LA COUVADE CHEZ LES BASQUES EN 1877.
La couvade est une pratique humaine, observée dans plusieurs sociétés depuis au moins l'Antiquité.
LA COUVADE AUTREFOIS |
Elle désigne un ensemble de rites accomplis par un homme - généralement le père et mari -
pendant la grossesse d'une femme, son accouchement et la période post-natale.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La République Française, dans son édition du 19
janvier 1877 :
"Revue des Sciences Historiques.
La Couvade chez les Basques.
Il en est de certaines affirmations scientifiques comme de ces "faits divers" des journaux politiques, qui sont reproduits à l'infini de l'un à l’autre et dont l’origine est insaisissable. Acceptées de proche en proche et confirmées d’âge en âge par les auteurs les plus estimables, les plus consciencieux, qui se citent les uns les autres, elles en viennent à former certains lieux communs que personne ne dément. Et pourtant, si l’on serrait de près ces légendes incontestées, combien peu laisseraient un résidu de quelque valeur !
Dans une étude de Mme Clémence Royer sur les Migrations atlantiques, publiée en 1869 par la Revue ethnographique, on lit (p. 48-49) le passage suivant : "Parmi ces usages (qui attestent l'unité d'un groupe ethnographique), je citerai surtout la couvade, que Tylor (Early History of mankind, ch. X) nous montre dans toute son ingénuité primitive chez les Guaranis, les Caraïbes, les Abpones du Mexique, les Topinambas du Brésil, mais qui se retrouve à l'état de superstition altérée et détournée de son sens originel chez les Ibères et les Basques, leurs descendants. Elle existait en Corse au temps de Diodore, à l'ouest de l’Afrique chez quelques tribus, et enfin, chose étrange, chez quelques groupes ethniques isolés des montagnes du centre de l’Asie. On l'a signalée chez les Tibarans du Pont, au sud de la Mer noire ; Marco Polo l’a rencontrée dans les provinces chinoises du Yunnam occidental ; on l’a signalée également chez les Miaotsze, une race sauvage inférieure des montagnes chinoises, et jusque dans l'archipel oriental, à Bouro." Un intérêt particulier nous a engagé à vérifier l’assertion relative aux Basques et à en rechercher l’origine.
On sait en quoi consiste la couvade : lorsqu’une femme est accouchée, son mari la fait lever, se couche à sa place auprès de l’enfant, qu’il couve pour ainsi dire pendant quelques heures, pendant un temps plus ou moins long. Cette coutume existe-t-elle chez les Basques ? Mme Royer l’affirme sans citer ses auteurs, comme s'il s’agissait d’un fait reconnu et incontestable, en ajoutant qu’elle a été détournée de son sens originel et que ce n’est plus qu'une superstition altérée. Les Basques tiendraient cette superstition de leurs ancêtres, les Ibères. Sans parler de la parenté des Basques et des Ibères, qui n’est nullement démontrée et qu’on doit, jusqu'à nouvel ordre, regarder seulement comme une hypothèse possible, ce passage de Mme Rover soulève deux questions principales : Est-il vrai que la couvade ait été détournée de son sens primitif chez les Basques ? Est-il vrai que cette coutume existe chez les Basques ? La seconde question doit être résolue avant la première : car une réponse négative à celle-là fait immédiatement disparaître celle-ci.
Avant Mme Royer, maint auteur a parlé de la couvade comme d’un usage spécial non seulement aux Basques, mais à tous les peuples anciens et modernes de la région pyrénéenne.
Dans le Bulletin de la Société des lettres, sciences et arts de Pau, 1874-1875, p. 131-134, M. Piche cite le passage suivant d’un article de la Revue des Deux-Mondes (1er novembre 1874) sur "les origines de la famille", et qui n’est guère qu'une notice signalétique des deux ouvrages de M. John Lubbock (Origines de la civilisation) et de M. A. Giraud-Teulon (Origines de la famille) : "L’idée de la parenté, telle qu’elle existe chez les peuples civilisés, nous semble tellement nécessaire et naturelle que la constitution juridique de la famille sur la base du droit de la mère et de la filiation dans la ligne féminine nous paraît le monde renversé. — On en rencontre pourtant des vestiges dans tous les pays du globe ; chez les races inférieures, la généalogie se trace par la mère, les biens d'un homme se transmettent aux neveux. Plus tard, le principe de la paternité prévaut, au moins chez les races les mieux douées. Dans certains cas, la parenté du père se substitua si complètement à celle de la mère que celle-ci fut pour ainsi dire exclue. — C’est ce qui explique, d’après M. Lubbock, une curieuse coutume que l’on rencontre chez les Indiens de l’Amérique, en Asie et jusque dans le midi de l'Europe : à la naissance de l’enfant, c'est le père qui se met au lit et qu’on soigne ; c’est ce qui s’appelle en Béarn "faire la couvade". M. Giraud-Teulon veut voir dans ces bizarres pratiques un symbole d'adoption, par lequel le père est en quelque sorte investi de droits égaux à ceux de la mère."
M. Herbert-Spencer dit également, dans la Science sociale (trad. fr., ch. VI, p. 145) : "Mettez une personne au défi d’imaginer toutes les analogies possibles, jamais elle ne tombera sur un usage qui se rencontre chez les Basques et qui a existé chez d’autres races : quand une Basque accouche, le mari se met au lit et reçoit les félicitations des amis, tandis que sa femme vaque aux soins du ménage."
