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mercredi 13 février 2019

LE TRAGIQUE DESTIN D'EUSKADI EN AOÛT 1938 (première partie)


LES BASQUES EN EXIL EN 1938


La guerre civile espagnole, du 17 juillet 1936 au 1er avril 1939, contraint à l'exil à l'étranger de plusieurs centaines de milliers de Républicains et de Basques.



guerra civil española
EXIL DE REFUGIES GUERRE CIVILE ESPAGNOLE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Je vous ai déjà parlé de l'exil des Basques, dans un article précédent.



Voici ce que rapporta à ce sujet le journaliste Pierre Dumas, dans l'Aube du 25 août 1938 :


"Le tragique destin d’Euzkadi.



Il y a exactement cinq ans, en août 1933, comme je venais de réaliser des enquêtes sur les nationalismes allemand et italien, un livre me tomba sous la main, un livre modeste, où l’auteur annonçait la renaissance d’un nationalisme d’un genre nouveau : le nationalisme basque. 



Les Basques ? Pour avoir séjourné à Biarritz et avoir traversé les avant-Pyrénées, de la Rhune à Roncevaux, pour avoir lu Loti et Jammes, pour avoir admiré, du front, des Etcheparre et des Etchevery, merveilleux lanceurs de grenades, je savais des Basques ce que nul n’ignorait : qu’ils sont d’une race forte, courageuse, honnête, qu’ils parlent une langue rude, qu’ils dansent et chantent, que, enfin, ce sont des croyants, qui gardent — sans déviation — la doctrine du Christ, dont ils ne pratiquent pas seulement les rites extérieurs, mais dont ils appliquent en eux et dans leur société les lois sociales et morales. 




C’est muni de ce frêle bagage de connaissances — à base sentimentale — que j’arrivais dans cette région étonnante, qui commence à Irun et se laisse découper par l’Océan sauvage jusqu’au delà de Bilbao. 




Quinze jours après, je revenais en France, bouleversé de ma découverte. Les heures que je venais de vivre à Saint-Sébastien, à Guernica, à Durango, à Bilbao surtout, devaient compter parmi les plus totalement heureuses de ma vie de reporter. Pour la première fois, je venais de rencontrer un petit peuple vigoureux de corps, sain d’esprit, cordial, une peuple qui, à n’en pas douter, renaissait physiquement et culturellement, et qui, dans le déchaînement des appétits, ne voulait qu’une chose : sa liberté ; un peuple où — ô miracle ! — j’avais trouvé des gens heureux et contents de leur sort d’hommes. 


vizcaya antes
BOMBARDEMENT DE DURANGO 31 MARS 1937
PAYS BASQUE D'ANTAN

Mon enthousiasme fut tel que mon premier article prit tout naturellement pour titre : Chapeau bas... messieurs, voici un grand peuple ! ("Petite Gironde", septembre 1933). 




Quand ma série fut finie, série ardente s’il en fut, un de mes guides de Bilbao, le député Manuel de Eligeon, m’écrivit une lettre qui débutait par ces mots : Merci ! Dans l’incompréhension générale dont nous sommes victimes, vous êtes un de ceux qui nous ont compris... 




Je fus ému de ce merci et, dans mon portefeuille, je gardais toujours parmi des photos aimées une feuille de l’arbre de Guernica. 



vizcaya antes
ARBRE DE GUERNICA BISCAYE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Trois ans passèrent. Vint l’insurrection espagnole de juillet 1936. Le hasard m’amena chez les Basques navarrais... et voilà que, tout à coup, j’appris que le premier soin du général Mola n’était pas de courir à la conquête de Madrid, mais bien de concentrer ses forces contre les Basques de Saint-Sébastien. 



Incapable de comprendre, je résolus d’aller voir comment allaient s’aborder, sur le champ de bataille, ces frères basques, aujourd’hui ennemis. 




