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dimanche 4 novembre 2018

LES RAPIDES DE LA NIVE AU PAYS BASQUE EN JUIN 1906


LES RAPIDES DE LA NIVE EN 1906.


La rivière Nive prend sa source dans les montagnes de la Basse-Navarre, parcourt le Labourd et rejoint l'Adour à Bayonne, pour se jeter ensuite à la mer.





pays basque 1900
TOURISTES DESCENDANT LA NIVE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta la Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, dans son édition 

du 22 juin 1906 :


"Au fil de l'eau.



Les rapides de la Nive.



Jusqu’à ce jour, la descente des rapides de la Nive a constitué le privilège presque exclusif de la partie de la société qui pour ses plaisirs ne regarde pas au prix. Il est dit par les ciceroni avisés et dans les Bœdeker que les touristes désireux de sensations tour à tour de violentes et paisibles les trouvent en montant sur des barques spéciales, effilées comme les esquifs antiques, qui les portent de l’établissement de Cambo aux environs du premier pont d’Ustaritz, dans un parcours de dix kilomètres environ. 




Les sensations violentes sont celles que l’on ressent au passage de plusieurs digues, pendant que les barques bondissent; les sensations paisibles, celles que donnent les barques glissant, comme sur un miroir d’eau, à travers ces trois lacs successifs que forment les vallées du Bas-Cambo, de Halsou et d’Ustaritz. 



ustaritz autrefois
LE DEBARCADERE USTARITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


Cette navigation a lieu aussi bien de jour que de nuit. Le jour, le regard se porte sur des paysages qui se renouvellent sans cesse, ont leur vie actuelle et leur passé. De plus délicats choisissent la splendeur des nuits, avec le clair de lune de Verlaine. 


Ce clair de lune triste et beau 

Qui fait chanter les oiseaux dans les arbres 

Et sangloter d’extase les jets d’eau.... 



De plus raffinés se réservent ce plaisir, ou ce danger, quand la Nive grossie roule en torrent, que les ténèbres sont horribles et que la fuite des barques ressemble à une course à l’abîme.


 

Beaucoup de personnalités qui fréquentent Biarritz pratiquent ce tourisme. Le jeune Alexandre de Serbie y accompagna un jour celle qui n’était alors que Draga Maschin et qui devait connaître avec lui la destinée la plus tragique. Quel contraste entre cette équipée joyeuse, sur des barques fleuries qui donnaient l’impression d'un embarque ment pour Cythère et le drame du Konak de Belgrade.





Le point de départ de la descente de la Nive est situé à quelques pas du pont suspendu, dont le dessin hardi s’harmonise avec le cirque formé par l'Ursuya et la montagne des Dames. De la galerie de cure du Sanatorium de Beaulieu, les malades jouissent de ce tableau, au fond duquel le parc de l’établissement est un nid de verdure. A l’ouest, le haut Cambo s’élève en amphithéâtre avec la villa de Guernika, de séduisante architecture, l’hôtel Saint-Martin dont la terrasse est un belvédère, Beauséjour et le domaine de Rosaënia où M. le professeur Grancher conçut contre les ravages de la tuberculose son œuvre de préservation de l’enfance, de la graine humaine, comme il dit. 



cambo autrefois
CAMBO 1904
PAYS BASQUE D'ANTAN



Entre les rochers qui forment la rade de Cambo et le pont suspendu, il n'y avait autrefois qu'un gué par où dévala, en 1813, l’armée anglaise commandée par Wellington refoulant l’armée du Maréchal Soult qui tentait vainement de lui fermer la frontière. 



pays basque 1900
PONT DE CAMBO 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN


Pour surveiller l’opération, Wellington avait établi une défense appelée « tète de pont » dont il reste encore des vestiges. La journée fut très chaude : les chevrotines qui apparaissent quand on soulève les terre de Celhaya en témoignent, comme le feraient aussi les ossements, si l’on fouillait, aux environs du jeu de paume, un affaissement du sol, que les anciens continuent à appeler le cimetière des Anglais ; mais il vaut mieux respecter le repos de ceux qui sont morts pour la gloire ou pour la patrie. 




Repoussée par les falaises de Rosaënia, la Nive dessine gracieusement une presqu'île autour de laquelle les eaux cascadent et ruissellent. Cette configuration naturelle a valu son nom à Cambo, si l’étymologie de ce mot donnée par le savant linguiste, M. Dodgson, est exacte : Cambo serait d’après lui un mot sanscrit qui signifie courbe de rivière. 


pays basque 1900
CAMBO 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN


La Nive se fait une trouée pour passer de la vallée de l’Etablissement à la vallée de Bas-Cambo.



