LA LANGUE ET LE PEUPLE BASQUE EN 1874.
Au cours des siècles, de nombreux savants et linguistes ont étudié la langue Basque.
Voici ce que rapporta le journal La République Française, dans son édition du 14 août 1874 :
"...Les mœurs et les institutions des Ibères purs nous sont inconnues ; c’est à peine si l’on peut leur attribuer quelques traits recueillis parmi les descriptions données par Strabon, entre autres, des populations espagnoles d’il y a vingt siècles. On a remarqué, notamment, les passages où cet auteur raconte que les pères se couchent auprès de leurs enfants qui viennent de naître et que, dans la même tribu, les filles héritent au détriment de leurs frères.
Le premier usage, connu sous le nom de couvade, n’a point été spécial aux Cantabres, car on l’a signalé chez diverses peuplades anciennes ou modernes de l’Europe, de l’Afrique et de l’Amérique. Eu 1280, on l’a retrouvé chez les Tatars, dit M. le docteur Bertillon dans l'intéressant article sur les Basques qu’il a fourni en 1870 â l'Encyclopédie générale, et où nous avons puisé d'utiles renseignements. M. Bertillon semble admettre que cette coutume, qu'il qualifie avec raison de ridicule, est encore suivie chez les Basques. Chaho l’affirme et en invente l’origine dans une légende qu'il a créée de toute pièce, obéissant en ceci à son imagination démesurée : nous reparlerons tout à l'heure des théories parement métaphysiques de Chaho. L’auteur d’une remarquable étude sur l'Organisation de la famille chez les Basques (Paris, 1869, iv113 p. in 8°), M. Eugène Gordien, prétend qu'on lui eu a, sur ses instances, avoué l'existence en rougissant ; nous ne suspecterons point sa bonne foi, mais nous devons croire qu’il s’est mépris sur la portée de réponses faites à une question qu’on n’avait pas comprise : on sait à quels mécomptes sont exposés les voyageurs. En fait, aucune personne habitant le pays basque, n'a connaissance de la couvade.
LIVRE ORGANISATION DE LA FAMILLE CHEZ LES BASQUES PAR AUGUSTIN CHAHO |
Passons à la question du droit de famille, où nous nous retrouvons en présence de M. Cordier qui interprète le passage plus haut cité de Strabon par le droit absolu de primogéniture, sans distinction de sexe, dont on constate l’existence ou les traces d’une existence antérieure dans la plupart des fors et coutumes de la région occidentale des Pyrénées, aujourd’hui remplacées par la législation nationale française. On ne trouve rien d’analogue dans les fueros des provinces basques de l’Espagne ; mais il est parfaitement vrai que, dans les vieilles coutumes de Bayonne, de Dax, de Saint-Sever, du Labourd, de la Soule, un avantage important est accordé à l’ainé des enfants, mâle ou femelle, qui, parfois même , recueille tout l'héritage. Avant M. Cordier, Laferrière, dans son Histoire du Droit français, voyait dans ces dispositions un reste du droit ibérique. Un habile jurisconsulte de Bayonne, M. Jules Balasque, a publié, de 1862 à 1869, en collaboration avec M. E. Dulaurens, le savant archiviste de la même ville, deux volumes de remarquables Essais historiques sur Bayonne, où il a longuement discuté (p. 241 à 400 du second volume) la question qui nous occupe. Il a réussi, selon nous, à démontrer que ce privilège de primogéniture provenait, comme celui tout contraire de "juveignerie", consacré par des coutumes septentrionales, du principe essentiellement gallique ou celtique de la conservation intégrale du patrimoine. Or, on ne peut nier l’invasion de l'Ibérie par les Celtes. Il n’y a donc encore là rien d’originairement ibérien.
LIVRE ESSAIS HISTORIQUES SUR LA VILLE DE BAYONNE PAR JULES BELASQUE |
Nos conclusions seraient les mêmes, si l’on voulait arguer quelque chose des fueros et de l’indépendance politique relative des provinces basques de l’Espagne, dont le droit civil dérive néanmoins des lois romaine et visigothique combinées. L’origine des institutions et des privilèges actuels des Basques espagnols (dont leurs congénères français possédaient les analogues avant la Révolution de 1789) est très facile à expliquer historiquement. Ils proviennent, les uns et les autres, de l’affranchissement complet des habitants, Basques ou non, des provinces du nord de l’Espagne, à l’époque qui a suivi l’invasion musulmane ; ou bien ils ont été la récompense de la part prise par ces populations rebelles à ce qu’on appelle, au-delà des Pyrénées, la guerre de reconquête.
