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vendredi 5 avril 2019

UNE PARTIE DE PELOTE BASQUE AUX ALDUDES EN BASSE-NAVARRE EN 1793 AU PAYS BASQUE SOUS LA TERREUR


PARTIE DE PELOTE HISTORIQUE DE 1793 AUX ALDUDES AVEC PERKAIN.


En l'an I de la République, en 1793, un défi de pelote est lancé par Curutchet, célèbre joueur de pelote, et Perkain, autre célèbre joueur de pelote de l'époque, qui s'était exilé à Elizondo, en Navarre, vint aux Aldudes relever ce défi.


basse navarre autrefois
PERKAIN DES ALDUDES - ALDUDE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Je vous ai déjà parlé de cette partie historique, dans un article précédent.


Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Démocratie (Issy Les Moulineaux), dans son 

édition du 18 avril 1911 :


"Une partie de pelote basque sous la Terreur.



Plus de six mille personnes attendaient Perkain, les regards tournés vers la frontière d’Espagne. Curutchet et d’Azance, qui l’avaient reconnu les premiers, vinrent au devant de lui, tandis que la foule frémissante d’allégresse poussait des cris de bienvenue, se mouvait en tous les sens, comme une mer houleuse dont les flots s’écartent et montent. Les uns bondissaient de joie sur les gradins et les murs de la place, les autres levaient les bras, jetaient en l’air leurs bérets et tous témoignaient de quelque manière leur contentement. Ou n’entendait de toutes parts, de la place, des croisées garnies de gens, des routes qui portaient le flot grossissant que l’acclamation unanime : "Biba Perkain ! Biba Perkain !" Puis, tout à coup, comme à un signal donné, chacun gagna sa place sur les degrés élevés en amphithéâtre tout autour, sur les cheminées, sur les toits des maisons, sur les murs voisins, sur les arbres, pour voir la grande partie, le jeu de paume, tout à l’heure envahi et noir de monde, est libre, la terre en est nette et nue. Perkain y paraît et l’emplit à lui seul de son regard et de ses belles épaules. Curutchet, d’Azance, et les autres champions l'entourent : ils tiennent conseil et choisissent les juges qui doivent trancher les différends du jeu. Les joueurs, graves, recueillis, vont et viennent le long de la place, leurs légères culottes retenues par une ceinture rouge, leurs bas de soie noués par des rubans, leurs espadrilles attachées aux jarrets par des lacets bleus et roses, leurs chemises de fin lin dont le col déboutonne laisse voir des poitrines larges et velues, leur donnent une allure alerte et dégagée. Ils sont si peu tenus aux reins et à toutes les jointures qu’on s’attend à les voir parcourir la place en quelques bonds. Ils ne tiennent presque pas au sol qu’ils foulent de leurs pieds, tant ils ont l’air agile. 




Déjà Perkain et tous ses compagnons ont armé leur main droite du gantelet de cuir et essayent les balles. Voici que l’heure sonne à l'horloge de l’église : le silence se fait, Curutchet jette en l’air un écu pour le choix du camp ; pile ou face, et Perkain va au mur du rebot tandis que son adversaire court se placer à l’autre extrémité, environ à quatre-vingt mètres. La place est partagée en deux camps par le milieu. Perkain et ses compagnons défendent, au début, la partie du mur de rebot contre lequel on dirige la balle. Curutchet et ses compagnons forment le camp de l’attaque. D’Azance, qui est de ces derniers, s’avance dans le camp adverse à trente pas de Perkain. Il a sa main droite nue ; car le premier but doit être donné sans gantelet. Les deux camps opposés offrent l'image de deux triangles, et le sommet de l’un, c’est Perkain ; de l’autre, c’est Curutchet. Les champions qui vont s’écartant ensuite de distance en distance, sont les côtés de l’angle principal occupé par les rois du jeu. Les rechasseurs, qui se trouvent en deçà et eu delà de la limite des deux camps, ferment l’angle et achèvent ainsi le triangle de part et d’autre. 




D’Azance qui est avec Curutchet, s’introduit donc dans le camp ennemi à quelques pas de Perkain qui l’attend. Il fait bondir la balle. Jo ! s’écrie-t-il, et il la lance de façon que, touchant l’arête du mur, elle ne bondisse pas, qu’elle glisse au contraire à terre sans que Perkain la puisse prendre : mais ce coup est fort rare. Pour peu que la balle bondisse, Perkain la saisit de son gantelet, et la lance d’une main sûre et vigoureuse à Curutchet, qui l’attend, le bras en l’air, à l’autre extrémité de la place pour la lui renvoyer. 




La pelote monte haut, si haut qu’elle échappe presque à la vue, et décrivant une majestueuse parabole, elle descend à Curutchet, pour revenir à Perkain, qui se joue à lui faire parcourir l’espace. Tous les regards suivent la halle avec anxiété, et chacun, l’haleine en suspens, s’apprête à jeter des bravos enthousiastes sur celui des deux adversaires dont l’adresse aura surpris celle de l’autre. Tout à coup, Perkain change de tactique : d’un mouvement brusque et inattendu il précipite la pelote sur d’Azance, qui, ayant repris son gantelet, était allé se mettre devant Curutchet. D’Azance la lui renvoie de même : deux coups formidables s’échangent, et la balle reste dans le camp de Curutchet. Alors tout le monde se lève ; les applaudissements éclatent de toutes parts. On saute, ou trépigne, et l’on ne cesse de crier : "Biba Perkain ! Biba Perkain !" Les paris se croisent, les enjeux redoublent. "Cent livres contre vingt !", s’écrie l’un. "Deux cents !", répond l’autre, et sur la place tombe une pluie d’or et d’argent que le premier venu ramasse et garde en dépôt. Quelques points se font ainsi, et Perkain prend l’avance sur ses adversaires, provoquant sans cesse l’admiration des spectateurs. 




