L'ÂME DU PAYS BASQUE EN 1912.
Au début des années 1900, les journalistes parisiens aiment se rendre au Pays Basque et raconter leurs voyages.
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Voici ce que raconta le journal Le Temps, dans son édition du 20 septembre 1912, sous la plume
de Raoul Aubry :
"L'âme du pays basque.
M. Pierre Loti a décrit en un style magique les mœurs du pays basque. Un jour, blessé, assez justement d’ailleurs, par le bruit des tramways et l'éclat des hôtels modernes, il découvrit que l'âme de ce pays allait mourir :
"Alors, tout à coup, tandis que je suis là, seul devant ce décor que semble endormir le morne soleil, écoutant sonner les vieilles cloches ou vibrer dans le lointain les vieilles chansons, je prends conscience de tout ce que ce pays a gardé, au fond de lui-même, de particulier et d’absolument distinct. De l’ensemble des choses et des êtres ambiants, se dégage, aux yeux de mon esprit, comme une essence vivante ; pour la première fois, je sens exister ici un je ne sais quoi à part, mystérieux, destructible, hélas ! mais encore imprégnant tout et s’exhalant de tout, sans doute l'âme finissante du pays basque."
Cette prédiction éloquente et fâcheuse ne s’est pas encore tout à fait réalisée ; je crois fermement, pour l’avoir éprouvée si proche et si forte, que l’âme d’Euskualleria ne doit pas finir. En vérité, il y a les autos ; il y a les voyageurs tumultueux et rapides, admiratifs par habitude devant un horizon qu’on leur découvre, mais indifférents à la vie profonde et secrète de la terre qu’ils foulent, insensibles à la voix qui monte des bois et des champs et qui fait l’âme unique d’un pays. Cela est vrai. Il y a ceux qui ont passé par là, grisés d’air et de poussière, sans rien voir, en dépit de leurs extases de commande, et sans rien comprendre. Mais ils pourraient passer plus nombreux, plus hâtifs et plus indifférents encore, qu’il n’y en aura pas moins, invisible et impénétrable pour eux, l’âme rayonnante du pays basque.
Par une révélation soudaine je l’ai découverte, en deux endroits qu’on ne fréquente guère, avec toute, sa tendresse et sa mélancolie, et j’ai senti qu’elle livrait encore, qu’elle livrerait peut-être toujours au passant qui saurait s’attarder, son mystère indéfinissable et un peu douloureux. Je l’ai découverte d’abord, un matin, sur les créneaux d’une forteresse séculaire abandonnée, et un peu plus tard, dans un petit cimetière étroit, noyé de lumière, où des enfants, parmi les rosiers d’automne et au-dessus des tombes fleuries, jouaient en riant.
Lorsqu’on quitte Bayonne pour s’enfoncer dans le pays basque — qu’il ne faut point confondre avec le Béarn, dont les traits caractéristiques sont beaucoup moins curieux — on remonte la vallée de la Nive vers la source de la claire rivière, tantôt étroite et bruissante comme un ruisseau, tantôt large et calme comme un fleuve, tantôt rapide et tourmentée comme un torrent. A droite, vers l’Espagne, au-dessus de Saint-Jean-de-Luz et d’Hendaye, il y a les villages connus pour les exploits des pelotaris : Ascain, Sare, popularisés par les récits des conteurs ; c’est la terre de Ramuntcho, celle des contrebandiers audacieux et des joueurs allègres, des pêcheurs, de la Bidassoa et des chasseurs de la frontière, que M. Pierre Loti a longtemps étudiés et dont il a marqué, en traits définitifs, les plaisirs, les ruses, et les travaux, les façons à la fois indolentes et sauvages. Mais la capitale vraie, c’est, à l’origine du cours de la Nive et au fond de la vallée, Saint-Jean-Pied-de-Port, qui est ainsi nommé parce que sa citadelle formidable gardait au pied du passage de Roland, le seul col des Pyrénées accessible sur la Navarre.
La route qui conduit de Bayonne vers la frontière suit la Nive et serpente à travers la vallée, au bas de collines de plus en plus abruptes et verdoyantes, où s’accrochent des villages gracieux et qui semblent vous appeler par le bon accueil qu’ils promettent. A mi-chemin de Bayonne et de la frontière est Cambo. De la route on aperçoit, dressée sur un plateau découvert et plus haute que l’horizon, la demeure élégante et originale que M. Edmond Rostand a fait bâtir et qu’entourent des prés et des bois dévalant jusqu’à la rivière. C’est bien le château de féerie, solitaire, d’un créateur de légendes ; il a ce joli style basque qui tient du mauresque et du normand, et ses balcons enluminés, ses toits longuement abaissés et débordants lui donnent un fier aspect de conquête. Le pas de Roland marque bientôt, par la romantique trouée de la rivière à travers les rochers, l’entrée en montagne. La colline est plus rude, mais la végétation y redouble d’intensité; le climat, qui ne varie guère, y conserve la douceur favorable à l’épanouissement des arbres et des plantes, et les hommes y trouvent, comme les fleurs, la sève bienfaisante qui régénère.
Bientôt, un à un, les villages prennent un caractère particulier ; moins dramatique que le village espagnol voisin, le village basque, plus souriant, a la même couleur, les mêmes balcons fleuris, et ces teintes opposées, où le gris des murailles, le vert ou le marron des fenêtres et le rouge des toits offrent aux regards une claire gamme de tons.
PONT DE FER CAMBO 1912 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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