En face des trois ponts qui se superposent sur la rive droite, le pont de l’ancienne route enserrée de lierres, celui de la route nouvelle et celui de la voie ferrée, une jetée de rocs, sur la rive gauche, après une sablière fut longtemps un port où les produits d'Itxassou, les bois, les kaolins étaient embarqués pour Bayonne. C'est maintenant la rive fleurie d’Uraldia, la ferme modèle construite par M. Roland-Gosselin. Un jour ou l'autre partira de là une route longeant la Nive et qui sera pour les touristes et les pêcheurs la promenade la plus fraîche, la plus ombreuse. 



cambo avant
URALDIA  CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN



En haut se font suite les villas de Rosaënia Toki-Eder, le fronton qu’illustrèrent les meilleurs chistéras du pays basque, les Excellard, les Halty, les Chiquito




Dans la Nive, des rochers produisent des remous perfides. En 1898, un soldat du 49e de ligne se baignait imprudemment, devant ses camarades. Il pousse un cri et disparaît. N’écoutant que son devoir, un autre soldat se jette à l’eau sans prendre le temps de se dévêtir. Il ne sait pas nager. Mais qu’importe ! Le remous rendit son dévouement fatal et inutile. On retira deux cadavres. Puisque sur les routes du pays basque ds croix indiquent les accidents mortels, pourquoi un humble monument ne dirait-il pas le drame qui s’est passé auprès de ce rocher, un drame fait de tristesse et aussi d’héroïsme ? 




Les barques ont passé sous le grand pont qui conduit à la gare. Après, voici la plus vieille maison de Cambo, dont on ignore le nom et l’histoire, vieux murs muets qui gardent leurs souvenirs. Le lavoir lui fait suite, un lavoir par trop primitif où les femmes sont dans l’eau jusqu’au-dessus du genou, ce qui leur assure prématurément des rhumatismes. Cambo devrait faire mieux pour ces pauvres femmes, d’autant que la source qui coule là a été le berceau de sa renommée sanitaire. Jadis, quand Cambo n'était qu un coin dans les bois, les foules venaient boire de cette source dans la nuit de la Saint-Jean et le hanap d’eau préservait le buveur de tous maux pendant une année entière. 



cambo les bains autrefois
CAMBO 1906
PAYS BASQUE D'ANTAN


Nous avons laissé à droite le pittoresque quartier d’Haurçainia dont les maisons semblent s’escalader les unes les autres, tel un village de Judée. Une d’elles était jadis une auberge où un prêtre réfractaire à la Constitution de 1793 trouva un asile contre les sbires. Cette maison a conservé un médaillon inscrivant sur la pierre cette sentence désespérée et désespérante : 

LE TEMPS P 

ASSE M’A TROM 

PE LE PRESENT ME TOU 

R MENTE ET LAD 

VENIR M’ESPOU VANTE 




Barrant les cîmes de cet horizon, le château de Celhaya, qui est le dernier rêve réalisé d’un parisien qui faisait des affaires en artiste, au contraire de ceux qui font de l’art une affaire. Jamais Cambo n a été autant ni aussi bien aimé que par cet homme. Theuriet un de ses amis, a gravé ce salut sur une pierre de la cour : 


Mon nom est Celaya. Sur la hauteur mon maître 

M’a fait bâtir pour que les amis de son choix 

Puissent voir de très loin, la maison apparaître 

Hospitalière et blanche a la marge des Bois. 

1901




pays basque autrefois
CHÂTEAU CELAYA CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN

Encore sur cette même rive, le Bas-Cambo, le noyau préhistorique de la localité. Il eut son château seigneurial avec la famille des Hurlins, aujourd’hui complètement éteinte. Il eut sa vie et même deux industries très prospères : la ferronnerie et la tannerie. La fortune et le progrès se sont portés ailleurs. Le Bas-Cambo n’est plus qu’un Lazarroni. 




La rive gauche forme une falaise perpendiculaire couverte d’un taillis inabordable et à peu près inextricable, d’où émerge le quartier des Terrasses, le plus commerçant de la ville, et la mélancolique église priant au milieu du cimetière. On devine encore les ombrages du Mimosa-Club, rendez-vous de tout le Cambo mondain, local et étranger qui y trouve les relations et les distractions qui font la vie douce et agréable. 



labourd autrefois
MIMOSA CLUB CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN


De cet endroit à la Nive on partage la nette impression que les ancêtres de la Révolution ressentirent quand, dans leur ardeur de tout transformer, ils débaptisèrent Cambo et lui donnèrent le nom gracieux et imagé de "Montagne-sous-Bois". 




Les barques s’arrêtent un instant et les cœurs aussi : on va passer le premier rapide. C’est un étroit passage, une sorte de vanne libre pratiquée dans un barrage de pierres et de pilotis qui conduit une partie du courant dans un moulin du voisinage. Les barques s’engagent dans cette vanne, soulevées par les vagues écumantes avec une rapidité qui touche au vertige. 