Précédant une colonne de requetes, je partis en direction de San Antonio. 


pais vasco antes
REQUETES GUERRE CIVILE ESPAGNOLE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Mais voilà que, arrivé à la frontière de Guipuzcoa, on me conseilla d'abandonner l'auto et d'aller à pied à la rencontre de "l’ennemi". Effectivement, nous arrivâmes devant un pont, qu’une mine venait de couper. De l’autre côté, une ferme-moulin avait un air de fête sous le soleil, parmi les frondaisons. Soudain, un grand vieillard farouche s'avança pour parlementer. Peine perdue. Il parle basque. Mais voici que, derrière ce chef de famille hautain et droit, les fils de la maison accouraient. — Nous sommes des journalistes et voudrions aller vous voir. 




Les jeunes traduisent au vieillard, dont la réponse ne se fait guère attendre. 




— Vous venez de Pampelune. Vous êtes des espions. Rentrez chez vos amis. Ici, nous sommes chez nous, en Pays basque, et nul ne passera tant que nous serons vivants. 



Deux autres hommes, porteurs de fusils vinrent ponctuer cette décision. L'un deux nous mit en joue. 



pais vasco 1936
AFFICHE OFFENSIVE POUR EUZKADI
PAYS BASQUE D'ANTAN

... Ce fut mon deuxième contact avec les Basques nationalistes. Il ne me fit pas comprendre, je l'avoue, le tragique problème. 




Souvent, pendant que Bilbao soutenait de cruels assauts, j'ai voulu retourner là-bas. Plus heureux que moi, d'autres confrères furent admis, tandis que mes demandes revenaient avec des refus enveloppés de politesse.



Alors, comme tant de Français, je vécus, de loin, le martyre des Basques. Suivant les informations reçues, il m'arrivait de ne plus oser dire que j'aimais ce peuple ; d'autres jours, au contraire, mon esprit et mon coeur se révoltaient devant son injuste calvaire...et je le proclamais.



Maintenant, le rideau est tombé sur un acte du drame. Il y a un an, en effet, Bilbao fut vaincue, puis Santander, et plus de 200 000 Basques ont quitté leur pays. Ils ont fui leur terre captive, préférant l’exil au nouveau régime. Enfants vagissant dans des langes et banquiers puissants, jeunes filles au regard audacieux et femmes lourdes de maternité, amputés de guerre et paysans noueux, tout ce peuple des cités et des campagnes, avec ses hardes, avec ses frusques archaïques, avec ses portraits de famille, tout ce peuple s’est rué sur les quais des ports et s’est embarqué sur tout ce qui pouvait naviguer : barques de pêche ou torpilleurs, paquebots ou voiliers, cuirassés anglais ou cargos norvégiens... et ils sont partis, tandis que leurs demeures flambaient et que des avions les poursuivaient en mer, lâchant sur leurs barques sans défense les bandes meurtrières de leurs mitrailleuses. 



guerra civil española
SANTANDER 1937

Deux cent mille. C’est beaucoup... oui. Mais le pays tout entier se serait vidé s’il avait pu fuir ! 



Deux cent mille qui sont partis pour "n’importe où", abandonnant richesses et famille, bien-être et joies, maisons et cimetières. 



Parmi les grands exodes, celui-ci sera classé au nombre des plus douloureux, car il est une véritable dispersion aux quatre coins de l’univers de ceux que la nature, la naissance, la vie, avaient créés pour demeurer unis et paisibles dans leur contrée. 



Et, aujourd'hui, par centaines, des mères cherchent leurs fils : par milliers, des foyers sont brisés. De cette famille, le père est à Barcelone, la mère chez Franco, le petit à Saint-Jean-Pied-de-Port. Voici un enfant mutilé par un bombardement et qui ignore si, sur son destin de gosse de douze ans estropié, ne pèse pas une autre catastrophe : la mort de ses parents. 


basse navarre autrefois
CITADELLE DE ST JEAN PIED DE PORT
PAYS BASQUE D'ANTAN

Ils ont fui !... Ah ! quelles sont dures, en notre siècle, les routes de l’exil. Aux premiers convois, les peuples et les particuliers se sont apitoyés ; les photographes ont "tiré" des clichés et les reporters ont pris des interviews. Puis, comme le spectacle était toujours le même et que l’actualité exige de la variété, même dans la misère, on s’est lassé de voir ces épaves sorties de ces cargos bourrés de femmes et d’enfants... Bien des portes se sont alors fermées, même de celles qui eussent dû rester ouvertes, et la dispersion a connu une honte supplémentaire, mais non pas nouvelle pour ce peuple : l’incompréhension.




