VOYAGE DE BAYONNE EN LABOURD À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT EN BASSE-NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1854 (deuxième partie)
DE BAYONNE À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT EN 1854.
Au milieu du 19ème siècle, on commence à découvrir le Pays Basque intérieur, en particulier la Basse-Navarre.
CAMBO 1846
PAYS BASQUE D'ANTAN
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette nationale ou Le Moniteur universel, dans son
édition du 22 novembre 1854 :
"Autour de Bayonne.
...C’est une suite de murailles brunes et moussues, dont les pierres disjointes ont accueilli entre elles mille plantes parasites, et qui rappellent ces villages fortifiés de la Manche décrits par Cervantes. Une porte à plein cintre, crénelée, sous laquelle passent d’abord des femmes venant de la fontaine et qui portent sur leur tète des bidons de bois cerclés en cuivre, puis à leur suite un pauvre enfant chaussé d’alpargates, vêtu de culottes attachées au genou et drapé à l’aragonaise dans un fragment de couverture. Une place mal pavée ou non pavée, sur laquelle s’élève, non pas un hôtel, non pas une auberge, une venta tout au plus, dans toute la nudité , tout le délabrement de celle où Don Quichotte vécut de quelques bribes de pain de la surveille et d’un morceau de merluche desséchée. Enfin, comme appendice, uns salle basse, décarrelée, servant tout à la fois de cuisine, de bureau pour les voitures publiques, de salle d’attente pour les voyageurs, et meublée de quelques chaises boiteuses et dépaillées.
Ce furent là mes premières impressions en voyant Saint-Jean-Pied-de-Port ; des visites plus récentes ne les ont pas modifiées.
Nos vieux auteurs espagnols et français aiment, je ne sais par quelle affectation ironique, à écrire de tous côtés Saint-Jean-de-Pied-de-Porc, ou San Juan de Pié de Puerco. Ignorance ou malice, l’orthographe n’est pas exacte. Saint-Jean doit son nom à sa position au pied du port, ou passage qui conduit en Navarre.
La ville est au centre d une riche vallée, formée par de hautes montagnes couronnées de neige. Ses maisons occupent la base d’un mamelon isolé que surmontent les créneaux noircis, les remparts inaccessibles d’une citadelle élevée par Vauban.
ST JEAN PIED DE PORT 19EME SIECLE
PAYS BASQUE D'ANTAN
Si ce n’était une colonie assez nombreuse de fonctionnaires, d’officiers, de douaniers et de soldats, Saint-Jean serait à peine habité. Les rues sont sales, étroites et tortueuses ; on n’y voit circuler qu’une population chétive, des muletiers, de pauvres navarrais et des gitanos qui passent la nuit sur le parvis de l’église où sous les portes de la ville, eu unissant leurs chants monotones aux cris lugubres des oiseaux de nuit.
La vallée, au contraire, est charmante et sillonnée de cours d’eau. Des créneaux de la citadelle on découvre la belle route qui conduit à Arneguy et de là en Espagne ; les chemins par lesquels on parvient, au nord, au beau château de Lacarre, habité par un Basque, vétéran de l’empire, le maréchal comte Harispe ; à l'est, aux forges de Lecumberry ; à l'ouest, aux fonderies des Aldudes ; délicieux chemins cachés sous l’ombre et la verdure et qui tentent de loin la paresse ou la curiosité du promeneur.
J'ai suivi ainsi, un jour de fête, le long d'un joli ruisseau, au pied d’une montagne boisée, un chemin pris à l’aventure. Le hasard m’a jeté au milieu d’une bande de Basques et de Basquaises, vêtus de leurs plus beaux habits, précédés, comme ceux qui descendent à Biarritz et à Cambo à la Saint-Jean et le dimanche après le 15 août, de leur musique nationale et d’un groupe d’hommes qui chantaient. Il y avait là tout un village, les enfants, les hommes, les vieillards. Quelques jeunes gens, au milieu de la bande, portaient un costume plus coquet et plus léger, leurs pieds étaient chaussés de fines sandales, leurs vestes étaient ouvertes sous l'aisselle pour laisser au bras toute la liberté de ses mouvements, et leurs mains droites étaient armées de gantelets de cuir.
Je me trouvai près de l’un des vieillards.
"Agour ! (Dieu vous garde !), lui dis-je.
—Agour jaona ! me répondit-il (Dieu vous garde, seigneur !).
— Nous y allons, fit-il encore avec le laconisme accoutumé des Basques.
— La fête sera joyeuse, sans doute, et le jeu de paume animé ? On m’a parlé de nombreux défis...
— Il y a des défis, certes ; ceux de Lasse nous ont fait porter un cartel à Ascarat.
— Y prendrez-vous part ?
— Oh ! il faut laisser faire les jeunes gens. Nous autres nous avons notre rôle."
Et il frappa sa ceinture qui rendit un son métallique.
