LA CHASSE AU PAYS BASQUE EN 1900.
Le Pays Basque, de par sa position géographique, des deux côtés des Pyrénées, a été pendant longtemps une terre de chasse.
Voici ce que raconta à ce sujet La Petite Gironde, dans son édition du 22 janvier 1901, sous la
signature de Jean Manore :
"Au Pays des Sioux.
C’est là — tout près — en bordure de la côte Verte. La contrée, pauvre en gibier sédentaire, est particulièrement favorisée sous le rapport des oiseaux de passage. Et cela devrait constituer une aubaine pour les chasseurs. Il n'en est rien. Appréciez.
Je laisse de côté la bécasse. Elle migre plus ou moins isolée, séjourne, parfois, quelque temps aux environs de la côte, et les procédés dont on use à son endroit relèvent du braconnage ordinaire. Elle a des honneurs que les autres "passagers" ignorent. On peut donc espérer tuer une bécasse, de temps en temps, au chien d'arrêt, à la condition d'entrer en campagne de bonne heure. Dans l'après-midi, les moindres coins ont été explorés.
En dehors de la bécassine, j’entends, ici, par oiseaux de passage : le pluvier, le vanneau, le canard, la canepetière, etc.; en un mot, tous les oiseaux passant par bandes, sans trop s’arrêter dans le pays. J’ajouterai même la palombe, bien que, en général, elle se tire surtout à la halte.
PALOMBIERE PREMIER DIRECTEUR PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ces oiseaux, évidemment, ne stationnent guère, mais leurs arrêts forcés — ne fût ce que par suite de fatigue — devraient en permettre, en faciliter la chasse d’une façon normale. On le croit ainsi du moins. C’est qu'alors on est sans documentation sur ce qui se pratique au pays basque. Le lasciate du Dante pourrait se dresser, en maints endroits des Basses-Pyrénées, pour fortifier les chasseurs civilisés dans cette pensée lamentable que leurs espérances et leurs fusils sont moins bien placés dans les champs qu'au râtelier.
Voici, en effet, de quoi évoquer tout simplement les coutumes des trappeurs américains, et faire aussi songer à la tactique des Boers dans le sud de l'Afrique :
Dès la fin d’octobre, au commencement de novembre, plus tard parfois, suivant l'année, les rigueurs de la saison, à l'époque où se dessine la migration, les tenanciers de "bordas", leurs valets, des inconnus venus on ne sait d’où, se mettent en marche en pleine nuit et occupent toutes les hauteurs sur une profondeur de 1 500 à 2 000 mètres, à partir du rivage. Cette manoeuvre opérée, ils surveillent l'horizon. — Un "vol" est-il signalé ?... Des migrateurs apparaissent-ils ?... Les fusils s’orientent. Alors même que la nuit est encore assez noire pour ne faciliter la vue des objets que dans la direction du ciel ; alors qu’il est impossible de juger des distances, ce sont des coups de feu sur toute la ligne des crêtes — feux de salve ou à volonté, — des détonations ébouriffantes. C'est à qui fera le plus de bruit. L'espoir de raccrocher une pièce, avivé d'une jalousie que nul ne songe à dissimuler, fait que chacun risque son plomb et sa poudre sans résultat le plus souvent.
PALOMBIERE SECOND RABATTEUR SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Sans résultat ? Je me trompe. Il y a généralement un résultat qui chagrine les chasseurs, les vrais chasseurs. Lorsque le jour parait, au moment où le Nemrod nanti d'un permis se met, raisonnablement, en quête de gibier, ce gibier, fusillé de tous côtés, s'efface de son rêve comme il s’est déjà effacé de la plaine. Et cela aiderait à la conservation des espèces si ledit gibier, de par les lois de la migration, n'allait se faire tuer ailleurs !
Par exemple, si le gibier a fui, les "hommes de la nuit" sont toujours à leurs postes. On les voit sur les crêtes, dissimulés derrière les haies, en embuscade, accroupis — tels des Sioux sur la piste de guerre, — armés de fusils indéfinissables. Ah ! cet armement. Des escopettes espagnoles frôlent des soupçons de fusils de rempart ; des tromblons voisinent avec de vieilles canardières aux bretelles de cordes ; l’ancien chassepot transforme en fusil de chasse constitue une arme de luxe. Et tout cela est chargé jusqu'à la gueule, et ça n’éclate pas, et ces singuliers traqueurs ne se tuent point entre eux !
PALOMBIERE FILETS SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Au milieu de ces bandes de tireurs à la... lune, quelques chasseurs corrects se rencontrent, armés de façon plus moderne. La passion est leur excuse ; la situation que créent les agissements des "hommes de la nuit" fait qu'ils commettent le délit dans l'espoir d’abattre quelque pièce, — alors que, dans le jour, ils sont menacés de ne plus rien trouver. Et puis, on cite des cas où la chance a favorisé de nocturnes audacieux ; on rapporte des prouesses mirifiques, comme huit canepetières abattues dans un "vol" par deux métayers d'un hameau voisin.
CHASSE A LA PALOMBE RABATTEUR PAYS BASQUE D'ANTAN |
D'ailleurs, les nuits passées ainsi à la belle étoile placent les chasseurs en meilleure posture devant le... jour. Déjà sur les lieux, ils lèvent de-ci, de-là quelques retardataires, quelque oiseau qu'un plomb égaré pendant la fusillade de la nuit a distrait du "vol" dont il faisait partie. Et cet état de choses stimule même certains notables de l'endroit et les pousse hors de leurs draps.
Un de mes amis de là-bas, grand chasseur et fusil habile, voulut participer aux évolutions que je note et qui éprouvaient sa patience. Il se mit donc en route, lui aussi, deux ou trois fois, avant l'aube. Il passa, plutôt par curiosité, dans les rangs des "Sioux".— Une nuit, alors que l'on ne distinguait rien à vingt mètres, il lui sembla voir quelque chose remuer dans un champ. Il mit en joue et ne tira pas — heureusement. Ce n'était point, en effet, l'outarde espérée ; il reconnut à temps le chien de son voisin déjà en chasse a cette heure. Devant le chien, une canepetière se leva. Pan... pan ! Comme on n y voyait guère plus que dans un four, le propriétaire du chien manqua l'oiseau, naturellement...
PALOMBIERE REPARTITION SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
On pourrait, dans ces parages, faire de belles chasses aux oiseaux de passage, si les agents de l'autorité intervenaient pour faire cesser des abus déplorables. Sans les moeurs que je relate, le gibier migrateur demeurerait certainement en vue des côtes, ne fût-ce que quelques heures, pour la plus grande joie de ceux qui respectent la loi. La petite guerre nocturne interdite, les tromblons, les escopettes, les chassepots améliorés rendus muets, ce gibier serait pour le chasseur scrupuleux qui, son permis en poche, peut affronter la lueur du jour.
Ah ! ces pétarades du pays basque ! En rêvant dans mon lit, là bas, mon sommeil en était tellement troublé qu’une nuit, je crus que nous étions en guerre avec l’Espagne. Je faillis sauter sur mon fusil pour courir aux avant-postes."
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