EXIL REFUGIES ESPAGNOLS


J’ai dit que, sur un acte du drame basque, le rideau est tombé. Je dis bien sur un acte, car, si l’exil est un autre acte, d’autres scènes suivront. Or, maintenant que les Basques sont dispersés en exil, maintenant qu’est tombée pour eux l’ardeur des combats, le moment est venu d’écrire les phrases dernières de leur histoire, d’expliquer pourquoi et comment ces chrétiens ont combattu aux côtés des rouges gouvernementaux, de relater les péripéties générales d’une guerre où tout — même le Dieu qu’ils adorent — semblait les avoir abandonnés. Le moment est venu aussi, même avant que soit terminé le conflit espagnol, d’indiquer le rôle essentiel que ces exilés d’aujourd’hui, ces proscrits, peuvent jouer dans l’Espagne de demain.




Quand j’ai fait part à des amis de mon projet de reportage, la plupart m’en ont dissuadé : "Le rôle des Basques, m’ont-ils dit, est inexplicable, et ce n'est pas vous qui le déchiffrerez." 



C’est possible. Je n’ignore pas la difficulté de la tâche que j’entreprends. Mais ce n’est pas une raison parce que d’honnêtes gens sont incompris, qu’il faille soi-même passer près d’eux sans essayer de se mettre à leur place, sans tenter de pénétrer leur pensée, sans leur donner l’occasion de dire à l’opinion ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent. 



Pour expliquer le présent, je redirai ce que fut le passé de ce peuple, qui ne date pas d’hier... A la lueur de l’histoire, bien des problèmes s'aplaniront et beaucoup d'incompréhensions tomberont.



Au seuil de cette enquête, je vous prie, lecteurs, de vous dévêtir de la tunique lourde de vos préjugés. Oubliez vos partis politiques, oubliez vos sentiments aveugles. Nous devons à ce peuple de le juger sainement, sans préjugés. Nous le lui devons pour la double raison qu'il est indépendant et qu'il est malheureux. 



Il y a quelques jours, je visitais la garderie d’enfants basques installée à Jatsou. Là, au milieu d’une foule joyeuse d’adolescents et de bambins, je remarquai un garçon amputé d une jambe, qui, lui aussi, courait sur ses béquilles. 



Je m’approchai : "C'est un entant de Guernica, me dit son angélique infirmière. Une bombe lâchée par un avion allemand lui a sectionné la jambe." 



vizcaya antes
GUERNICA 26 AVRIL 1937
PAYS BASQUE D'ANTAN

L’enfant vint à nous. Rarement je vis figure plus ouverte, regard plus clair, sourire plus beau. Le petit me raconta comment "ça" lui était arrivé, tandis qu’il fuyait et que, à vingt mètres au-dessus de lui, l'avion poursuivait le pauvre groupe de femmes et d'enfants dans lequel il se trouvait. Naïvement, avec des mots qu'il eût employés pour me faire part de ses joies, il m'exposa son martyre, sa blessure, sa fuite, sa double amputation.




Devant ces veux illuminés de vérité l’émotion me gagna, comme elle vous eût gagnés tous. Si j’avais hésité jusque-là à écrire, devant Pedro Apastégui, âgé de neuf ans, dont la maison fut brûlée par des bombes incendiaires et dont le corps fut mutilé par un avion allemand, ma résolution devint irrévocable.




Pedro Apastégui, mon jeune ami au doux regard, petit Basque exilé, infirme pour toute la vie, victime d’un Allemand inconnu et d’une guerre que tu ne comprends pas, je te promets de raconter aux enfants de chez nous — et à leurs parents — ce que je  sais de ton pays.




En ton nom d’enfant martyr, je leur demande d’écouter les tiens sans passion, de les contempler tels qu’ils sont, enfin de les juger comme ils voudraient eux-mêmes qu’on les juge, sans faiblesse, oui, certes, mais aussi, sans parti pris, sans haine... impartialement."



A suivre...





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