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lundi 2 décembre 2019

L'ORGANISATION DE LA CONTREBANDE SUR LA FRONTIÈRE ESPAGNOLE AU PAYS BASQUE EN 1934


LA CONTREBANDE AU PAYS BASQUE EN 1934.


En 1934, l'écrivain Blaise Cendrars fait un "tour de la France criminelle" et il passe par le Pays Basque, racontant son voyage dans le journal Excelsior.


pays basque autrefois
QUAI DE L'INFANTE ET PORT ST JEAN DE LUZ 1934
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta le journal Excelsior, dans son édition du 3 mai 1934, sous la plume de 

Blaise Cendrars :



"Les gangsters de la mafia.



Sur la frontière franco-espagnole.




La liberté est pour le Basque un droit divin. Peuple noble et fier, il a toujours combattu ceux qui ont voulu le soumettre ou l'imposer durement. Les rois de France avaient accordé à ce pays privilégié de larges exemptions d'impôts. Louis XI et Henri II se montrèrent fort libéraux. Louis XIII, en 1617, conférait au pays basque la grâce à perpétuité. En 1664, Colbert proclama le tarif uniforme d'imposition dont la province basque du Labourd demeura exempte, comme "... province réputée étrangère". Mais cette politique ne fut pas suivie, et bientôt, en 1750, des troubles éclatèrent au sujet de l'impôt sur le tabac. Louis XVI, au vu du rapport favorable du gouverneur d'alors, Bachaumont, conserva la franchise à Bayonne et à Saint-Jean-de-Luz. Le régime de liberté contrôlée instauré par la République ne put modifier le tempérament frondeur, indépendant du Basque, qui se livre aujourd'hui encore à la pratique de la contrebande par atavisme, tradition, mœurs et coutumes locales, et sur une si vaste échelle que la contrebande est la première, voire la seule industrie du pays basque.




pays basque autrefois
LA NIVELLE ST JEAN DE LUZ CIBOURE 1934
PAYS BASQUE D'ANTAN


La modernité, qui a changé l'aspect des Champs-Elysées, de la Canebière, est également venue troubler les mœurs séculaires des paisibles contrebandiers basques, au point que, telle qu'elle se pratique aujourd'hui dans ce pays frontière, dans ces villages perdus, dans ces chemins de terre où passent, criards, les chars à bœufs, la contrebande peut être comparée à une vaste organisation de "transport rapide", avec ses agences, ses sous-agences, ses dépositaires, ses convoyeurs, ses itinéraires, ses horaires, barèmes, assurances et prix.




Le Parisien, le touriste peut essayer en vain de satisfaire sa curiosité à ce sujet. S'il interroge les indigènes, il ne verra qu'étonnement sur leurs faces basanées. Les vieux hocheront la tête, les jeunes ne comprennent pas ce que l'on veut dire. Personne ne sait rien. Mais si vous vous rendez dans certain quartier de Saint-Jean-de-Luz avec un paquet, un ballot "à faire passer" et si vous dites simplement : "Je suis très ennuyé, j'ai là un petit colis pour l'autre côté...". si votre tête "leur revient", vous verrez les gens sourire et des mains vous tendront des imprimés, barèmes de transport de ville à ville, en deçà et au delà des Pyrénées.



pays basque autrefois
PUBLICITE POUR ST JEAN DE LUZ ET CIBOURE EN 1934
PAYS BASQUE D'ANTAN


"Transports rapides".


Ces tarifs sont établis compte tenu du poids, du volume, de la destination, de la valeur de la marchandise.




Vous pouvez être tranquille, votre colis arrivera à destination et sera remis en mains propres. Mais si vous manifestez la moindre crainte à ce sujet, vous pouvez le faire assurer "tous risques", moyennant un léger...supplément. Il existe, en effet, une mutuelle d'assurances entre les grands contrebandiers, et elle fonctionne à merveille : perte, vol, accident, destruction, bris, tout est prévu, même la saisie de votre colis par la douane !




Ces vastes organisations de "transports rapides" sont nombreuses et contingentées. Elles se font une concurrence acharnée. Chacune d'elles a son secteur, sa zone, sa région de passage, ses "passes". Elles tendent depuis quelque temps à se spécialiser chacune dans un genre bien déterminé de marchandises à passer, dont le choix est conditionné par les besoins et les difficultés de la zone frontière que chacune d'elles exploite.