Une fois seulement, d’Azance arrive à le surprendre, lui mettant, comme on dit, la balle à pic, contre le mur, de manière qu’elle lui revienne à fleur de terre, sans bondissement. Il n’est point de joueur, pour si habile qu’il soit, qui puisse saisir une balle lui venant ainsi, à moins qu’il ne la ramasse par terre, ce qui n’est admis dans aucun cas. Les Paso et les Chasses se succèdent ; le jeu continue avec des chances diverses ; le crieur des points chante les quince, puis les trente, les quarante, et le jeu. De temps en temps, quand le jeu s égalise, il fait en chantonnant : "Quincenada, Jaunak !" Curutchet et d’Azance ont leurs beaux succès et leurs bravos, mais Perkain est vraiment le roi de la place. Un coup douteux porté sur les limites, qu’il ne faut point franchir, ou qu’il faut dépasser dans le mur, ou sur le sol, fait-il crier : falta ! aussitôt, sans protestation, sans murmure, les juges s’avancent sur le milieu et tiennent conseil. 




Pendant qu’ils délibèrent on porte aux joueurs altérés un peu d’eau rougie ou de cidre, Pitarra. Puis les juges s’écartent : ils ont décidé. Ona : elle est bonne. 




Ainsi se continuait la partie en alternative d’enthousiasme frénétique et de silence anxieux et recueilli, lorsqu’un bruit insolite d’armes et de troupes vint troubler un des plus beaux coups de Perkain. Sur les toitures, sur les gradins de l'amphithéâtre les hommes se dressèrent aussitôt pour voir de quoi il retournait. C’étaient les commissaires et les gendarmes envoyés par le district d’Ustaritz pour s’emparer de Perkain et de son ami. Les spectateurs ignoraient leur dessein ; mais comme les commissaires s’avançaient au milieu de la place, ils comprirent le danger qui menaçait Perkain. Fuera ! vocifère avec furie une voix. Fuera ! fuera! répètent avec rage six mille autres voix ; et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, tous font irruption sur la place, brandissent leurs makila : ils saisissent les commissaires et leur suite ; ils les jettent hors de l’enceinte du jeu. La troupe armée ne voulut point engager une lutte inégale avec une masse d’hommes si montés et si résolus. Force lui fut de se retirer et d’attendre en silence la fin de la partie, car tandis qu’elle reprenait, ces braves Eskualdun surveillaient de leurs regards les envoyés de la Convention et les menaçaient de leurs makila. Cependant, Perkain, qui voit ses jours en danger, ne trahit aucune émotion : il continue ses plus beaux coups comme si de rien n’était, et lorsque l'horloge encore respectée des Aldudes sonne midi, il se découvre noblement, et au son de l’Angelus, jette à la face de ses ennemis qui le guettent un immense signe de croix. Tous les Eskualdun se lèvent et suivent son exemple. 




Après cette magistrale bravade et ce loyal défi, Perkain poursuit son jeu. Ses derniers points furent les plus beaux. On vit la balle décrire pendant près d’un quart d’heure ses gracieuses paraboles, de Perkain à Curutchet, de Curutchet à Perkain. Les deux rois se jouaient sur la fin et faisaient traîner le point sur le silence et l’anxiété des spectateurs qui suivaient la balle, l’haleine en suspens et les yeux ravis.




Tout à coup, Perkain prend son élan ; on voit qu’il ramasse toute sa vigueur pour un effort suprême, il saisit la balle, la lance, horizontalement sur le chef des commissaires qui s’approchait au milieu de la place. Il le frappe avec une telle violence qu’il tombe, à la renverse et sans vie. 




Partida, Jaunak ! s’écrie le crieur des points, et le triomphe est complet. 




L’enthousiasme est à son comble. Ce n’est pas la joie qui éclate, c’est le délire. On ne sait point comment témoigner au vainqueur l’admiration et l’allégresse débordante. Les cris ne suffisent pas, il faut des chansons : on chante, on fait le coup de feu, ou pour mieux dire, le coup de makila. On se précipite vers Perkain pour le porter sur les épaules et le proclamer invincible. Vous pensez combien peu cette foule ainsi enivrée était disposée à se laisser enlever le roi de la place par de vulgaires envoyés d’Ustaritz. Mille poitrines et autant de makila lui servent de rempart, deux mille font bonne garde autour de ses flancs, et trois mille protègent ses derrières. Sous cette escorte, il est conduit à l’hôtellerie, où l’attendaient Curutchet et d’Azance pour le dîner, puis jusqu’à la frontière d’Espagne. 




Les envoyés de la Convention tentèrent bien de s’emparer de lui, mais quelques coups de bâton vigoureux et les menaces qui tendaient aux derniers excès, retournèrent leurs desseins et leur firent abandonner la partie. Ils furent réduits à l'accompagnée eux-mêmes jusqu'à ce qu’il s'engageât librement dans la noble vallée de Baztan."



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