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samedi 2 février 2019

L'ÂME DU PAYS BASQUE EN SEPTEMBRE 1912


L'ÂME DU PAYS BASQUE EN 1912.


Au début des années 1900, les journalistes parisiens aiment se rendre au Pays Basque et raconter leurs voyages.

pays basque 1900
PUBLICITE A LA BELLE JARDINIERE BAYONNE 1906
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que raconta le journal Le Temps, dans son édition du 20 septembre 1912, sous la plume 

de Raoul Aubry :


"L'âme du pays basque.


M. Pierre Loti a décrit en un style magique les mœurs du pays basque. Un jour, blessé, assez justement d’ailleurs, par le bruit des tramways et l'éclat des hôtels modernes, il découvrit que l'âme de ce pays allait mourir :


"Alors, tout à coup, tandis que je suis là, seul devant ce décor que semble endormir le morne soleil, écoutant sonner les vieilles cloches ou vibrer dans le lointain les vieilles chansons, je prends conscience de tout ce que ce pays a gardé, au fond de lui-même, de particulier et d’absolument distinct. De l’ensemble des choses et des êtres ambiants, se dégage, aux yeux de mon esprit, comme une essence vivante ; pour la première fois, je sens exister ici un je ne sais quoi à part, mystérieux, destructible, hélas ! mais encore imprégnant tout et s’exhalant de tout, sans doute l'âme finissante du pays basque." 


hendaye autrefois
HENDAYE 1912
PAYS BASQUE D'ANTAN


Cette prédiction éloquente et fâcheuse ne s’est pas encore tout à fait réalisée ; je crois fermement, pour l’avoir éprouvée si proche et si forte, que l’âme d’Euskualleria ne doit pas finir. En vérité, il y a les autos ; il y a les voyageurs tumultueux et rapides, admiratifs par habitude devant un horizon qu’on leur découvre, mais indifférents à la vie profonde et secrète de la terre qu’ils foulent, insensibles à la voix qui monte des bois et des champs et qui fait l’âme unique d’un pays. Cela est vrai. Il y a ceux qui ont passé par là, grisés d’air et de poussière, sans rien voir, en dépit de leurs extases de commande, et sans rien comprendre. Mais ils pourraient passer plus nombreux, plus hâtifs et plus indifférents encore, qu’il n’y en aura pas moins, invisible et impénétrable pour eux, l’âme rayonnante du pays basque. 



biarritz autrefois
MARINS BIARRITZ 1912
PAYS BASQUE D'ANTAN

Par une révélation soudaine je l’ai découverte, en deux endroits qu’on ne fréquente guère, avec toute, sa tendresse et sa mélancolie, et j’ai senti qu’elle livrait encore, qu’elle livrerait peut-être toujours au passant qui saurait s’attarder, son mystère indéfinissable et un peu douloureux. Je l’ai découverte d’abord, un matin, sur les créneaux d’une forteresse séculaire abandonnée, et un peu plus tard, dans un petit cimetière étroit, noyé de lumière, où des enfants, parmi les rosiers d’automne et au-dessus des tombes fleuries, jouaient en riant. 



labourd autrefois
GARE BAYONNE 1912
PAYS BASQUE D'ANTAN


Lorsqu’on quitte Bayonne pour s’enfoncer dans le pays basque — qu’il ne faut point confondre avec le Béarn, dont les traits caractéristiques sont beaucoup moins curieux — on remonte la vallée de la Nive vers la source de la claire rivière, tantôt étroite et bruissante comme un ruisseau, tantôt large et calme comme un fleuve, tantôt rapide et tourmentée comme un torrent. A droite, vers l’Espagne, au-dessus de Saint-Jean-de-Luz et d’Hendaye, il y a les villages connus pour les exploits des pelotaris : Ascain, Sare, popularisés par les récits des conteurs ; c’est la terre de Ramuntcho, celle des contrebandiers audacieux et des joueurs allègres, des pêcheurs, de la Bidassoa et des chasseurs de la frontière, que M. Pierre Loti a longtemps étudiés et dont il a marqué, en traits définitifs, les plaisirs, les ruses, et les travaux, les façons à la fois indolentes et sauvages. Mais la capitale vraie, c’est, à l’origine du cours de la Nive et au fond de la vallée, Saint-Jean-Pied-de-Port, qui est ainsi nommé parce que sa citadelle formidable gardait au pied du passage de Roland, le seul col des Pyrénées accessible sur la Navarre. 