Pendant le chemin, les bardes qui marchaient en tète du cortège chantaient à pleine voix sur un rythme joyeux. Je demandai au vieillard quel était le sujet de leurs chants. "Vous savez, monsieur, me dit-il, que les poèmes de nos bardes ont toujours pour sujet les événements importants qui sont survenus dans le pays. Quelquefois ils racontent l’histoire de nos pères ; souvent aussi ils ont pour but de ridiculiser un vice ou de châtier une méchante action. Si vous étiez à portée d’entendre les nôtres en ce moment, vous ririez comme toute cette jeunesse, car ils racontent certaine aventure scandaleuse de quatre jeunes filles d’un de nos villages et de quatre grenadiers qui y étaient en cantonnement.
Nous arrivâmes au village. La fête était commencée ; c’était un incroyable tumulte, des cris, des chants, des rires, des danses et des jeux de toutes sortes.
De partout arrivaient les populations des villages d'alentour et de dix lieues à la ronde, précédées de leurs bardes et de leurs musiques. Les parties se formaient sur le terrain du jeu de paume, les joueurs s’inscrivaient, et les paris s’échangeaient à l'avance, en faveur de tel ou tel champion.
On désigna parmi les vieillards des témoins qui devaient remplir l’office de juges du camp, veiller à l’observation des règles, et prononcer sur les coups douteux.
Ils commencèrent par tracer le terrain avec des branches d'arbre ; puis, armés de bâtons ferrés, ils se placèrent sur les côtés de la lice, frappant sans pitié sur tous ceux qui s'avançaient.
Le jeu commença. Il y avait là peut-être deux mille spectateurs, dont l'attention était suspendue à chacune des chances de la partie. Les joueurs, vêtus de leur costume léger, couraient, s’élançaient, bondissaient d’une extrémité à l’autre de chaque camp, et la paume, sans cesse repoussée, voltigeait dans les airs sans jamais toucher le sol. Tous les regards étaient animés, toutes les bouches étaient béantes. L’émotion était vive lorsque l’un des coups semblait faiblir ; les cris et les applaudissements étaient immenses lorsqu’un coup difficile était habilement relevé. Les pièces d’argent et aussi les pièces d’or des parieurs s’amoncelaient entre les mains des juges.
Je m’étais placé auprès du vieillard d’Ascarat. Les détails qu’il me donna me fournirent la mesure de la passion frénétique que les Basques professent pour la paume. Il me parla du Navarrais Assans et des Labourdins Perkain et Curutchet, qui furent les plus grandes célébrités du dernier siècle.
L’un d’eux, Perkain, qui était réfugié en Espagne pendant la révolution, apprend que Curutchet annonce une partie aux Aldudes. Il accourt, malgré les dangers de sa présence de ce côté de la frontière, combat, remporte la victoire, et rentre en Espagne, applaudi et protégé par six mille spectateurs.
PERKAIN ALDUDES
PAYS BASQUE D'ANTAN
"Je puis moi-même, ajouta mon voisin, me citer pour exemple de cet amour que nous portons au jeu de paume, où nos pères ont été les plus célébrés du monde. J’ai été soldat, monsieur, j’ai marché avec la grande armée ; nous étions quatorze du même village dans mon régiment, et sur ces quatorze, au moins six de première force. Une lettre nous apprit un jour qu’ici même, à Saint-Etienne, il devait y avoir une fête comme celle-ci. Nous serions morts à penser qu’une partie de paume s'organisait et se gagnait sans nous. Aussi partîmes-nous des bords du Rhin, tous les quatorze, sans permission. Nous arrivâmes à Ascarat la veille de la fête, harassés de fatigue. Mais le lendemain nous parûmes au jeu de paume, et nous fîmes tant et si bien que notre camp remporta la victoire.
Il fallut tout aussitôt penser à retourner au régiment, où déjà nous étions déclarés déserteurs. Heureusement c’était en hiver, et nous pûmes faire le chemin en courant. Le régiment avait dépassé Vienne. On nous arrêta tout aussitôt, et notre affaire devenait mauvaise ; mais l’Empereur sut pourquoi nous avions déserté ; d’ailleurs nous revenions tout juste pour sa grande bataille d’Austerlitz : il nous en sut gré et nous pardonna."
Cependant la journée avance et la victoire n’est plus douteuse ; Lasse est morne, Ascarat modère avec peine ses cris de triomphe. Les paris s’acquittent, les vainqueurs boivent à leur victoire, et les bardes entonnent leurs couplets les plus joyeux.
Mais le succès ne rend pas toujours prudent ; un homme de Lasse saisit au passage quelques paroles peu mesurées ; un autre est accueilli près d'un groupe de buveurs par un achut insolent. —- Achut est l’expression la plus complète du mépris et de l’injure.—Aussitôt un cri d’appel retentit, les bâtons se croisent, les ganibets sont dégainés, les injures et les cris de rage s’échangent, et la mêlée devient en un instant générale. C’est un combat de village à village, auquel tout le monde prend part. Bientôt le tumulte est au comble, les contusions se multiplient et le sang coule. Déjà vaincu sur le champ de paume, Lasse est forcé de battre en retraite, et Ascarat célèbre sa double victoire en vidant les outres de vin de Peralta, dont la contrebande a approvisionné les cabarets de Saint-Etienne."
A suivre...
Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.
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merci beaucoup pour toutes ces histoires et témoignages précieux !
RépondreSupprimermerci beaucoup pour toutes ces histoires et témoignages !
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