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vendredi 22 janvier 2021

LE MAIRE DE BIRIATOU ET LE CURÉ SANTA CRUZ AU PAYS BASQUE EN 1873 (deuxième partie)

SANTA-CRUZ ET LE MAIRE DE BIRIATOU.


Le curé Santa Cruz , guérillero carliste, était un personnage hors du commun, considéré en Navarre comme un héros populaire, alors que ces adversaires le surnommait "le curé cabecilla" (le curé meneur ou leader), bandit en soutane ou encore "saint cabecilla" ou "saint homme qui s'approprie charitablement le produit de ses rapines".




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CURE SANTA CRUZ 1872

Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Patrie, le 1er août 1873, sous la plume d'H. 

Castillon :


"Huit jours de séquestration par ordre de Santa-Cruz.



II. 

Béhobie (France), juillet 1873. 



...Le caballo promis par Santa-Cruz était un mulet. Il devait servir alternativement de monture à M. Balthazar et à moi. M. le le maire de Véra fournit à ses frais un cheval à M. Iray, ami de sa famille.



Le 28 juin, à une heure après-midi, par une chaleur de 36 degrés, nous sortions tous trois de Véra au milieu d’une escorte de dix hommes armés jusqu’aux dents. Les ponts jetés sur la Bidassoa, qui baigne les murs de la petite ville, ayant été coupés, les uns par ordre de Nouvillas, les autres par ceux de Santa-Cruz, il nous fallut traverser à gué le fleuve, qui forme deux branches en cet endroit. Les hommes de l'escorte, et c’est là ce qui peut donner une idée du dévouement aveugle des séides de Santa-Cruz, entrèrent résolument dans la rivière, ayant de l’eau jusqu’à la ceinture, tandis que nos deux montures, presque submergées, pouvaient à peine résister au courant, et tous ensemble luttant contre la rapidité de l’eau, nous abordâmes sur la rive opposée.



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LIVRE LA CROIX DE SANG
DE GAËTAN BERNOVILLE


Malgré une chaleur torride, la raideur des pentes et l'absence de toute brise dans l’air, après une heure et demie de marche, hommes chevaux avaient atteint les trois quarts de la hauteur de la montagne, c’est-à-dire la région où commencent les fougères, lorsque le maire de Biriatou tomba évanoui de fatigue. Prisonniers et hommes de l’escorte, nous fîmes aussitôt une halte forcée. Pas un arbre en cet endroit, où nous étions brûlés par un soleil ardent !



Enfin, nous parvenons à monter tant bien que mal le maire sur mon mulet, et je poursuivis à pied la pénible ascension, qui ne se termina qu’au sommet de la montagne de Lesocca.



Au bas de la seconde montagne, à l’endroit appelé l’ermitage de San-Antonio, l’on renvoya le cheval et le mulet à Véra, sous prétexte que d’autres montures devaient être expédiées à notre rencontre du camp d’Achulégui. C’était un mensonge des gens de l’escorte.



Quand il nous fut donné l’ordre de reprendre la marche et que je demandai où étaient les montures promises,

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CURE SANTA CRUZ ET SES GUERILLEROS


— Plus loin, me répondit le chef de l’escorte en riant, plus loin, en indiquant avec son fusil la cime du fort, qui se perdait dans l’espace.



— Eh bien ! moi, je ne quitte pas ce lieu ; Santa-Cruz nous a promis une monture pour arriver à notre destination, je l’exige comme un droit et comme une nécessité !



Mes compagnons firent la même déclaration.



— Tu ne veux pas marcher ! me dit en mauvais espagnol le chef de l’escorte ; je vais bien t’y forcer !



Et il me mit en joue. A cette menace, je me relevai de terre et me redressant sur mes jambes, je découvris ma poitrine.



— Tire ! lui dis-je avec la détermination d’un homme obsédé par tant d’atrocités ; j’aime mieux périr ici que là-haut !



Je ne sais si ma résolution, parfaitement arrêtée, en imposa au chef de l’escorte ; toujours est-il que deux hommes se détachèrent pour aller chercher dans la montagne un âne, qui nous servit à tous les trois prisonniers à gravir les pentes raides de la montagne des Trois-Couronnes. Je renonce à décrire cette horrible ascension à travers des sentiers creusés dans le roc, des torrents servant de chemins et des parapets bordant des précipices. Nous fûmes obligés de laisser à moitié chemin la pauvre bête, qui ne put aller plus loin.



A huit heures du soir, nous avions atteint le pic des Trois-Couronnes, où commence la limite de ce qu’on appelle le Camp d’Achulégui, la forteresse des carlistes insurgés, sous le commandement immédiat de Santa-Cruz.