Au sein de chaque organisation, le transport de la marchandise s'effectue par étapes : des sous-agences et agences, la marchandise est d'abord conduite "à pied d'oeuvre" ; puis elle est confiée aux "vedettes", qui lui font franchir la frontière et assurent le passage difficile ; enfin, les "apprentis" la relaient de l'autre côté de la frontière et assument son acheminement ultérieur ainsi que sa distribution et sa livraison.




Que passe-t-on en contrebande ? Tout ce que l'on a intérêt à passer, selon les régimes douaniers, le contingentement, les prix comparés en France et en Espagne, le cours de la peseta — : et les événements politiques : l'effervescence des partis en Espagne ou au Portugal.


labourd autrefois
LA PERGOLA ST JEAN DE LUZ 1934
PAYS BASQUE D'ANTAN


Néanmoins, les marchandises le plus souvent passées sont :


a) D'Espagne en France :

Les denrées de première nécessité ; l'alcool, le tabac, les dentelles, les bas de soie, les draps ; le bétail (chevaux, mulets, moutons, cochons) ; les stupéfiants (cocaïne et morphine) ; la poudre, les cartouches (tout récemment, les armes de guerre) ; les capitaux (depuis la révolution espagnole) ; les hommes (ouvriers portugais).


b) De France en Espagne :

Les denrées de première nécessité, les draps français, les spécialités pharmaceutiques, les autos volées en France, les armes de guerre (dans un but politique), les femmes (traite des blanches).





Les systèmes douaniers.


Les "passages" d'Espagne en France sont donc de beaucoup les plus nombreux et les plus importants ; aussi le système de défense douanière diffère-t-il du tout au tout d'une nation à l'autre, l'Espagnol étant rigide, brutal, établi sur une seule ligne fortement occupée, mais offrant de nombreux trous par où l'on s'échappe, l'on passe ; le Français établi en profondeur, souple, flexible, efficace comme un filet, un chalut : il ramasse.



pays basque autrefois
BIDART 1934
PAYS BASQUE D'ANTAN



Stratégie espagnole.



En Espagne, un cordon de carabineros tient la frontière.



Dans des cabanes, de 50 en 50 ou de 100 en 100 mètres, tels des guetteurs, les carabiniers surveillent un petit secteur.



pais vasco antes
FONTARRABIE 1934
PAYS BASQUE D'ANTAN



Quand on passe en auto du côté espagnol, la nuit, notamment, de Vera à Béhobie, on peut les voir dans leurs cahutes, leurs guérites, tout le long de la route, et l'on est étonné de leur nombre. 




Ces hommes assurent des gardes de nuit et font jusqu'à seize heures de service continu. Avec cela, ils ne touchent que 200 pesetas par mois !... Les heures sont longues... Quand arrive le matin, après une nuit de veille, coupée d'assoupissements plus ou moins prolongés, la contrebande a fait son œuvre nocturne... et l'on comprend que ces hommes exténués, et si mal payés, ferment volontiers les yeux, de fatigue, même si un chef contrebandier n'est pas venu la veille au soir leur graisser la patte, comme on a trop souvent tendance à l'insinuer...



D'ailleurs, si dense que soit ce cordon de surveillance, il ne le sera jamais assez, car dans ce pays frontière, le relief est tel à certains endroits qu'un carabinier tous les deux mètres serait nécessaire pour boucher tous les trous qu'un tel système monocorde comporte.



pays basque autrefois frontiere
AINHOA 1934
PAYS BASQUE D'ANTAN



Stratégie française.



Du côté français, le système est tout différent.



Il est plus souple, il est articulé.



Il ne comporte pas de cordon de douaniers.



Notre réseau douanier est fonction du relief du sol.



L'orientation des vallées a permis de substituer au cordon unique un réseau en profondeur, des petits postes d'alerte qui nécessitent beaucoup moins de douaniers.




Sur la frontière, quelques postes de surveillance assez éloignés les uns des autres. Des patrouilles fréquentes les relient par des itinéraires différents, variant selon les heures de la nuit.




