SOUVENIRS DU PAYS BASQUE EN 1841.
Dans les années 1840, le tourisme au Pays Basque organise très souvent des excursions entre les lieux de villégiature principaux (Biarritz, Bayonne) et l'arrière-pays, souvent Cambo, réputée pour ses sources thermales.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Constitutionnel, dans son édition du 21/03/1841 :
"...Comme l'a dit M. de Châteaubriand, il y a deux manières de voir les montagnes, avec les nuages ou sans les nuages. Nous partîmes de Cambo au mois de juillet, à quatre heures du matin ; le ciel était sombre et l'air humide ; des nuages d'un blanc mat se déchiraient aux pics des montagnes, s'y déployaient en oriflammes ou s'y posaient en obélisques aériens ; les rochers et les arbres se détachaient avec des teintes noires sur ces larges bandes auxquelles ils prêtaient des formes bizarres ; vers six heures, un rayon de soleil mit en fuite les nuages amoncelés ; en quelques minutes, le ciel devint pur, et nous montra les flancs du Mondarrain couverts de noyers et de chênes de grande taille, qui, du pied de la vallée, ressemblent à des arbustes nains.
Nous touchons aux pentes les plus hautes de la montagne : le sol est couvert de fougères et de fragments d'une pierre bleuâtre et friable ; au centre du plateau, ces découpures, qu'on prend, au loin pour des roches dentelées, deviennent les murailles d'enceinte d'une antique forteresse dont le circuit intérieur aurait eu 160 pieds ; ces murailles, en partie ruinées, ont cinq pieds d'épaisseur ; ce sont d'énormes fragments de rochers superposés les uns aux autres, et grossièrement cimentés ; les Basques avaient rendu leur pays complice de leur résistance, et, jusqu'aux cimes de leurs montagnes, tout s'armait au nom de l'indépendance. Du plateau de Mondarrain, un amphithéâtre de monts se déploie à la vue des pics géants, des sommets arrondis, des pentes boisées, de longues arêtes, se dessinent nettement avec leurs profondes fissures, leurs minces filets d'eau, et les villages ou fermes qui reposent à leurs bases. De toutes parts, ce sont de nouvelles formes et de nouvelles nuances ; mais à l'exception des montagnes voisines, qui semblent fuir à l'est vers la grande chaîne des Pyrénées, les objets se rapetissent et se fondent dans l'éloignement : la Nive ressemble à une couleuvre argentée qui rampe dans l'herbe ; la terrasse de Cambo s'aplatît, et les bourgs ou villages que le secours d'une lunette peut rapprocher apparaissent à l'œil nu comme des taches blanchâtres et indécises. Du reste, on tenterait vainement de donner même une idée incomplète de ce vaste et sublime panorama ; les paroles se pressent d'admiration, mais elles échouent tristement devant un magnifique poème.
Le pays basque français justifie largement le culte et l'enthousiasme de ses habitants ; ces mœurs, ces jeux, cette langue, défendus du niveau commun par une imposante barrière de montagnes, séduisent les Basques par tout ce que ces moeurs, ces jeux et cette langue ont d'antique, de noble et de fortement coloré. Les pieds montagnards s'acclimatent rarement à la poussière des villes et des plaines.
A une bonne lieue de Cambo, on trouve Urcuray, village peuplé de tanneurs, et arrosé par d'abondants ruisseaux. Jusqu'à Hasparren et au-delà, dans les communes d'Ayherre, de Bonloc, de Saint-Martin d'Arberoue et d'Isturitz, le sol est admirablement cultivé jusqu'au sommet des collines ; des fermes blanches et tapissées de treilles, des jardins, des vergers, des ruisseaux courant sous une haie de chênes, de cerisiers ou de peupliers ; des champs de froment et de maïs, des bouquets de bois, des troupeaux, des convois de mulets, des travailleurs des deux sexes, courbés sur le sillon ou sur la graine féconde : tel est le spectacle que présente le bassin de cette vallée dont Hasparren est le plus riche joyau. Le bourg d'Hasparren, patrie de Verus, le favori d'Adrien, et qu'on assure avoir été l'antique chef-lieu de la Novempopulanie, peut encore passer pour une petite ville industrieuse : sa population, en y comprenant les hameaux et fermes de sa circonscription, s'élève à plus de 6 000 habitants. Une large rue traverse Hasparren dans toute sa longueur ; c'est une succession de petites boutiques fort animées, et tenues en grande partie par des cordonniers, corroyeurs et tisserands. L'église, élevée sur les ruines d'un ancien temple, n'a de curieux que la pierre, monumentale trouvée dans ses décombres, et placée dans le chœur : en voici l'inscription que nous nous bornerons à traduire littéralement, malgré sa mauvaise latinité et le solécisme du troisième vers qui est faux.
