La réunion du congrès chaque année sur un point différent de la France doit être avant tout une occasion d'étudier les questions qui s'y trouvent localisées par une circonstance quelconque. C'est ainsi que les problèmes algériens nous ont principalement occupés lors des deux congrès tenus en Algérie et ces congrès ont beaucoup contribué à faire connaître en France les questions algériennes qu'on ignorait si profondément encore il y a une douzaine d'années, en dehors d'un petit cercle d'initiés qui ne parlaient pas volontiers. Ici, à Pau, nous sommes à la porte du pays basque, que nous devons visiter en excursion et la question est en elle-même une des plus curieuses qui puissent s'imposer à notre attention. Je lui donnerai donc le pas sur toutes les autres.
Les Basques forment une population d'environ 6 à 700 000 âmes qui occupent les deux cinquièmes du département des Basses-Pyrénées en France, et en Espagne, les provinces dites basques avec un sixième de la Navarre. Ces populations ont une langue tout à fait particulière qui ne peut être rapprochée ni du français, ni de l'espagnol, ni du gascon ni du breton même ; on l'a comparée avec moins de peine au hongrois, aux langues de l'Amérique, au turc, etc... D'autre part, on a étudié les moeurs, le type, les coutumes, les traditions des Basques, pour y chercher les signes caractéristiques de leur race. Car la nature tout à fait spéciale de leur langue indique forcément une origine différente de celle des Béarnais, des Gascons et des Castillans qui les entourent. Quelle est cette origine ? De plus, a-t-on affaire là à une race ancienne ou moderne, civilisée ou rudimentaire ? Enfin, quelle a pu être l'étendue maxima de son habitat ?
Telles sont les questions qui préoccupent les anthropologistes et qui s'imposaient à l'attention de tous les membres du congrès, car elles se rattachent à la constitution même de la nation française.
Comme l'origine des Basques est fort obscure, on devait s'attendre naturellement à recueillir les opinions les plus opposées.
La première qui s'est produite est celle d'un vieux chanoine basque, l'abbé Inchauspe, qui, trop vieux sans doute pour parler lui-même, nous a envoyé un long mémoire sur l'ensemble de la question. L'auteur y fait d'abord un exposé général de la langue basque, qu'il déclare unique, incomparable, supérieure à toutes les autres ; il dit ensuite que cette langue qui était celle des Ibère, a dû être répandue anciennement, dans toute l'Espagne occidentale ; il prétend aussi que les peuples qui la parlaient avaient une civilisation très supérieure et qu'ils étaient monothéistes ; il affirme enfin que ces peuples, que l'étymologie du nom de certains instruments rattache à l'âge de pierre, tirent leur origine de Thubal, l'un des fils du patriarche hébreu Japhet, fils lui-même de Noë, comme chacun sait.
Vous devez bien penser que la plupart des membres du congrès se placent à un point de vue bien différent de celui du vieux chanoine. C'est un professeur à l'Ecole des langues orientales de Paris, M. J. Vinson, originaire du pays, qui lui a répondu. La plupart des arguments de l'abbé Inchauspe, d'ailleurs, sont d'ordre purement sentimental ou métaphysique, ou reposent sur des affirmations gratuites et n'ont par conséquent qu'une valeur scientifique des plus médiocres ; d'autres viennent d'une étude insuffisante des travaux les plus récents ou d'une méconnaissance évidente de l'état actuel de la science. Il résulte, par exemple, des dernières publications de M. Bladé, correspondant de l'Institut, que les Vascons n'ont occupé qu'une très faible partie du pays basque actuel, d'une part, et, d'autre part, que l'origine espagnole des Basques français est une erreur historique certaine, bien qu'elle ait été longtemps considérée comme un fait incontestable. Quant à la langue basque, seul caractère spécial aux populations qui la parlent, elle n'est ni si précise, ni si admirable, ni si extraordinaire. Elle est exactement analogue aux autres idiomes agglutinants ; c'est une question de plus ou de moins. Tout porte à croire que cette langue est une des mille langages divers des populations primitives, inférieures et rudimentaires de l'Europe, dont la plupart ont disparu par suite de la sélection naturelle et de la concurrence vitale ; elle n'a jamais dû être parlée sur un territoire plus étendu, et les Basques actuels sont sans doute les représentants d'une race primitive locale autochtone, pour ainsi dire.
JULES VINSON 1900
M. le docteur Abel Bouchard, de Bordeaux, a fait connaître que, par suite de longues observations qu'il a faites depuis une quinzaine d'années, il est d'avis, contrairement aux propositions de Broca, que les Basques sont essentiellement brachycéphales ; il y verrait volontiers une avant-garde aryenne des préaryens.
M. Vinson fait observer que la langue basque n'a absolument rien d'aryen et que — quel que soit le type actuel des Basques — les individus que caractérisait cette langue ne peuvent pas avoir été originairement aryens.
M. le docteur Guilbeau, de Saint-Jean-de-luz, a présenté une carte linguistique du pays basque à laquelle il travaille depuis des longues années. Elle est à une très grande échelle, donne tous les villages du pays, délimite les quatre dialectes (labourdin, soudanais, guipuzcoan, biscayen) et distingue trois zones successives : celle où le basque est encore l'idiome général et courant, celle où il n'est plus parlé que par la minorité des habitants, celle enfin où il a presque entièrement disparu. M. Guilbeau évalue à 600 000 ou 700 000 le nombre des français qui parlent encore le basque aujourd'hui.
Les causes de la disparition de la langue dans les provinces de l'Alava, de la Navarre et de la Biscaye sont étudiées par l'auteur. Le gouvernement espagnol a intérêt à faire disparaître certaines traditions, les privilèges dits fueros ; un des moyens qu'il emploie est la guerre à la langue basque. Le castillan est obligatoire même pour l'enseignement du catéchisme. La facilité de la langue espagnole l'a favorisée. Les centres populeux et industriels de Bilbao, Pampelune, Vitoria ont fait tache autour d'eux. Demain ce sera le tour de Saint-Sébastien.
Ces raisons n'existent pas en France. La langue française est difficile ; les écoles sont irrégulièrement fréquentées, le patois gascon répugne au pays basque. Le clergé basque reste en toute liberté fidèle à l'ancien idiome. Le basque est en honneur même dans les familles riches et le Basque, tout en étant Français de coeur et d'âme, conserve jalousement ses us, coutumes et traditions.
M. Emile Cartailhac, le savant anthropologiste de Toulouse a pu constater, lui aussi, la grande variété des Basques au point de vue physique. Dans des familles où l'on n'a pas souvenir de l'introduction d'un élément étranger, on rencontre des blonds et des bruns, les plus beaux yeux noirs et les plus beaux yeux bleus, des brachycéphales et des dolichocéphales. Mais en voyant aux fêtes basques de Saint-Jean-de-Luz et aux marchés de Mauléon et aux environs les Basques en nombre, on reconnaît vite des traits communs, très accentués, très nets, par exemple dans le profil. Ces caractères devraient être dégagés et précisés par les observateurs du pays. Il regrette que ceux-ci, plus nombreux qu'on ne le pense, ne puissent s'unir et former une société locale pour l'étude des Basques, comme il en existe une depuis huit ans en Allemagne !"
EMILE CARTAILHAC
A suivre...
Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.
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