.
Cestona a donné le jour au fameux curé Merino et possède un magnifique établissement de bains. Les eaux, ont dit-on, les propriétés de celles de Plombières. Les riches espagnols souffriront l’hiver prochain de leurs rhumatismes, car il leur a été impossible d’aller se plonger cet été dans ces ondes riches en chlorure de magnésium.
A Cestona, je trouvai des carlistes appartenant aux forces de Lizaraga et conséquemment des moyens de transport. Les zones dangereuses sont seules abandonnées, le mouvement et ta vie reparaissent dès qu’on a franchi les lignes de l’un ou de l’autre parti. La joie la plus vive semblait régner dans les cantonnements carlistes. La fête de la Nativité de Notre-Dame est célébrée dans toute l'Espagne avec la plus grande solennité. A cette occasion, les populations se réunissent de dix lieues à la ronde autour des lieux consacrés de temps immémorial à cette dévotion ; on sort de leurs tabernacles et l’on promène les vierges d’or ou d'argent à travers les villes, on affirme ses croyances par des manifestations bruyantes et tumultueuses.
De Cestona à Azpeitia, il n’y a que deux lieues. Je les fis pendant la chaleur du jour, lourde chaleur d'orage coupée d’averses, dans un char aux roues pleines, attelé de deux bœufs de labour, côte à côte avec des volontaires carlistes, encore habillés de leurs vêtements de travail, mais coiffés de la boina royaliste. "Ah ! disait l'un, voici qu’une grosse partie de l’armée est par ici avec le roi, on va sans doute attaquer Saint-Sébastien, peut-être seulement Tolosa. — Non, répondait l’autre, c’est à Bilbao qu’on en veut, tu sais bien que de ce côté les troupes sont clairsemées, tandis qu'elles sont compactes sur les routes de Biscaye. Velasco est à Bermeo avec 4 000 hommes."
C'est ainsi qu’on récolte les nouvelles le long des routes. Après avoir traversé un défilé bordé de hautes montagnes, toutes occupées par de forts contingents carlistes, ceux-ci bien habillés et bien équipés, nous débouchâmes dans une belle vallée à l'entrée de laquelle se trouve Azpeitia.
C’est une ville qui doit compter plus de 6 000 habitants. Entourée d’un mur assez solide, percé seulement de quatre portes, elle pouvait résister longtemps aux efforts des carlistes, mais elle a été abandonnée par Sanchez Bregua, et les volontaires républicains qui aidaient la garnison dans son service sont devenus des volontaires carlistes.
Quelle foule de soldats et d'officiers, d’hommes et de femmes de la campagne ! Quelle joie sur tous les visages ! Comme les maisons de la grande place sont pavoisées ! Que de fidèles entourent les deux églises : celle de Nuestra Señora de la Solidad, qui possède la statue en argent de saint Ignace ; celle de San Sebastian, où le fondateur de la Compagnie de Jésus fut tenu sur les fonts baptismaux ! Mais ce n'est pas là qu’est l'intérêt. Il faut sortir de la ville avec la foule, remonter le cours de l'Urola et et gagner le sanctuaire de Loyola. Mon guide espagnol dans les provinces basques m’apprend que cet immense édifice a été élevé en 1683, par ordre de la reine Marie-Anne d’Autriche, veuve de Philippe IV, sur le domaine de la famille de Loyola et autour du vieux manoir où naquit saint Ignace.
L’architecte italien Fontana dirigea la construction du monument dont le plan, parallélogramme rectangulaire à deux appendices, a la forme d'un aigle prenant son vol. Don Carlos est logé avec son état-major dans le collège qui occupe l’aile droite. Il a communié le matin, mais un père attaché à l'église officiait, et non l’évêque d'Urgel qui suit cependant depuis quinze jours le quartier général comme grand aumônier. Deux bataillons sont sous les armes près du monastère. Ils appartiennent à l’armée navarraise. Il y a 5 à 6 000 hommes à Azpeitia, autant que j’en puis juger ; mais les villes voisines Azcoitia, Elgoibar, Eybar, Plasencia, Bermeo sont occupées également par de fortes colonnes. On dit, mais je n'ai rien pu savoir de positif, à l'état-major que des ordres de mouvement sont donnés pour demain, et je ne crois pas que le quartier général soit levé avant mardi.
L’église du monastère est fort remarquable, mais la véritable curiosité est la sainte maison, c'est-à-dire le donjon encore existant du château des Loyola. Sur son fronton, on voit encore les armes de la famille. C’est au troisième étage qu’est né Ignace, dans une chambre transformée en chapelle ; l’un des doigts du saint, relique très vénérée, est placé sous un verre, sur la poitrine d’une assez mauvaise statue du premier jésuite.
Quand on voit avec quelle vénération ces reliques sont considérées, avec quelle foi les Espagnols célèbrent leurs fêtes et le concours de populations qu'elles attirent, on ne peut se faire à l’idée que les songe-creux de Madrid remonteront un pareil courant et donneront droit de cité en Espagne aux théories de la libre pensée. Des bandes de paysans, hommes et femmes, criaient sous les fenêtres de la demeure royale, près des marches de l’église : "Vive Notre-Dame ! vive Don Carlos." Pour un peu, elles auraient crié : "Vive Dieu !" La guerre carliste est donc essentiellement religieuse et ne pourrait être vaincue que par un gouvernement qui donnerait aux provinces les plus croyantes d’Espagne des garanties de respect de la religion et des coutumes locales, même superstitieuses.
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