ascain autrefois
PONT ROMAIN ET NIVELLE ASCAIN 1912
PAYS BASQUE D'ANTAN


La route qui conduit de Bayonne vers la frontière suit la Nive et serpente à travers la vallée, au bas de collines de plus en plus abruptes et verdoyantes, où s’accrochent des villages gracieux et qui semblent vous appeler par le bon accueil qu’ils promettent. A mi-chemin de Bayonne et de la frontière est Cambo. De la route on aperçoit, dressée sur un plateau découvert et plus haute que l’horizon, la demeure élégante et originale que M. Edmond Rostand a fait bâtir et qu’entourent des prés et des bois dévalant jusqu’à la rivière. C’est bien le château de féerie, solitaire, d’un créateur de légendes ; il a ce joli style basque qui tient du mauresque et du normand, et ses balcons enluminés, ses toits longuement abaissés et débordants lui donnent un fier aspect de conquête. Le pas de Roland marque bientôt, par la romantique trouée de la rivière à travers les rochers, l’entrée en montagne. La colline est plus rude, mais la végétation y redouble d’intensité; le climat, qui ne varie guère, y conserve la douceur favorable à l’épanouissement des arbres et des plantes, et les hommes y trouvent, comme les fleurs, la sève bienfaisante qui régénère. 



itxassou autrefois
PAS DE ROLAND ITXASSOU 1912
PAYS BASQUE D'ANTAN



Bientôt, un à un, les villages prennent un caractère particulier ; moins dramatique que le village espagnol voisin, le village basque, plus souriant, a la même couleur, les mêmes balcons fleuris, et ces teintes opposées, où le gris des murailles, le vert ou le marron des fenêtres et le rouge des toits offrent aux regards une claire gamme de tons. 


cambo les bains autrefois
PONT DE FER CAMBO 1912
PAYS BASQUE D'ANTAN




La citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port est un endroit magnifique et singulier. Le village s’est agrandi hors de l’enceinte, et des maisons basques modernes, fort coquettes, bordent la route et les chemins tout autour des remparts ; il y a des hôtels convenables, où l’on offre, au déjeuner, la truite qui fut pêchée tout à l’heure dans la Nive voisine ; et le décor est exquis. On accède à la citadelle par l’une ou l’autre des deux portes étroites, percées à travers des murs énormes, et une ruelle grimpe en pente raide vers le sommet ; c’est la rue pittoresque, aux rudes pavés, des vieux villages espagnols, aux maisons basses et sombres ; et sur chaque porte, selon la coutume basque, est inscrit le nom du premier occupant, et parfois deux noms — ceux du ménage — avec la date d’origine, qui varie de 1600 à 1700. Au bout de la montée, des murailles formidables, entourées de fossés profonds et larges qui rendaient le cœur de la cité imprenable ; on y accède aujourd’hui sans difficultés par un pont-levis rabaissé qui ne se relève plus, et un soldat de la compagnie du régiment de Pau, détaché à la garde de ces vestiges émouvants, vous y permet une paisible promenade sur les glacis vastes comme un boulevard, plantés d’arbres séculaires et géants.



donibane garazi lehen
PLACE DU MARCHE ET CITADELLE ST JEAN PIED DE PORT 1902
PAYS BASQUE D'ANTAN

