LA MAISON DE ST IGNACE DE LOYOLA EN 1931.
Loyola est un quartier d'Azpeitia, en Guipuscoa, connu dans le monde entier grâce à son sanctuaire.
MAISON SAINTE DE LOYOLA AZPEITIA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je vous ai déjà parlé de la maison de St Ignace de Loyola, dans un article précédent.
Voici la deuxième partie de l'article paru dans Le Journal, dans son édition du 12 novembre
1931 :
...Le monastère enferme la maison natale comme un saint des saints. Il est formé d'une série de constructions surajoutées au cours des siècles et qui s'enchâssent les unes dans les autres, ce qui a fini par en faire une vaste citadelle.
J'ai parcouru les larges couloirs nus, le parloir, les réfectoires aux boiseries bien astiquées, les salles de classe — car nous sommes ici dans un noviciat — les cours fleuries où des saints de plâtre, Louis de Gonzague, Stanislas Kotszka, offrent en modèle aux élèves leur légendaire pureté.
Tout, jusqu'aux cuisines, où des frères lais silencieux en tablier de toile, épluchaient dévotement des patates, porte la marque d'une vigilance attentive aux moindres détails.
Dans cet ensemble si soigneusement tenu, je fus surpris de rencontrer un peu partout des lits de camp hâtivement installés.
— Oui, me dit le bon père, qui me guidait, nous avions ici quatre-vingts jeunes gens. Mais, devant les événements, nous en avons ramené autant que nous avons pu de nos autres maisons d'Espagne. Nous nous sentons plus en sûreté dans ce cher pays basque. Et puis, nous sommes plus près de la frontière.
SANCTUAIRE ST IGNACE DE LOYOLA GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je crus l'instant venu de poser quelques questions.
— Quelle attitude comptez-vous adopter quand l'article de la Constitution voté contre vous sera promulgué et deviendra exécutoire ?
Le père ne parut pas avoir entendu.
— Cette cloche qui tinte, me dit-il, annonce la promenade. C'est l'heure où les élèves vont en rangs dans le parc pour y réciter le chapelet.
En effet, je vis surgir soudainement une double file d'adolescents en robe noire, coiffés de la barrette espagnole aux coins hardiment relevés. Ils avançaient, paupières mi-closes, d'un pas glissé. Tous laissaient voir déjà sur un masque pensif l'empreinte d'une éducation qui sait façonner les âmes comme une docile argile. Il ne cessait d'en apparaître au bas de l'escalier. La porte franchie, le perron descendu, ils se divisaient en escouades qui s'éloignaient par diverses allées.
De la haute fenêtre par où je les regardais, le paysage paraissait étroit. Il me rappela vivement le vallon de Nazareth. Mais le jardin lui-même semblait peu à peu s'élargir et ces équipes de futurs jésuites qui, méthodiquement, un par un, en arpentaient tous les compartiments, eurent bientôt l'air, je ne sais pourquoi, de se partager les cinq parties du monde.
VUE DES QUATRE COUVENTS LOYOLA GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je me trouvais alors dans une sorte de préau. Au mur, des cartes d'un coloris très vif montraient les lointaines régions dans lesquelles la Compagnie de Jésus a des missionnaires.
— Voyez, me dit le père, en me montrant les îles Carolines, j'ai passé là onze ans de ma vie. Et, ma foi, c'était le bon temps.
— Y retournerez-vous, si vous devez quitter l'Espagne ?
— Je ne sais. J'irai où l'on m'enverra.
— Ou bien resterez-vous tous ici, quoi qu'il arrive ?
Le père me regarda un instant.
MAISON DES EXERCICES LOYOLA GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
C'était un petit homme pâle, à cheveux gris, très avenant. Son regard plein de simplicité respirait la plus sincère bonhomie. En vérité, rien d'un jésuite de mélodrame ! Il sourit doucement, puis il m'expliqua.
— Je ne peux vraiment rien vous dire, car je ne sais rien. Nos supérieurs décideront, et aussi la Providence. Pour moi, s'il faut partir, je partirai sans gémir. Dieu est partout et où qu'il nous faille aller, nous sommes bien sûrs, n'est-ce pas ? de le retrouver. Mais on hésitera peut-être à nous chasser. D'abord, nous rendons des services dont on n'est pas encore en état de se passer. Tenez, nous avons près d'ici une école de commerce unique en Espagne. Et puis il n'est pas sûr que la population voisine ne se soulève pas contre notre expulsion. Notez que moi je vivrais aussi bien en France. J'ai fait mes études chez vous, à Hasparren. Mais je vous le répète, je ne suis rien. Mon rang dans l'ordre est bien modeste, je ne suis qu'un jésuite à vocation tardive, Quand ma pauvre maman fut sur le point de mourir, elle voulut que je me fisse jésuite. Je me suis fait jésuite. J'avais quarante-deux ans.