M. de Quatrefages , dans ses Souvenirs d’un naturaliste, a écrit ce qui suit : "Les Basques montagnards présentent un trait de mœurs plus caractéristique encore. Quand une femme accouche, le mari se met au lit, prend le nouveau-né avec lui et reçoit ainsi les compliments des voisins, tandis que la femme se lève et vaque aux soins du ménage. M. Chaho explique cette singulière coutume par la légende d’Aïtor. Pendant son exil sur la montasne, ce père des Euskaldunois eut un fils, et la mère, craignant pour les jours de cet enfant, si elle restait seule auprès de lui, le laissa sous la garde de son mari pendant qu'elle allait elle-même chercher la nourriture nécessaire à toute la famille. Depuis lors, les Basques ont conservé cette espèce de cérémonie en souvenir de la rude existence de leurs premiers parents. On comprend que nous ne saurions admettre cette explication d’un usage si contraire à nos mœurs, et nous aimons mieux y voir un reste de cette barbarie qu’on trouve chez tant de peuples sauvages, où l’homme, le guerrier, est tout et la femme rien."
SOUVENIRS D'UN NATURALISTE DE QUATREFAGES |
Nous verrons plus loin quelle peut être la valeur du témoignage de Chaho, à qui M. de Quatrefages s’en rapporte entièrement.
Enfin, dans sa fameuse Luciniade, poème en dix chants sur l’art des accouchements (Paris et Nîmes, 1790-1815, quatre éditions in-12), le citoyen Sacombe, de Carcassonne, s'exprimait en ces termes :
En Amérique, en Corse, et chez libérien,
En France meme encor chez le Vénonnien,
Au pays Navarrois, lorsqu'une femme accouche,
L'épouse sort du lit et le mari se couche ;
Et, quoiqu’il soit très sain et d'esprit et de corps,
Contre un mal qu'il n'a point l’art unit ses efforts.
On le met au régime, et notre faux malade,
Saigné par l'accouchée, en son lit. fait couvade :
On ferme avec grand soin portes, volets, rideaux ;
Immobile, on l’oblige à rester sur le dos,
Pour étouffer son lait qui, gêné dans sa course,
Pourrait en l'étouffant remonter vers sa source.
Un mari, dans sa couche, au médecin soumis,
Reçoit, en cet état, parents, voisins, amis,
Qui viennent l’exhorter à prendre patience
Et font des vœux au ciel pour sa convalescence.
La description est complète ; mais l’assertion du médecin-poète n’est appuyée d’aucune preuve. Le témoignage le plus affirmatif et le plus précis est celui de M. Cordier, qui s’exprime en ces termes : "Est-il vrai que le mari se mette au lit quand la femme est accouchée, ainsi que Strabon le rapporte des Ibères ? On n’en saurait douter. Zamucola, Chaho, témoignent du fait pour la Biscaye. J’ai voulu m’en assurer moi-même chez les Basques français : dans la Navarre, on me dit en rougissant : Oui, cela se pratique, mais dans certaines familles, dans quelques lieux écartés seulement. Dans la Soule, on me renvoyait à l’Espagne, mais quelqu’un dit : Il est vrai, la nouvelle accouchée se lève et sert son époux, qui se met au lit avec l’enfant ; il y reste quatre jours et quatre nuits ; il en est qui se contentent d’y demeurer quelques heures ; on pense que la chaleur du père est de nature à fortifier l’enfant et, si c’est un fils, la coutume est "encore plus suivie." Je n’ai pu en apprendre davantage, ni voir de près fonctionner cet usage... La coutume basque parait s’être étendue au Béarn où on l'appelait coubade, nom curieux et qui nous rappelle que, chez certains oiseaux, le mâle couve ainsi que la femelle. C’est dans une note du fabliau de Nicolette et Aucastin que Legrand d’Aussy mentionne la couvade béarnaise (Fabliaux ou Contes, Paris, 1829, t. III, p. 372) ; et il est à remarquer que le fabliau lui-même nous transporte dans le Midi de la France, notamment à Beaucaire, et place dans cette région le grotesque épisode qu’il tire de cet usage." (E. Cordier, de l'organisation de la famille chez les Basques, Paris, 1869, in-8°, p. 23 et 25.)
Avant de discuter le témoignage personnel de M. Cordier, examinons les textes qu'il cite et reportons-nous aux passages originaux.
C’est au livre III de sa Géographie (ch. IV, § 17) que Strabon fait allusion à la couvade. Dans ce chapitre, il parle sur tout de la cruauté, de la dureté, de la fermeté de tous les habitants de l’Espagne, et surtout de ceux du Nord ; il cite, comme exemple, les Cantabres massacrant leurs enfants pendant la guerre, les femmes et les enfants tuant leurs pères et leurs amis prisonniers, pour ne pas les laisser vivants entre les mains des vainqueurs. Il assure que ces coutumes barbares sont communes aux Celtes, aux Scythes et aux Thraces, et il ajoute : "Ils ont aussi en commun ce qui touche à la virilité et des hommes et des femmes. Celles-ci travaillent la terre, et ayant enfanté servent les hommes, les ayant fait coucher à leur place (anth'heautôn kataklinasai) ; dans les travaux souvent elles enfantent et lavent et emmaillottent (leurs enfants), les inclinant vers quelque ruisseau." Le géographe grec ne parle que très accessoirement de la couvade ; ce qui l’a frappé, c’est l’énergie et la vigueur des femmes ; il insiste sur le fait de leur action au travail immédiatement après l’accouchement, en citant aussi un exemple caractéristique donné par une Ligurienne.
GEOGRAPHIE DE STRABON |
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