LE BANQUIER JACQUES LAFFITTE.
Jacques Laffitte est un banquier et homme d'Etat français, né à Bayonne (Basses-Pyrénées) le 24 octobre 1767 et mort à Paris le 26 mai 1844.
BANQUIER JACQUES LAFFITTE |
Voici ce que rapporta à son sujet le journal Le Siècle, dans son édition du 15 mai 1885, sous la
plume d'Anatole de La Forge :
"Les serviteurs de la démocratie.
Jacques Laffitte.
II y eut en 1827, à la chambre des députés, une scène inoubliable : La droite hurlait, le centre criait, la gauche s'agitait. De quoi s'agissait-il ? D'une demande de mise en accusation du ministère. Quel était le révolutionnaire qui dénonçait ainsi à la vindicte des lois les ministres prévaricateurs? On le croirait à peine, — c'était un banquier ; et ce banquier s'appelait Jacques Laffitte.
Le ministère dont on demandait la mise en accusation était présidé par M. de Villèle. Le crime qu'on lui reprochait consistait à avoir illégalement licencié la garde nationale. L'accusateur, Jacques Laffitte, était loin d'être le premier venu.
Né à Bayonne en 1767, il appartenait à une famille de pauvres artisans. Son père exerçait la profession de charpentier, mais le fils était du bois dont on fait les hommes d'Etat et les grands financiers. Il commença par être petit employé dans une maison de banque à Paris, la maison Perrégaux. On raconte à ce sujet une histoire d'épingle, faite un peu sur une pointe d'aiguille. Nous la donnons parce qu'elle est devenue populaire; mais nous n'oserions en garantir l'authenticité. La voici : le jeune Bayonnais avait une lettre de recommandation du correspondant de M. Perrégaux. Ce banquier parisien accueillit avec bienveillance le pauvre solliciteur, mais il eut la franchise de ne lui laisser aucun espoir. Jacques Laffitte, éconduit, se retirait tristement lorsqu'en traversant la cour de l'hôtel il aperçut une épingle, la ramassa et l'attacha à sa redingote. M. Perrégaux qui avait suivi des yeux le solliciteur malheureux, la fit rappeler. Ah ! vous êtes un homme soigneux, lui dit-il, revenez demain, je crois que je pourrai vous être utile. A la suite de cet incident qu'il aimait à ra conter, Jacques Laffitte fut installé dans les bureaux de M. Perrégaux. II commença donc par être un petit employé et parvint ensuite, à force de probité, de travail et d'intelligence, à diriger la maison où il avait si modestement fait ses débuts. Des spéculations habilement conduites firent de Jacques Laffitte, en quelques années, un banquier opulent. La fortune ne gâta en aucune façon l'honnête nature du fils du charpentier de Bayonne. Nous ne dirons pas, en modifiant un impertinent dicton, qu'il fut riche, mais honnête, seulement nous affirmerons, avec tous les contemporains, qu'il resta toujours bon et généreux. Cet étonnant banquier aimait mieux donner que recevoir.
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Laffitte n'avait pas songé à devenir un homme politique. Heureux et modeste dans sa maison de banque, il se serait contenté d'être un bienfaiteur pour les pauvres et pour les artistes et les lettrés. Les événements l'obligèrent à sortir de cette réserve et à jouer un rôle politique. Député de la Seine, il alla siéger dans les rangs de l'opposition. Les millions ne rendent pas toujours conservateur.
Il défendit sous le gouvernement des Bourbons les principes de la Révolution française. La noblesse de son attitude alors fut telle qu'elle lui valut la sympathie des hommes de tous les partis. Entre ses loyales mains l'argent n'était pas seulement redoutable il devenait respectable. L'opinion publique savait gré à ce millionnaire de son ardeur à revendiquer la liberté. Il serait bon qu'aujourd'hui les hommes politiques qui parlent sans cesse d'union et agissent en sens contraire, se souvinssent un peu des enseignements de l'histoire. Ils apprendraient que quelques-uns des progrès qui nous sont les plus chers viennent de patriotes qui auraient pu vivre en égoïstes. Mais l'égoïsme et Jacques Laffitte, cela faisait une fière antithèse. Le banquier avait à son usage des fonds secrets, ceux de la bienfaisance anonyme. Il les employait à venir en aide à toutes les misères de la grande capitale, et plus d'une fois les amendes imposées pour délits politiques à Benjamin Constant, au général Foy, à Manuel et à Béranger, furent acquittés par Jacques Laffitte. Si, plus tard, on connut ces libéralités, c'est par ceux qui en avaient profité.