PIERRE DE VERUS HASPARREN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Flamen, item dumvir, questor, pagigue magister
Verus ad Augustum legato munere funcius,
Pro novem obtinuit populis se jungere Gallos ;
Urbe redux, genio pagi hanc dedicat aram.
"Pontife, duumvir, questeur et gouverneur militaire du pays,
Verus se rendit auprès de l'empereur pour y remplir une mission;
Il en obtint l'indépendance de la Novempopulanie ;
A son retour, il consacra ce temple au génie du lieu."
Dans les communes d'Ayherre et de Méharin, on trouve des chemins encaissés et tellement couverts par des arbres et des taillis, qu'on y marche dans une sorte d'obscurité, et qu'un homme à cheval s'y heurte à chaque instant contre des branches importunes ; on dirait les chemins creux du Morbihan, n'étaient les riantes échappées de vue qui conduisent le regard ailleurs que sur des genêts et des landes. Dans la commune de Méharin, et sur un mamelon peu élevé, on aperçoit l'ancien château de la famille de Belzunce. L'édifice, encore flanqué de ses quatre tours féodales, est couvert extérieurement d'un revêtement de lierre si épais qu'à peine si on en peut distinguer les vieilles murailles.
LE CHÂTEAU DE MEHARIN BASSE-NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le chemin qui passe au pied du château conduit d'Hasparren à Isturitz, dont la grotte appelle chaque année quelques caravanes de curieux visiteurs. Cette grotte s'ouvre aux deux tiers d'une montagne isolée, au milieu d'un vallon qui a la forme d'un entonnoir allongé. Le sommet de la montagne est chauve et découvert ; une sorte de large lit de rochers brisés, entassés comme des ruines, et liés entr'eux par d'épais buissons épineux, conduit périlleusement à une tour démantelée, et qui a donné à la montagne le nom de Gaztelmendia (montagne du château). C'est encore, sans doute, un des débris du système de défense des anciens Basques. L'ouverture de la grotte, qui présente la forme d'un arc incorrect dont la corde aurait huit à dix pieds de développement, est obstruée par des arbustes, des liserons et des genêts dont les branches entrelacées retombent au-dessus de la grotte, en guirlandes gracieuses ou en touffes échevelées. Sur le seuil, la voûte est basse et hérissée d'aspérités ; le sol, couvert d'une boue argileuse à laquelle succède une sorte de lit de pierres énormes, comme entassées par un écroulement, descend rapidement jusqu'à quarante pieds environ. Alors la voûte s'élargit et s'élève, le terrain devient plus ferme, et les bruits du dehors commencent à s'éteindre et à être remplacés par le sifflement monotone des chauves-souris effrayées dont les mille regards étincellent dans les cavités de là grotte. Au pied de la pente raide dont j'ai parlé, on voit une figure colossale et bizarre, coiffée d'une sorte de toque : c'est le premier stalagmite de la grotte ; et, s'il faut en croire les dégouttements incessants de la voûte, la toque passera bientôt aux proportions du bonnet conique, puis le stalagmite grandira jusqu'à rejoindre la voûte, et à former le premier pilier d'une nef future. Ça et là, ce sont de jeunes stalagmites qui commencent à s'élever au-dessus du sol, ou des stalactites suspendus à la voûte ; plus loin, et à une petite distance, une pyramide s'élance haute et élégante ; puis, des figures étranges, et que chaque imagination peut dessiner à son caprice, hérissent le sol et la voûte qui s'élève à une grande hauteur, et donne à la grotte un caractère imposant de hardiesse. A gauche, une ouverture latérale conduit dans une autre salle naturelle, qui ne paraît pas avoir d'issue. La flamme des torches, éclatante et rapide, met en mouvement les stalactites et les stalagmites de la grotte, qui en acquièrent d'immenses proportions, et qui semblent offrir tout-à-coup au regard de larges cavités et de profondes galeries. Puis, lorsque l'éclat des torches s'affaiblit et s'éteint, un rayon de lumière se glisse par l'ouverture supérieure ou les objets se découpent en minces et noires silhouettés, et vient jeter une clarté douteuse et pâle au pied des rochers.
GROTTES D'ISTURITZ BASSE-NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
GROTTES D'ISTURITZ BASSE-NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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