VACANCES AU PAYS BASQUE EN 1906.
Dès les débuts du vingtième siècle, le Pays Basque est une destination de vacances prisée par les privilégiés pouvant se déplacer.
UNE PARTIE DE CARTES EN 1906 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal La Petite Gironde, dans son édition du 11 septembre 1906 :
"Fin de vacances. - Au Pays de Ramuntcho. - Un Paysage fantastique. - Couleur locale.
A Mademoiselle Jeanne P...
Valcarlos (Espagne), 8 septembre.
Nous sommes venus terminer nos vacances dans le pays basque, et, une fois encore, depuis bien des années, il nous a donné le désir d’y vivre, dans la paix émue et sereine qu’il procure.
Certes, nous connaissons d'autres vallées, d'autres bois et d'autres forêts, d'autres sites, qui s'imposent à notre admiration. Mais existe-t-il un ensemble plus harmonieux, trouve t-on ailleurs une si jolie variété de paysages, d’un attrait si fort et si doux à la fois ? Nulle part ne surgit à l’esprit, avec plus de vivacité, la phrase du disciple à son maître : "Dressons une toute et restons ici."
Et vous aussi, raison précoce ornée de grâce, qui joignez à une fine culture d’esprit, à un sens critique développé, à une vision nette et juste des choses, toute la fraîcheur et toute la sincérité des impressions, et à qui je dédie cette relation comme un modeste et respectueux souvenir, vous aussi, vous avez partagé notre amour pour cette contrée.
Moins vibrante que notre jeune compagne de voyage, votre camarade, dont l’imagination s’allume et pétille et dont le cœur tressaille au seul mot de "Ramuntcho", le livre de Loti, qui personnifie pour elle toute la poésie du pays basque, vous n’en avez pas moins laissé votre âme errer avec ravissement dans ces sentiers où glisse l’ombre des monts, où les rivières limpides fuient en vous disant leur éternelle chanson.
RAMUNTCHO DE PIERRE LOTI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le splendide départ que nous avons eu en quittant l’éblouissant Biarritz, qui nous apparaît toujours, à nous, comme l'image d'un bonheur radieux et complet ! Jamais soir d’été fut-il plus beau ? Jamais les nuits d'Amérique, décrites par Chateaubriand, furent-elles plus claires, plus enchantées ? La lune, brillante comme nous ne l'avions jamais vue, n’avait plus la pâleur et la tristesse d’un astre mort ; elle resplendissait : un soleil d'argent ! avons-nous dit tous en chœur.
EGLISE RUSSE BIARRITZ 1906 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Elle s’étendait sur toutes les collines qui entourent Bayonne, luisait au fond de tous les cours d'eau, élargissait le paysage, démesurément. Elle nous montra Ustaritz, l’élégant village ; Cambo, où, pour faire comme tout le monde, nous avons voulu voir, à la pointe de sa colline, la villa de Rostand, et où vous m'avez parlé — pas comme tout le monde — de Cyrano et de la Princesse lointaine ; Itxassou et ses châtaigniers ; le Pas de Roland... Voilà ce que nous ne pourrons pas oublier.
PLACE DU JEU DE PAUME USTARITZ 1906 PAYS BASQUE D'ANTAN |
HÔTEL TEILLERY ITXASSOU 1906 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cette gorge, ce ravin, ces rochers que cette immense clarté lunaire enveloppait, ce ruissellement de blancheurs sur les sommets, étaient bien un des plus merveilleux spectacles que l’on puisse contempler.
Fantastique, évidemment, c’est le mot qui tout de suite nous vint à l’esprit. Mais rien de terrifiant, rien de sinistre. Si le cor magique d’Obéron eût soudain retenti dans la vallée, il n’eût éveillé que des divinités bienfaisantes et secourables ; si des Walkyries nous étaient apparues, brandissant leurs glaives à la pointe des rochers, elles nous auraient accompagné d’un sourire, et leur chant eût été heureux, car le tableau avait on ne sait quoi de paradisiaque.
Et comme naguère au mont Ulia, devant le grandiose décor de l'Océan et des montagnes, nous n'avons pas dit grand'chose. Quoi qu’on puisse en penser, nous ne sommes pas simplement des faiseurs de phrases, et nous savons admirer en silence.
Ce fut ensuite Bidarray, gigantesque nid blotti dans la verdure; puis Ossès, point de bifurcation, où l’on regrette de ne pas aller d’un côté quand on va de l’autre, et enfin Saint-Jean-Pied-de-Port, où le chemin de fer s’arrête.
PONT CENTRAL ST JEAN PIED DE PORT 1906 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Allions-nous voir si le pays basque avait gardé ses coutumes, ses mœurs, ses traditions, son âme d’autrefois?
