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lundi 5 novembre 2018

LA FRONTIÈRE D'HENDAYE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN MARS 1937


LA FRONTIÈRE À HENDAYE EN 1937.


A Hendaye, pendant la guerre civile espagnole, la frontière est "poreuse".



FRONTIERE A HENDAYE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Ce Soir, dans son édition du 29 mars 1937, sous la 

signature de Charles Reber :


"Secrets tragiques et comiques du contrôle.



Il faut qu'une frontière soit ouverte ou fermée !



Hendaye, 28 mars.



Hendaye et sa plage dorée s'étirent tout au long de la mer calme et de la Bidassoa, large et grise, peuplée, à marée basse, de ses cent îles de sable où fleurit la contrebande. Nulle part un garde mobile ou un gendarme. Le soleil est doux sur la route, parmi les pins en parasol, sur les arbres fruitiers en fleurs, et l'on sent que partout la vie renaît.


HENDAYE 1937
PAYS BASQUE D'ANTAN

Partout ? Oh ! non. De l'autre côté de la rivière, autrefois si vivante et grouillante de bateaux, Fontarabie, avec son vieux Palais-Royal de Charles-Quint et, tout là-haut, sa chapelle de Notre-Dame de Guadalupe, se dessine dans l'ombre de la montagne qui la protège. La cité archaïque, illustre par les fastes de son histoire, est morte. Ses quais et son port sont déserts. Des dizaines de bateaux vides sont alignés le long d'une digue. Un petit vapeur pique du nez dans le sable où il s'est échoué. Une seule barque de pêche se laisse glisser au fil de l'eau.



Des pêcheurs, tout près de moi, considèrent en silence ce tableau mélancolique. J'engage la conversation avec eux.



— Il n'y a plus d'hommes à Fontarabie, me dit l'un d'eux. Tous les pêcheurs ont été mobilisés par le général Queipo de Llano. Ils étaient tous Front populaire et ils ne sont pas partis en chantant, je vous le jure ! On est même venu les chercher de force. Il y en a qui ont déserté et qui se sont réfugiés ici.



La ville est triste depuis que les rebelles s'y sont installés.




Au pont international.


PONT INTERNATIONAL HENDAYE 1937
PAYS BASQUE D'ANTAN

Je continue ma route. La gare. Le pont international qui relie Hendaye à Irun et qui fut le théâtre des événements historiques de septembre dernier. En face de la douane française, un petit café expose dans sa vitrine une série de photographies montrant l'affreuse tragédie.




A l'autre bout du pont, fermé par une grande barrière rouge et blanche, flotte le drapeau monarchiste espagnol. Des gardes civils, avec leur bicorne noir, et des "requetes", sont accoudés au parapet du pont.




Sur un chemin de ronde, au bas du pont, un carliste coiffé d'un béret basque rouge, le fusil sur l'épaule, fait les cent pas devant sa cabane. Au loin, parmi les marécages, d'autres bérets rouges montent la garde.




Un chant monte de la rivière, juste sous le pont. Les "requetes" accoudés au parapet manifestent bruyamment leur joie. Les douaniers français et les gardes mobiles qui veillent, de notre côté, se penchent aussi sur la rivière.



"REQUETES"
PAYS BASQUE D'ANTAN

Cinq jeunes hommes, les uns assis et ramant, les autres debout et agitant leur béret, sont installés dans un petit canot qui avance lentement. Ils chantent et crient à tue-tête.



— Que chantent-ils ? demande un garde mobile au douanier.

La Marche d'Oriamendi. Le chant de guerre des rebelles.

— Pour un chant de guerre, c'est pas gai ! dit le garde mobile.



Quand ils ont achevé un couplet, celui des requetes qui est assis à la pointe du canot lève le bras et crie :

 - Espagna !

- Arriba ! répondent les autres en choeur en levant aussi le bras.

- Franco !

- Viva !




Tous font le salut fasciste dans la direction de nos gardes mobiles et de nos douaniers. Sur le pont, les "requetes" se piquent au jeu, se tournent vers la France et font le salut fasciste en criant :


— Arriba Espagna ! Viva Franco ! 