A l'arrière, un deuxième cordon de surveillance, avec des postes de garde établis de préférence aux carrefours des routes de pénétration — et si le relief l'exige, on établira encore plus loin à l'intérieur une troisième, une quatrième ligne de postes, à l'entrée des ponts, aux bifurcations, aux croisements.




Entre tous ces points stratégiques circulent continuellement des patrouilles volantes, prêtes à intervenir là où l'exigeront les événements.




On voit que, par sa structure, le réseau douanier français est comparable à un immense filet mobile dont l'action est sensible jusque très loin dans l'arrière-pays.





Les points de passage.




Mais avec un tel réseau de douaniers, par où peuvent donc passer nos contrebandiers ?



Partout.



Partout où la y a un trou, partout où une maille du filet s'est relâchée.




Ils se renseignent à l'avance sur l'heure, l'itinéraire des patrouilles, des petits postes prévus, des embuscades dressées. Ils ont leurs espions. Ils font suivre tous les mouvements des douaniers par des hommes — un berger, un bûcheron, un garnement qui a l'air de se rendre à l'école — chargés de les tenir au courant de leurs moindres faits et gestes et qui correspondent avec eux par signal convenu : un feu, une fumée, du linge à sécher disposé d'une certaine façon à une fenêtre ou accroché à une haie ou étendu dans un pré, etc.




De l'Océan à la forêt d'Iraty, sur plus de 100 kilomètres, du niveau de la mer jusqu'à 2 000 mètres d'altitude, par les rivières, les torrents, les landes, les éboulis, les rochers, les forêts, les cheminements inconnus, les cols réputés les plus dangereux, le contrebandier passe. Il est partout chez lui. Il se cache, il épie, dans les épaisses, les complices fougères.




L'heure du contrebandier est douce... dans l'enchantement du crépuscule... quand le contrebandier basque part en chantant, se dirigeant vers la montagne, des espadrilles aux pieds, une paire de rechange au cou, et qu'il monte insouciant vers la "cache", vers la "borde" qui recèle la marchandise qu'il s'apprête à passer cette nuit.




"Le meilleur chemin pour le contrebandier est celui où il n'y a pas de douaniers !"




Et notre homme le connaît, ce chemin, il est écrit dans sa tête et plusieurs fois déjà il l'a parcouru à toutes jambes, le sac ou le bidon au dos.




C'est de Biriatou, par le col de la Perdrix, d'où l'on commande toute la basse vallée de la Bidassoa, le sentier qui mène à la Croix des Bouquets, où l'on verra venir des petits chevaux déboucher du sud d'Ibardin et gagner Urrugne ou Olhette à travers les forêts de châtaigniers.




C'est le col d'Ibardin ou le terrible passage par Endarlaza, la route qui serpente vers le col de Saint-Ignace pour atteindre la venta de l'Aragonais, une masure sinistre, où les "bidonards" se ravitaillent en alcool.




De Sare, la Mecque des contrebandiers basques, les chemins rayonnent qui mènent au col de Lizarieta, soit par Astigaraga en venant de Lesaca, Yanci ou Echalar, ou ceux qui contournent Les Palombières par Laurietako Borda, ce champ de manœuvres de la contrebande classique. Par Dancharinéa et ses chemins forestiers ne passent, par contre, que les grands as, tellement la région est réputée difficile.




C'est par Bidarray et sa zone franche, la Nive, aux gués trop surveillés, et dans les eaux tumultueuses de laquelle il ne faut pas craindre de se jeter pour passer, quitte à faire la chaîne, à se nouer les uns aux autres pour ne pas être emporté. Seuls, les plus téméraires s'y risquent.




C'est dans la région de Saint-Jean-Pied-de-Port, Arnéguy, Valcarlos, Andarotte avec les sentes tragiques d'Urepel et des Aldudes par lesquelles "on fraude" les ouvriers portugais qui viennent travailler en France et qui, souvent, n'arrivent jamais.



pays basque autrefois contrebande
ROUTE D'ARNEGUY 1934
PAYS BASQUE D'ANTAN



Enfin c'est, par Mendive, la sinistre forêt d'Iraty, à travers laquelle passe toute la contrebande d'armes."



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