Au nombre des obligés du généreux banquier, il faut citer un prince que sa destinée appela plus tard à devenir roi des Français, le duc d'Orléans. Laffitte lui avança, sur des billets dont le payement n'était pas sûr alors, des sommes considérables, et, pour ce prêt, il ne réclamait aucun intérêt. Les d'Orléans ont toujours été heureux quand il s'est agi d'argent. Un banquier exceptionnel autant que libéral leur a fait crédit,une République leur a rendu leur patrimoine. Il faut espérer que ces leçons de générosité ont porté des fruits.
Jacques Laffitte qui détestait les Bourbons de la branche aînée, avait des illusions sur la branche cadette. Il savait gré au duc d'Orléans de ses manières bourgeoises, de sa simplicité de mœurs et de sa familiarité bon enfant. Peut-être encore revoyait-il en lui le vaillant soldat de Jemmapes et de Valmy? Le général de La Fayette aussi, dupe du même engouement, devait lancer plus tard ce cri fameux peu justifié dans la suite : "Le gouvernement de Louis-Philippe, c'est la meilleure des Républiques!"
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Quoi qu'il en soit, lorsqu'arrivèrent les trois journées de juillet 1830, ce fut Laffitte qui dirigea la bataille. Quant au duc d'Orléans, il éprouva le besoin d'aller pendant ce temps-là prendre l'air des prés et des bois au Raincy. Son père avait contribué à la condamnation à mort de Louis XVI, le fils de Philippe-Egalité ne voulut pas paraître exercer une action directe sur la révolution qui brisait le trône de Charles X son bienfaiteur. La victoire gagnée, il accepta d'ailleurs, sans trop de peine, la couronne que le banquier populaire vint lui offrir au nom des héros des barricades. Il fut même prononcé à cette occasion quelques mots qui valent la peine d'être mentionnés. Jacques Laffitte avait été blessé au pied pendant la journée du 30. On dut donc le transporter sur une civière auprès du duc d'Orléans. Durant le trajet, il rencontra La Fayette à qui il dit en riant, après lui avoir montré son pied entortillé et sa jambe à demi nue : — "Vous le voyez, mon cher républicain, je vais faire un roi sans culotte !" Lorsqu'un moment après le duc aperçut Laffitte, il s'écria : — "Mais vous êtes blessé à la jambe, mon cher Jacques? — Monseigneur, répondit le banquier," ne regardez pas à mes pieds, mais à mes mains qui vous apportent une couronne."
On s'embrassa, il y eut quelques minutes d'effusion. Hélas ! cette amitié mutuelle devait être de courte durée.
Au début de son règne, le roi Louis-Philippe se souvint des dettes de reconnaissance du duc d'Orléans : il fit de Laffitte son premier ministre. Celui-ci se consacra tout entier au service de la monarchie citoyenne et négligea ses propres intérêts.
On vit alors un spectacle unique dans l'histoire : un homme politique, un riche financier qui se ruinait dans l'exercice du pouvoir !
Nous aimons mieux ce spectacle-là que le contraire. Rien n'est plus attristant que la vue d'un homme d'Etat s'enrichissant aux affaires. Heureusement la France en compte peu dans cette dernière catégorie. Jacques Laffitte, lui, s'y ruina de la façon la plus complète. Il fut même obligé, pour éviter la faillite, de vendre ses propriétés, son hôtel, ses tableaux, ses meubles et ses chevaux. Louis-Philippe, qui moralement lui devait tout, l'ayant remboursé auparavant, n'eut pas le cœur de le tirer d'embarras. Il y avait eu déjà d'ailleurs, il faut le dire, entre le banquier et le roi des dissentiments assez graves, tandis que le premier inclinait toujours plus à gauche, le second penchait toujours plus à droite.
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