— Heil Hitler ! crie une voix isolée, avec un accent espagnol.

— Des marteaux ! dit le douanier. C'est pour nous provoquer. C'est tous les jours comme ça.



Puis, s'adressant à moi, il ajoute, textuellement, sans que je lui aie rien demandé :


— Ça sait l'ouvrir toute grande à l'arrière, ça sait assassiner dans les villes et violer les femmes, et c'est tout. Tous les "requetes" qui sont ici ont été retirés du front parce qu'ils fichaient le camp au premier coup de feu.



Incidents de frontière.



Ce sont là des spectacles quotidiens, comme disent les douaniers.




Mais il y a eu des faits plus graves que seul le sang-froid de la population a empêché de dégénérer en incidents de frontière. Je ne retiendrai que les principaux que l'on me conte ici.




A plusieurs reprises, des fusillades nourries ont été dirigées de la rive espagnole sur Hendaye et Béhobie. Le 8 novembre dernier, au cours d'une de ces fusillades, un employé de la gare, M. Monteberry, a été blessé à l'épaule par une balle Mauser allemande.




Quelques jours plus tard, un gendarme français était assailli par trois rebelles connus. Quelques jours avant, on avait assisté, au pont international, à une violente manifestation des "requetes" d'Irun. Ceux-ci, massés à l'entrée du pont, la main tendue à la romaine vers la France, avaient crié : "Vive Mussolini !", "Vive Hitler !" et "A bas la France !".




Le 7 décembre, deux gardes mobiles essuyaient des coups de feu sur le chemin de Béhobie à Biriatou, tirés par des "Requetes" installés sur la rive espagnole. Le 24 janvier, à 4 h. 55 du matin, les "Requetes" de service au pont international s'emparaient de la barque de pêche française Mimosa et faisaient les pêcheurs prisonniers. La barque était, pourtant munie de sa lanterne et se trouvait dans les eaux neutres. La barque ni les pêcheurs n'ont été rendus à la France !




Le 31 janvier, incident plus sérieux encore. Un ingénieur espagnol, nommé Manuel Orendain, était arrêté à la douane française du pont international, parce qu'il transportait dans sa voiture des bombes et de la dynamite. Deux jours plus tard, un attentat était commis, pendant la nuit, à Bayonne, contre le vapeur espagnol Maria-Amalia, amarré à l'appontement n° 2. Les bombes qui ont servi à l'attentat de Bayonne étaient dé même fabrication que celles saisies sur Orendain. Celui-ci avait fait, les jours précédents, plusieurs voyages en France.




N'allongeons pas cette liste. Elle se suffit à elle-même.




Une frontière mal fermée !



Depuis quatre heures d'horloge que je stationne au bout du pont international, je m'intéresse au trafic. Il est important et régulier. Les autos stoppent devant la douane. Visite. Puis l'on passe dans une petite baraque, où sont examinés les passeports. Alors, seulement, la barrière se lève et l'auto s'engage sur le pont.




De l'autre côté, nouvelle visite à la douane espagnole, passeports. La barrière, elle aussi, ne se lève que lorsque tous les papiers sont en règle.




Une jeune femme arrive dans un cabriolet noir, plaque de police française.


— Comme d'habitude rien à déclarer ? demande le douanier.

— Non, rien. A ce soir, dit la jeune femme.

— Je ne sais pas ce qu'elle va faire, tous les après-midi, de l'autre côté ! dit le douanier.




Ce trafic, ici, est stupéfiant. A Cerbère et au Perthus, à l'autre bout des Pyrénées, j'ai trouvé des routes désertes, mortes. Les piétons sont rares, les autos plus rares encore. Rien ne passe. Là-bas, — j'en ai fait l'expérience, — la frontière est bien fermée. Implacablement et hermétiquement fermée. De Perpignan à Cerbère et de Cerbère au Perthus, mon auto a été arrêtée dix-sept fois, exactement. Un appareil formidable de contrôle, que j ai pu admirer tout à loisir et dont il faut féliciter le préfet qui l'a mis sur pied et qui le dirige, fonctionne, mécanique superbe.




