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mercredi 25 mars 2020

LE PEINTRE IGNACIO ZULOAGA D'EIBAR EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN AVRIL 1912 (première partie)


LE PEINTRE ZULOAGA EN 1912.


Né à Eibar, en Guipuscoa, en 1870, et mort le 31 octobre 1945, à Madrid, Ignacio Zuloaga fut l'un des plus importants peintres espagnols de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle.


PEINTRE IGNACIO ZULOAGA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Temps, dans son édition du 7 avril 1912, sous la 

plume de Thiébault-Sisson :



"La vie artistique.




Un continuateur du Greco. Le peintre Ignacio Zuloaga.




Avez-vous lu le beau livre consacré par Maurice Barrès au Greco, à ce Domenico Theolocopuli né en Crète vers 1550, transplanté adolescent à Venise, élevé à l’école du Titien, de Véronèse et du Tintoret, conduit par un goût inné d’aventures en Espagne, attiré par le hasard d’une commande à Tolède où son libre choix le fixa, où pondant quarante années il peignit, avec une palette de plus en plus sévère et dans une formule de plus en plus tourmentée,des portraits, des scènes religieuses, des allégories d’un mysticisme fiévreux, et dont les œuvres, aussi recherchées à présent qu’elles étaient naguère encore démodées, passionnent et subjuguent nos âmes ? 


GRECO OU LE SECRET DE TOLEDE PAR BARRES

Souvenez-vous de la description ferme et sobre, vigoureuse et concise, où l’écrivain évoque la physionomie de Tolède et caractérise les traits essentiels du coin de sol où se dresse "l’énorme rocher qui porte une ville si glorieuse et qu’enserre le Tage". Rappelez-vous "les grands mouvements monochromes de cette terre violâtre et ocreuse" et "cette dure montagne où l’impériale Tolède se ramasse et dont elle épouse les saillies..., cet entassement grandiose où l’on s’étonne de voir, mêlés aux clochers des églises et aux terrasses des monastères, tant de minarets de mosquées", cette cathédrale qui, "comme un poids trop lourd, imprime à la montagne une sorte de fléchissement d’où coule vers le fleuve une traînée de maisons", tandis que sur la droite et sur la gauche, le socle de granit demeure nu. 




Ce paysage, pour l’historien du Greco, explique à la fois l’homme et l’œuvre, et il en déduit subtilement les raisons. "La Castille étonna, domina le Greco. Il arrive souvent qu’un étranger, surpris par. un milieu nouveau, en saisit les nuances et saura mieux le peindre que ne feraient les indigènes de talent... Le Greco, débarqué d’Italie, s’est trouvé, en un rien de temps, le peintre le plus profond des âmes castillanes. C’est lui, c’est ce Crétois, qui nous fait le mieux comprendre les contemporains de Cervantes et de sainte Thérèse." 




Dès son arrivée à Tolède, l’artiste se soumet aux influences du lieu, s’enveloppe de l’atmosphère, la simplifie et la dramatise. 




"Il traduit le paysage où il vient de tomber. Au milieu des collines grises et des tristes hidalgos, il abandonne les intonations chaudes, familières à l'opulente Venise et à la Rome des papes, pour se plaire aux lumières pâles et froides... Délaissant la série des teintes rousses et dorées, il adopte celle des bleus et du carmin. Il aime créer de violents contrastes en posant de grandes masses de couleurs, vives jusqu’à la crudité, cependant qu’il inonde ses œuvres de gris cendré."




Ce singulier mélange d’harmonie et de déséquilibre, cette intensité froide et lumineuse lui servent à exprimer une certaine moralité... Sa peinture présente les brusques alternatives saisissantes, un peu barbares, de celle âme espagnole tout entière résumée par le prosaïque Sancho et le visionnaire don Quichotte. Le visionnaire toutefois domine. Greco allonge les corps divins ; il les voit pareils à des flammes que les ténèbres semblent grandir. Il enveloppe toutes ses visions d’une clarté stellaire. 