Hélas ! on l’a dit depuis longtemps, et Onésime Reclus le déplore très éloquemment dans son "Plus beau Royaume sous le Ciel", l’émigration dépeuple les villages basques, et, ajoute l’éminent géographe, "que de bergers de la Rhune et du mont Ohry sont devenus garçons égorgeurs dans les "saladeros" ou boucheries de l’Amérique du Sud ?"
O Ramuntcho ! quelle destinée ! Et quel noir contraste avec tes allures souples et silencieuses de contrebandier, pendant les nuits obscures, ou avec ta svelte et nerveuse élégance, devant le fronton, quand tu lances la pelote, en présence des belles filles — si belles, oui, vraiment ! — qui t’admirent.
MON ETOILE AIMEE PAYS BASQUE D'ANTAN |
En outre, dans le pays basque, comme ailleurs, on apprend le français ; puis le chemin de fer, les automobiles apportent constamment l'afflux des voyageurs, des touristes, dont les gestes, les manières, le langage finissent par laisser leur empreinte. Ils apportent aussi, parfois, la bêtise, la banalité, l'esprit vulgaire et grossier. Quand, sur la place, des jeunes gens se groupent et chantent, avec des voix pures, aux sonorités vibrantes, on écoute et on attend quelque refrain du pays : le premier morceau que l'on entend est la Matchiche. C'est ce qui nous est arrivé. Sans doute il n'y a pas de quoi pleurer, - ma jeune lectrice de Ramuntcho proteste, - mais on a quand même une petite déception.
On ne va pas à Saint-Jean-Pied de-Port sans pousser jusqu'à Arnéguy et Valcarlos. Si on a le temps, on fait la grande excursion, l'excursion classique de Roncevaux. Nous avons dû la renvoyer à une autre fois.
Arnéguy est le village frontière ; Valcarlos est le premier village espagnol. Le pays ne change pas d'aspect, mais les montagnes grandissent peu à peu. A chaque instant, l'œil est attiré par une maison blanche construite au sommet d'une colline et entourée d'arbres. On ne saurait choisir d’une façon plus intelligente l’endroit de sa demeure.
ARNEGUY 1906 PAYS BASQUE D'ANTAN |
A Valcarlos, la matinée fut charmante. On visita l'église, où l’on disait la messe et où il y avait si peu de monde ; on s'arrêta au marché, qui comprenait en tout deux hommes, trois femmes, quelques paniers de pommes, quelques étoiles qui, réunies, auraient formé un baluchon qu'on aurait pu emporter sur son dos.
Mais on ne vit jamais marchands si gais. Jacassant tous ensemble, leur rire était une joie. La physionomie d'un des hommes me frappa. On sait que les Basques, complètement rasés, ridés de bonne heure, ressemblent aisément à des acteurs de la Comédie Française. Celui-là rappelait à s’y méprendre Coquelin, quand notre grand comique reste de bonne humeur et ne se donne pas trop l’air d’un docteur de la scène.
COQUELIN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nous étions en Espagne, et, bien que cela soit devenu un peu naïf, nous cherchions la couleur locale. Voulant nous reposer à l’ombre, nous étions en quête d’une "funda", d’une "posada", d'une "venta", et c'est un "hôtel" que nous trouvâmes. Trois jeunes filles nous reçurent, distinguées, des plus avenantes. Elles nous offrirent des liqueurs françaises, et du cidre. La boisson du pays — car on fabrique beaucoup de cidre dans la Navarre — ne pouvait que l'emporter.
Petit triomphe pour la jeune voyageuse dont l'âme s’est faite basque. Des sœurs espagnoles de Ramuntcho, du cidre du pays, des gens qui parlent l'euskarien !...
JEUNE FEMME AVEC CRUCHE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Et le cocher ! C'est aussi un Basque, un aimable garçon ; le soleil cuisant a dû lui donner soif. Qu’on lui apporte une bouteille de ce bon cidre. Le plus jeune d'entre nous se détache; il revient, l'air consterné, et, d'une voix dolente : "Il boit un Pernod !"
C’est à mettre avec la Matchiche.
N’importe, le peuple basque existe encore. Nous avons vu le lendemain, au marché de Saint-Jean-Pied-de-Port, toute une série de types d'une puissante originalité, et qui auraient tenté le pinceau d'un portraitiste. Ce qui existe aussi, c'est la bonté de l'accueil qui vous est fait. On sent, chez tout le monde, la droiture, la franchise, l'honnêteté. On tend la main avec une satisfaction sans mélange. On n'a pas l'impression d’être chez l'étranger.
JEUNE FEMME AVEC CRUCHE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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