MULTIVUES LOYOLA GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais jusque-là, je dois vous le dire, je tenais un petit commerce à Buenos-Ayres.
J'ai vu d'autres religieux, moins modestes mais aussi discrets, dans le monastère de Loyola. Tous s'expriment sur la situation avec un calme où perce on ne sait quel dédain. L'un d'eux m'a dit :
— Quelle est cette querelle? On nous menace d'expulsion. On retire à tous les religieux le droit d'enseigner et l'on décrète, sur le papier, la création de milliers d'écoles. Mais on n'a ni maîtres, ni locaux. Et quand, récemment, nous avons voulu fermer quelques-uns de nos collèges, on nous a enjoint, sous les pires menaces, de les laisser ouverts. Tout cela n'est pas sérieux.
Un autre que j'interrogeais sur le vœu spécial que prononceraient les jésuites en sus des vœux ordinaires de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, communs à tous les ordres religieux, s'est esclaffé :
— Le "quatrième vœu" ! Mais c'est une plaisanterie. Vous avez vu nos élèves tout à l'heure. Ici ils étudient le latin. Puis ils feront leur philosophie. Ils enseigneront ensuite trois ans dans nos collèges. C'est seulement alors qu'ils aborderont leurs études de théologie proprement dite, lesquelles durent également trois ans. Au bout de ces trois années-là ils prononceront enfin leurs vœux, leurs trois vœux monastiques, exactement les mêmes que ceux des bénédictins, des dominicains ou de n'importe quelle congrégation. Mais, pendant cette longue préparation, une élite se sera distinguée de l'ensemble. On aura remarqué quelques sujets brillants, appelés sans doute à tenir plus tard, pour la plus grande gloire de Dieu et la plus haute efficacité de notre ordre, des postes importants. Ceux-là feront une quatrième année de théologie. Mais pour que l'ambition ne risque pas de les envahir ils se lieront spécialement au pape par un serment personnel d'après lequel ils s'engagent à partir immédiatement en mission, fût-ce au bout du monde, sur un signe de lui. Voilà ce qu'on appelle le "quatrième vœu" et c'est là-dessus que les Cortès prétendent fonder contre nous une procédure d'exception. Il n'y a qu'à hausser les épaules.
MONASTERE LOYOLA GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cependant, j'en revenais toujours à mes moutons. Au cas où le gouvernement espagnol, conformément aux articles déjà votés de la Constitution, procéderait effectivement à l'expulsion des jésuites, ceux-ci s'inclineraient-ils ou tenteraient-ils de résister ? Et voici finalement ce qu'on m'a répondu :
— Vous pensez bien que nous ne nous battrons pas. Nous avons été expulsés d'Espagne trois fois en un siècle et nous sommes toujours revenus. Le peuple espagnol, grâce au bulletin de vote, est maître de ses destinées. Il ne se laissera pas toujours éclipser ou mener par un petit noyau d'intellectuels qui ne comprennent rien à ses aspirations profondes. Mais sans recourir à la force nous pouvons opposer notre passivité à une violence illégitime. Quand les gens de ce pays qui nous sont dévoués, et qui savent bien qu'à travers nous c'est leur foi que l'on veut atteindre, verront que l'on vient nous arracher de nos couvents, nul ne peut dire comment ils réagiront.
Ce sont des âmes franches, courageuses et droites. Nous ne ferons rien pour les exciter. Nous leur prêcherons de notre mieux la patience...Mais nous ne pouvons répondre de rien.
Mon interlocuteur sourit, puis il ajouta :
— Promenez-vous dans nos provinces basques et vous jugerez par vous-même. Tenez, voulez-vous me permettre de vous donner un conseil ? Si vous souhaitez vous faire une idée juste, comment dirais-je ?...de la...fraîcheur du sentiment religieux dans toute cette population, allez la voir un peu prier à Ezquioga.
EZQUIOGA GUIPUSCOA 1931 PAYS BASQUE D'ANTAN |
— A Ezquioga ?
— C'est un village dans la montagne du côté de Zumarraga. Des enfants et de pauvres filles se vantent d'y voir la Sainte Vierge. Ces apparitions, autant que je sois renseigné, sont des plus suspectes et ce n'est pas de cela qu'il ['agit. Mais toute la région est soulevée à cause d'elles d'un prodigieux mouvement de ferveur, dont le prétexte importe peu. Allez à Ezquioga, monsieur, et moins vous croirez au miracle, plus vous serez frappé, j'en suis sûr, de l'émotion mystique de la foule. Toucher à la religion en Navarre ou dans le pays basque, allez, ce serait fort imprudent. Et l'Espagne a déjà devant elle bien assez de difficultés sans soulever encore celle-là.
EZQUIOGA GUIPUSCOA 1931 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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