Mais nous étions encore loin de notre destination. Il fallut redescendre à pied à travers des sentiers impossibles jusqu’au premier poste-caserne, distant d’une heure environ du sommet où nous accueillirent par leurs cris les aigles et les vautours qui en font leur demeure. 


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CURE SANTA CRUZ ET SES GUERILLEROS


Le commandant de ce poste, créature de Santa-Cruz, est un nommé Francisco, célèbre contrebandier, natif d’Oyarzun, et qui a été longtemps la terreur des douaniers espagnols. Il ne sait ni lire, ni écrire. 



Il ne voulut pas nous recevoir, protestant qu’il n’avait pas où nous mettre. Il fallut donc remonter et redescendre la montagne pour aller à d'autres postes-casernes, qui se trouvaient dans le même cas que le précédent. Ce ne fut qu’à dix heures de la nuit, brisés par la fatigue, nos pieds meurtris et nos habits déchirés que nous trouvâmes le poste-caserne appelé Achivaletta, où l’on put nous donner un abri. Nous fûmes accueillis par un éclat de rire général des soldats à la vue du délabrement de nos habits.



Mais lorsque les gens de l’escorte leur eurent dit que nous étions des Français "qui étions la cause de l'internement des carlistes en France," ce ne fut plus qu’un chœur d’imprécations à notre adresse. Puis l'on nous conduisit au galetas en nous montrant un tas de paille sur lequel nous nous jetâmes épuisés de fatigue. Deux factionnaires se placèrent devant nous et flous gardèrent pendant toute la nuit.



Je dois constater que dans ce poste-caserne, comme dans les deux autres où l’on nous a transportés pendant notre séquestration à Achulégui, nous n’avons jamais été présentés à aucun chef ; bien plus, nous n’en avons connu aucun.



Nous pûmes nous procurer, à nos frais, bien entendu, un peu de pain, du fromage et une bouteille de vin, que nous partageâmes avec les deux sentinelles afin d’acheter leur silence.



— Il paraît, dis-je à mes compagnons, que Santa-Cruz, qui fait des prisonniers, ne songe guère à les nourrir à ses dépens.



Le fait était vrai, et si nous n’avions pas eu quelque argent, il est probable que nous serions morts de faim.



Toutefois, une exception doit être faite pour le dernier jour de notre détention. Ce jour-là, nous eûmes notre part de vivres dans la distribution qui fut faite aux hommes du poste-caserne. Notre ration se composait d’une livre de pain, d’une demi-livre de viande crue, qu’il nous fallait accommoder nous-mêmes, et d’un demi-litre de vin. Ce même jour dimanche, huit hommes envoyés par le commandant du camp vinrent nous annoncer qu’il fallait changer de prison, pour aller où ? On ne nous le dit pas.



Je me rappellerai toute la vie cette date fatale du 29 juin. C’était le jour de la fête de saint Pierre. Les montagnes qui nous entouraient étaient couvertes d’épais nuages. Une pluie torrentielle s’abattit sur la terre. Quatre gardes ouvraient la marche et quatre autres la fermaient. M. le maire et moi, nous avions une difficulté inouïe pour gravir, au gré de nos insolents gardiens, les rochers humides sur lesquels nos pieds glissaient. Les mots : andar ! andar ! (marchez !) mêlés aux moqueries et aux propos les plus grossiers, accompagnaient ce mot andar ! Nous faisions tous nos efforts pour répondre à leurs désirs impérieux. Depuis trois quarts d’heure, inondés par la pluie, nous gravissions péniblement les rochers en nous accrochant à tout ce qui pouvait nous servir de point d’appui, lorsque, le pied posé sur un rocher humide. je tombai sur les genoux, brisés par la chute. Aussitôt les gardes qui nous talonnaient, éclatant de rire, me poussèrent, les uns avec le canon de leurs fusils, les autres avec la crosse, et un cinquième, voyant que je ne me relevais pas assez vite, me porta un coup de baïonnette à la cuisse. Epuisé de fatigue et désespéré, je ne pus m’empêcher de leur dire en espagnol : 



— Pour Dieu ! ayez égard à mon âge ; vous voyez que je fais tout mon possible pour marcher.



— Il n’y a pas de Dieu pour les Français ! me répondit celui qui m’avait porté un coup de baïonnette ; il faut les tuer et les fusiller ! Ces mots matar et fusillar, dont ils nous menaçaient, leur revenaient sans cesse à la bouche."



A suivre...




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