CHARIVARI À HASPARREN EN 1950.
Le charivari est une démarche symbolique et bruyante des membres d'une communauté villageoise, une démonstration empreinte de violence morale et parfois physique visant à sanctionner des personnes ayant enfreint les valeurs morales et (ou) les traditions de cette communauté.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Qui ?, dans son édition du 22 mai 1950, sous la plume
de Léo Vergez :
"Pour venger sa tante, un jeune Basque, Louis Itchorrotz, déclenche le charivari d'Hasparren
qui tourne à la tragédie.
Bayonne (de notre correspondant particulier).
...Et c’est heureux pour eux, car, pendant ce temps, les événements se déroulent à Hasparren. Louis Itchorrotz, qui a pris le commandement de l’expédition, a rassemblé ses troupes dès la nuit venue. Il y a là des parents, trois frères appelés également Itchorrotz : Jean-Baptiste, vingt et un ans ; Jean-Pierre, vingt ans ; Edouard, dix-sept ans. Et puis des voisins : Bernard Lohaïgue, vingt-six ans ; Raymond Iriart-Urruty, vingt-six ans, et Louis Etchart, vingt-deux ans. Tous sont, comme Louis leur meneur de jeu, de braves ouvriers cordonniers d'Hasparren, important centre de la chaussure. N’étant pas directement intéressés à l’affaire, ils ne voient dans ce charivari que l’occasion d’une grosse farce rabelaisienne, qui se trouve par surcroît d’accord avec la morale et avec l’opinion publique.
CHARIVARI HASPARREN JUIN 1950 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Un huitième compagnon avait été pressenti pour se joindre à eux, c’est Darritchon, le propre neveu de Mme Aldax, la trop captivante aubergiste. Il avait tout d’abord promis son concours, mais, par la suite, il a réfléchi et s’est dégagé. Il ne viendra pas. Toutefois, pour témoigner sa sympathie aux manifestants, il leur offre une petite bonbonne de ce vin d’Irouléguy, que chantait P.-J. Toulet, et qui va leur donner du cœur à l’ouvrage.
Les douze coups de minuit ont depuis longtemps sonné. Tout dort dans Hasparren, sauf, en bordure de la ville, sept jeunes gens, tapis dans les fourrés.
A une heure et demie, la bacchanale se déchaîne. C’est l’infernal tapage de chaudrons que l’on tape, de crécelles improvisées qui cliquettent, de sifflets qui stridulent, le tout dominé par le son grave d'une trompe de chasse. Le vacarme, amplifié par le silence nocturne, renvoyé par les échos des collines avoisinantes, éveille dans leurs lits les dormeurs. Parfois, il s’apaise. Alors se détachant du groupe, et armé d’un vieux broc sans fond, en guise de porte-voix, un coryphée improvise une allocution vengeresse, dans laquelle il dénonce pêle-mêle la galante aubergiste, le fermier Jean Itchorrotz, et même bien d’autres villageois, qu’il accuse de débauches dignes de la décadence romaine. Le goût de la farce l’entraîne à de délirantes exagérations. Pendant une demi-heure, cette incantation licencieuse se poursuit, sans autre interruption qu’un solo de trompe de chasse, ou une variation instrumentale sur les culs de chaudron.
CHARIVARI HASPARREN JUIN 1950 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Deux heures du matin ont sonné lorsque le charivari s’arrête, non faute d’entrain, mais parce que le coryphée est phone et les chaudrons défoncés. L’auberge est restée tout ce temps-là silencieuse et sombre, comme inhabitée. Les chahuteurs nocturnes restent maîtres du terrain. Il ne reste plus qu’à finir la bonbonne de vin et à casser joyeusement la croûte. Tous s'y emploient avec l’appétit de leur âge. Puis, la troupe se forme en colonne pour quitter le quartier d’Eliçaberry, avec la ferme intention de rentrer à Hasparren, chacun chez soi, retrouver son lit.
On se met en marche. Tout s’est si bien passé qu’on se promet de revenir le samedi suivant, avec du matériel neuf et des voix reposées. Le groupe, en tête duquel marchent le jeune Edouard Itchorrotz et Bernard Lohaïgue, s’engage dans un petit chemin encaissé et bordé de haies vives. La lune s’étant couchée, l’on n’y voit guère. A un certain moment, Bernard, qui s’était muni d’une lampe électrique, l’allume pour voir où il met ses pieds.
Dans la même seconde, deux coups de feu, presque simultanés, trouent la nuit comme un roulement de tonnerre. Surpris, les jeunes gens se jettent à terre. Plus rien... la panique les prend : le tireur invisible est peut-être en train de recharger son arme ? Presque ensemble, ils se relèvent et fuient, tête baissée, à travers les haies épineuses, à travers les labours, s’égayant dans toutes les directions.
Un quart d’heure plus tard, trois d’entre eux se retrouvent dans un ravin, au fond de la vallée. Il y a Edouard Itchorrotz et son frère Jean-Pierre, que rejoint bientôt Bernard Lohaïgue. Et là, ils s’aperçoivent que deux d’entre eux sont blessés : Bernard à la main et Jean-Pierre, plus gravement, à la cuisse.
CHARIVARI HASPARREN JUIN 1950 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Tremblants dans la nuit humide et fraîche, n’osant rentrer chez eux de crainte de se trouver soudain face à face avec le tireur inconnu, ils pansent à tâtons leurs blessures et attendent, tapis dans une haie, les premières lueurs de l'aube.
Quand, au petit matin, ils quittent leur abri, c’est pour se heurter aux gendarmes, qui sont déjà en campagne et par lesquels ils apprennent le drame : leur frère et ami, Jean-Baptiste Itchorrotz, qu’ils croyaient tout bonnement rentré chez lui, a été ramassé, mort, dans le fatal chemin creux. Il avait été tué sur le coup d’une chevrotine qui, traversant le poumon et le cœur, s’était arrêtée dans la fosse sous-épineuse de l’omoplate. C’est un pêcheur qui, passant par le sentier, trouva son corps déjà froid et donna l’alarme.
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