Ici, dans les Basses-Pyrénées, depuis quarante-huit heures, j'ai fait deux fois le trajet de Biarritz à Hendaye et, une fois, celui de Saint-Jean-de-Luz à Saint-Jean-Pied-de-Port en passant par Cambo. Mon auto n'a pas été arrêtée une seule fois. Je n'ai pas rencontré sur la route un seul garde mobile.




Ce n'est pas une critique ni un compliment. Je constate objectivement un fait. Cette frontière est-elfe fermée ou ouverte ? Contrôlée ou non contrôlée ?




Si, à Cerbère et au Perthus, la route est morte, ici, par contre, c'est un éternel va-et-vient entre la France et l'Espagne. Et inversement. Je viens de calculer qu'il passe en moyenne vingt personnes par heure. Près de cinquante autos et taxis ont franchi le pont cet après-midi. Parmi les autos, deux portaient la plaque du corps diplomatique. Les autres étaient de très belles voitures.




Commerce florissant.



A 4 heures et à 4 h. 30, j'ai vu entrer en Espagne deux camions chargés de grosses caisses. L'un transportait de l'appareillage électrique, venant d'une grande maison de Paris, et l'autre des médicaments, des produits chimiques et des pots d'iode bisublimé, dont l'expéditeur est une grande marque chimique française. Je pense aux 76 caisses de masques à gaz du Perthus qui sont pourtant comme les médicaments, des moyens de défense, et que l'on retient.




Un monsieur très bien renseigné, avec lequel j'engage la conversation, me dit :



- Il y a quelque temps, on a vu arriver ici des tracteurs venant de Hollande. Un tracteur, ça se transforme en tank. Et un tank en tracteur. Chacun sait ça ! Les tracteurs sont restés là trois ou quatre jours. Un beau matin, l'ordre est venu de les laisser passer.




Depuis l'embargo sur les armes et le matériel de guerre à destination de l'Espagne, il a passé à Hendaye plus d'un chargement qui aurait normalement dû être saisi. Je ne ferai état, ici, que de faits très précis.




Le 10 et le 11 novembre passent deux wagons venant, l'un de Vintimille et l'autre de Dresde, contenant, le premier, 40 balles de coton hydrophile, non conditionné pour usage pharmaceutique, et le second 100 balles d'ouate de cellulose, servant à la fabrication d'explosifs.




Le 16 novembre arrive, au nom de M. Fernando Rubio à Hendaye, 6 caisses de produits chimiques, 1 bonbonne de glycérine et deux fûts d'alcool. M. Rubio est inconnu à Hendaye !




Entre le 21 novembre et le 5 décembre, on a vu passer à Hendaye 5 000 kilos d'appareils de T. S. F., dont deux postes émetteurs, et 9 000 kilos de produits chimiques, puis des fûts d'huile de ricin (que, pour un Etat fasciste, l'on devait considérer comme arme de guerre !). Du reste l'huile de ricin n'est-elle pas destinée aux avions ?




Plus récemment, encore, le 16 mars, 15 000 kilos de tartrate de chaux sont entrés en Espagne par le pont international.




Ces temps derniers arrivait également, en gare de Saint-Jean-de-Luz, au nom de M. Latoile, un wagon de couvertures destinées à une personne habitant Burgos. Burgos n'est pas loin de l'armée de Franco. Ces couvertures ne pouvaient être livrées que contre remboursement de 60 000 francs. Au moment de la livraison, M. le député Coral, assisté de M. Pincheux, adjoint au maire de Saint-Jean-de-Luz, offrent à l'expéditeur 30 000 francs comptant, le reste étant payable après les hostilités. L'expéditeur accepte à la condition que M. de Coral se porte personnellement garant des 30 000 francs restants. M. de Coral refuse. Il offre, au nom de ses amis, 45 000 francs comptant et 30 000 francs après les hostilités. Ce fut l'expéditeur qui, cette fois, refusa cette proposition. Et le wagon retourna à Paris !"







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