MAURICE BARRES DEVANT TOLEDE PAR ZULOAGA

Le voilà parti pour être un peintre de l’âme, et de l’âme la plus passionnée, l’espagnole du temps de Philippe II. Il laisse à d’autres de re présenter les martyrs affreux, les gesticulations violentes, toutes ces inventions bizarres ou cruelles qui plaisaient à un peuple de mœurs dures ; mais il gardera ce qui vit de fierté et de feu au fond de ces excès. Ils valent pour ramener toujours les esprits au point d’honneur et aux vénérations religieuses. Et dans son œuvre, Greco manifestera ce qui est le propre de l’Espagne, la tendance à l'exaltation des sentiments. 




Devant ce modèle sublime qui l’émeut, devant l’âme castillane, Greco oublie ses habiletés ; avec une conscience de primitif, un œil neuf, il dit tout droit ce qu’il lui importe de dire, élimine tout ce qui n’est pas l’essentiel et s’élance violemment vers ce qui est pour lui l’absolu !... C’est ainsi qu’il nous mène au fond natif des Tolédans du dix-septième siècle... Sans cette peinture hallucinée, ces couleurs souvent trop blafardes et ces lignes trop allongées, nul de ces cœurs n’eût été préservé de la mort, et nous ne connaîtrions pas ce peuple triste, contemplateur, et d’une mélancolie funèbre. 




Tel est le portrait, fait de main de maître, que l’écrivain a retracé du peintre des âmes tolédanes. Il est définitif. On le croirait, tant il a de saveur archaïque, exécuté d’après un modèle antédiluvien et unique. Relisez-le pour tant, et vous constaterez, non sans surprise, qu’à quelques détails près il s’ajuste avec une exactitude merveilleuse à un peintre espagnol de nos jours, devenu de longue date parisien — que dis-je ? montmartrois — et qui s’appelle Zuloaga. 



PEINTRE IGNACIO ZULOAGA 1932
PAYS BASQUE D 'ANTAN

Cet Espagnol parisianisé n’a jamais eu de ses survivances ancestrales une conscience plus aiguë et plus nette que depuis qu’il s’est fixé parmi nous. Notre grand public le connaît peu ou l’ignore. On ne l’a vu figurer à nos Salons annuels que trois fois. Il est vrai qu’il y a fait sensation. 




Ses évocations, tout à la fois pittoresques et nerveuses, de l’Espagne contemporaine, de ses filles de la bourgeoisie et du peuple, de ses paysans, de ses importants personnages de petites villes, de ses matadors, de ses picadors, de ses gueux, de ses traditions religieuses, de ses prêtres, ne ressemblent en rien aux scènes rustiques ou bourgeoises élaborées, à grand souci de couleur locale, par les peintres qui ne sont jamais sortis de leur pays natal et qui, de l’autre versant des Pyrénées, à chaque printemps nouveau, nous envoient à la Nationale ou aux Artistes français leurs produits. Quelques dimensions qu’ils donnent à leurs toiles, les artistes qui vivent en Espagne n’ont jamais réussi à créer qu’un art anecdotique et mesquin, curieux au seul point de vue du folklore, et sans âme. L’idéal en est photographique uniquement. Tout en décor et en figuration, il néglige, sans s’en douter, l’essentiel. Il n’évoque ni le terroir, ni la race. 




Zuloaga est le peintre du terroir et de la race. Issu d’une famille d’artistes où l’on damasquinait le fer avec une virtuosité, une audace et un goût qui ont suscité dans les provinces basques, à Eibar, des centaines de petits ateliers où la tradition des Zuloaga se continue. Ignacio s’est expatrié tout jeune, à vingt ans, après avoir refusé de s’associer plus longtemps aux préoccupations et aux travaux paternels. Le démon de la couleur le tentait. Cédant à ses suggestions, et s’obstinant, comme les jeunes artistes du seizième et du dix-septième siècle, à voir dans l’Italie le seul pays où l'on puisse, avec quelque sérieux, s’initier aux mystères de l’art, il est parti, comme les ouvriers de jadis, sac au dos, un bâton d’épine à la main, pour la terre promise. Installé à Rome, il n’y a trouvé ni les conseils ni les maîtres qu’il sentait nécessaires à son développement, et s’est rabattu sur Paris. Le milieu, tout aussitôt, lui a plu. Il s’est senti dans une atmosphère plus vivante, il s’est vu entouré de jeunes gens qui, faisant fi des enseignements officiels, s’évertuaient à trouver en eux, autour d’eux, la formule d’un art tout nouveau et tout autre."



A suivre...








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