De là, la vue s’étend, d’un côté sur la montagne majestueuse, et noyée , d’ombre violette, de l’autre sur la vallée endormie, tachée de villages multicolores et où serpente la Nive à la coulée d’argent ; l’horizon s’estompe d’une poussière d’or, comme tendu de gaze légère ; la campagne est toute verte, gonflée des promesses du sol ; une prospérité souveraine semble régner sur cette plaine, et les appels de ses vieilles pierres, le calme de ses arbres touffus apportent l’apaisement des sites mémorables. Car c’est ici, que tant de fois des civilisations se sont heurtées en chaos, et voici le mur d’enceinte, presque intact, que les Basques ont élevé comme un refuge au pied de la forteresse imprenable, contre les Arabes qui forçaient le passage de Roland après avoir conquis la Navarre. Le langage basque d’il y a cinq siècles est resté le même ; et voici les maisons brunes, marquées des caractères euskualleriens, au pied des ruines majestueuses du château fort ; le passé abolit le présent ; alors frémit et frissonne l’âme invincible du pays, qui persiste dans l’épanouissement de la nature heureuse. 


saint jean pied de port autrefois
VUE PRISE DE LA CITADELLE ST JEAN PIED DE PORT 1912
PAYS BASQUE D'ANTAN


Il y a, non loin de cette cité qui fut guerrière, un village charmant et qui a moins de souvenirs historiques : c’est Saint-Etienne-de-Baïgorry. On y va par une route pittoresque suivant le col qui sépare le cours des deux Nives, et le voyage est un délassement; ici, point de pierres éloquentes, des maisons simples qui portent, elles aussi, au-dessus de leur entrée, un ou deux noms gravés en souvenir. Mais ce sont des dates plus récentes, qui ne remontent guère à plus de soixante ou cent ans. Et je suis allé vers l’église qui est au bout du village, appuyée au flanc de la montagne qui semble la garder. C’est une très ancienne église de l’époque romane, dont la partie basse originelle et la partie haute reconstruite constituent un ensemble bizarre qui surprend ; selon la coutume des villages basques, le cimetière entoure l’église ; c’est un petit cimetière fleuri, aux tombes peu ordonnées, sans couronnes et sans différence de condition ; dans l’église, un clair obscur confond les objets, noie les formes, et deux femmes, tout de noir vêtues, accroupies au seuil du maître-autel, prient humblement d’une voix marmottante, courbées sur le livre d’heures qu’elles éclairent d’un cierge fumeux. 



basse navarre autrefois
CARRIERE CANCALON ST ETIENNE DE BAIGORRY 1912
PAYS BASQUE D'ANTAN



Au dehors, sous la lumière d’un ciel tout bleu, bleu de turquoise, la Nive baigne, en roulant sur des cailloux à reflets verts, la vieille muraille de la vieille église, et fait un bruit de chanson monotone. Alors, soudain, des cris aigus s’élèvent, dominant le calme de cet après-midi finissant, et cinq à six gamins débraillés, agitant leur béret bleu, courent sur la route, s’arrêtent devant le cimetière, et, prenant son mur pour cible, commencent une partie active de pelote. Dans leur parler basque ils bavardent, se bousculent et se renversent avec des rires pointus. Parfois, une balle manque le but et saute au delà du mur à travers les tombes ; un gamin s’élance, la rattrape, revient et reprend le jeu ; les rosiers, les chèvrefeuilles aux tiges hautes ; tremblent et s’étirent, tendus vers la lumière de ce jour rose ; toute la beauté du monde et toute la joie de vivre s’épanouissent dans ce coin de terre, où il n’y a que de la mort. Mais sur la route résonne, d’abord vague, puis clair, le son de grelots agités : la diligence antique des Aldudes passe, sonnant la ferraille, dans un claquement sonore du fouet, et les joueurs de pelote, un instant troublés, reprennent leurs ébats et leurs cris. Dans l’église, par la porte entr’ouverte, j’aperçois les deux femmes immobiles qui prient encore ; la rivière, à côté, poursuit sa mélopée ; une tige a frémi, une rose s’est effeuillée ; l’âme du pays basque a fait, dans ce cimetière endormi, la Mort aussi douce que la Vie." 


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