La théorie ibérienne, dont nous venons d’exposer sommairement les arguments principaux, a été récemment discutée tout entière par M. J.-Fr. Bladé, de Toulouse, dont les Etudes sur l'origine des Basques (Paris, Franck, 1869, in-8°, VIIIVv-549 p.) ont soulevé d’ardentes polémiques. Il faut reconnaître que le ton de M. Bladé est, de son côté, très vif, et que ses critiques ne connaissent guère de ménagements ; il donne souvent à ses adversaires des épithètes excessives. Aussi, la réplique ne s’est-elle pas fait attendre. Le compte-rendu intéressant de ce volume est un article de M. d’Avezac, dans la Revue critique (numéros des 19 et 26 mars 1870). Il y a d’excellentes choses pourtant dans les Etudes de M. Bladé, mais on y trouve aussi beaucoup d’erreurs provenant soit d’un travail général trop rapide, soit d’une connaissance trop superficielle de la langue basque. Indépendamment du sujet dont il traite, le livre de M. Bladé offre cet intérêt qu’il donne de bons résumés de la plupart des ouvrages, brochures, articles de journaux relatifs à la question. Quant au fond, l’auteur conclut que rien ne prouve la descendance ibérique des Basques dont il voit les ancêtres dans les Vascons, d’abord cantonnés au sud des Pyrénées, puis émigrés sur l’autre versant vers les sixième et septième siècles de notre ère ; les Cantabres, qui seraient les pères des Basques, suivant beaucoup d'écrivains, n’étaient, d’après M. Bladé, que des Celtes. M. Bladé estime, du reste, que le nom primitif de l'Espagne est Hispania, et que le mot Ibérie est seulement une expression géographique n’emportant aucune idée d'unité des divers peuples compris sous la même appellation. Un bon chapitre des Etudes examine ces prétendus chants euscariens antiques, celui de Lelo ou des Cantabres et celui d’Altabiscar (sur la mort de Roland), dont l’authenticité a été si légèrement admise par Humboldt, Fauriel et M. Francisque Michel. Nous renverrons à ce propos les lecteurs curieux de par courir une discussion encore plus décisive et complète de ces pastiches, à deux articles parus dans l'Impartial des Pyrénées, de Bayonne, les 16-17, 18-19 août et 10, 11,12 septembre 1873.
L’un des Ibéristes pris le plus vivement à partie par M. Bladé, M. Boudard, dont nous avons mentionné plus haut les études numismatiques, lui a répondu par une Note sur les études, etc. (Béziers, 1870, in-8, 17 p.) où il démontre que M. Bladé n’a fait que remettre en lumière les hypothèses proposées en 1838 par Graslin, consul de France à Santander, dans son livre de l'Ibérie (Paris, 1838, iu-8, IV-474 p ). On trouve des remarques fort intéressantes, dans ce volume qui a au moins le mérite de procéder d’une idée de doute très scientifique.
Il y avait déjà longtemps que Graslin s’occupait de la question, et par contre de l'origine des Basques, car nous trouvons, dès 1826, son nom mêlé à des tentatives vues, au surplus, avec complaisance par P. Lécluse, auteur d’une assez longue grammaire basque, qui avaient pour but de rattacher les Euscariens modernes aux vieux Carthaginois.
Un prêtre basque, Bartholomé de Santa-Teresa, entreprit, en 1826, d’expliquer par le basque les passages puniques du Pœnulus de Plaute : on sait que la découverte du palimpseste de Milan a donné raison à Samuel Bochart qui avait traduit par l’hébreu les dix premiers vers de l’acte V, et qui y voyait la traduction du passage latin suivant, en montrant que les six vers intermédiaires ne sont qu’une variante plus ancienne et différemment orthographiée du texte punique. Inutile de dire que les explications du carme espagnol n’ont aucun sens plausible et sont ridiculement conjecturales.
Ce n’était pas la première fois qu’on essayait de faire dériver les Basques des Phéniciens. Le premier volume, et le seul paru, d’une traduction des Commentaires de Cæsar (sic), par Chiniac de la Bastide, de Montauban (Paris, 1786,in-8e (IV) VIII-502 p. et 1 pl.), contient uniquement une longue dissertation sur les Basques. On y trouve des étymologies assez grotesques, notamment celle qui tire l’appellation "gascon" du mot basque gizon "hommes" ( écrit ordinairement guiçon) par l’intermédiaire du grec ouaskônes. L’auteur voit dans les Basques une ancienne colonie phénicienne ; la preuve en est, selon lui, dans les fameuses "chaînes" qui figurent au milieu des armes de la Navarre, où la Bastide voit l'emblême du jeu des marelles vraisemblablement inventé à Tyr, dit-il, pour donner aux enfants l’amour de la géo graphie et delà navigation. La même théorie a été reprise, en 1869, mais par d’autres arguments, au milieu desquels on est étonné de voir la linguistique jouer, malgré elle, un rôle, par M. D. Garat, dont le livre (Origine des Basques de France et d'Espagne, Paris, 1869, in 8e, VI-234 p.) a été qualifié d’aimable par un de nos amis et ne mérite pas d’autre épithète.
ARMOIRIE NAVARRE |
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