Cette secousse fait apprécier le calme des deux ou trois kilomètres qui suivent, où on navigue comme sur un lac de cristal, réfléchissant barques et touristes. Dans ces parages le regard n’est attiré que par la seule maison "qui lève son chapeau à l’horizon", le château de Arnaga, véritable burg où s’exalte, sur le plus touffu bouquet de verdure, la poésie dramatique et altière et dont l’artisan prépare dans une retraite jalouse de nouveaux et glorieux panaches qui succéderont aux "Romanesques", à "Cyrano" et à 1’ "Aiglon". 


cambo les bains autrefois
ARNAGA CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN


Second rapide, nouveau vertige. La Nive est ici parallèle au chemin de Bayonne à St-Jean-Pied-de-Port. Tout en haut, l’église de Jatxou dont le clocher est dominé, écrasé par un chêne superbe semblant dire que pour glorifier le créateur la nature est bien au-dessus des œuvres humaines. 




Un troisième rapide nous conduit à Ustaritz qui fut le dernier asile des vicomtes du Labourd quand la domination anglaise les eut éloignés de Bayonne. Le débarcadère n’est ni élégant ni facile. Serait-ce que les Ustaritzars boudent encore leur rivière depuis le temps déjà lointain où Pès de Puyanne, gouverneur de Bayonne infligea le châtiment le plus terrible aux Basques qui avaient eu le tort de discuter avec lui les droits de la Ville. Ces droits s’arrêtaient là où le flux n'arrivait plus. Les Basques prétendaient que la marée ne parvenait pas au pont situé à l’endroit où se trouve maintenant la gare de cette localité. 



labourd autrefois
LE TROU D'ALZUETA USTARITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Un soir de la Saint Barthélémy, fête de Villefranque, les Basques se reposaient dans des maisons amies, après les libations habituelles. Pès survint avec une troupe de bandits. Les principaux du pays furent surpris dans leur sommeil, arrêtés et aussitôt attachés aux arches du pont. Pès leur criait d’en haut qu’il allait vérifier si l’eau montait ou non. L'eau monta et les malheureux furent submergés, étouffés devant leur bourreau inflexible. 




Ustaritz fut la patrie de celui qui a été le plus merveilleux chanteur, de Garat qui non content de charmer quatre époques bien diverses : le règne de Marie-Antoinette, la Révolution, l’Empire, la Restauration, charma aussi une foule de belles.



ustaritz autrefois
FONTAINE ET VILLA ATCHIPIA USTARITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


Maintenant, Ustaritz se rajeunit, devient une cité industrielle avec sa fabrique de beurre, de cols militaires, son importante meunerie, etc. 




Quand Ustaritz, Halsou, Cambo le voudront, la Nive sera pour toute cette région un nouveau sujet d’orgueil et de richesse. 




Il suffit pour cela de réglementer cette promenade des rapides. 




En attendant qu'un ingénieur trouve le moyen de pratiquer dans le thalwez un chenal permettant de remonter les barques sans les difficultés que le retour présente aujourd’hui et qui font que cette navigation est assez chère, puisque chaque barque portant 7 à 8 touristes coûte 25 francs, il faudrait, pour que cette promenade devienne populaire et à la portée de tous, qu’elle fût organisée non plus seulement sur commande, mais aussi à dates fixes. Toute personne pourrait y retenir une place moyennant trois francs cinquante par exemple. Pour les fêtes patronales d’Ustaritz, de Cambo, cette excursion ferait partie du programme. 



itxassou autrefois
BARQUE A ITXASSOU
PAYS BASQUE D'ANTAN



Au cours de cette navigation, en amont du dernier barrage, les barques côtoient un "baroa", sorte de moulin d’eau qui, par sa disposition, tient du moulin à vent. Ici les voiles sont remplacées par des nasses où maints saumons se laissent prendre. A côté de ce poisson exquis, combien d’autres frétillent dans les eaux de la Nive : savoureuses truites, tocans, goujons, ombres-chevaliers, perches, anguilles ! 



nive autrefois
BAROA POUR LA PÊCHE AUX SAUMONS
PAYS BASQUE D'ANTAN



Les pêcheurs connaissent les richesses de la Nive. Mais combien leur exploitation serait plus agréable et plus rémunératrice le jour où une Société de pêcheurs voudrait y appliquer les règles d’une intelligente pisciculture. 




La promenade est finie. Ceux à qui la lecture de ces lignes aurait donné, le désir de l’accomplir, ne la regretteront pas et estimeront qu’elle vaut bien des courses en automobile. On suit le courant pendant que les merveilles de la nature et les œuvres de l’homme se déroulent comme dans un cinématographe féérique qui durerait deux heures. Soit que le regard se fixe sur les bords, sur la surface ou sur le fond des eaux, partout il y trouve une sensation profonde faite d’intérêt et de délicat plaisir."



 





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