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mardi 28 mars 2023

L'ENFANT AU PAYS BASQUE EN 1897 (quatrième partie)

 


L'ENFANT AU PAYS BASQUE EN 1897.


A partir de 1895, Mme Virginie d'Abbadie d'Arrast (femme d'Antoine) écrit plusieurs articles sur le Pays Basque dans le journal bimensuel La Femme.




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SOCOA 
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporta à ce sujet le journal bimensuel La Femme, le 1er avril 1897, sous la plume 

de Mme d'Abbadie d'Arrast :



"L'enfant dans le Pays Basque.



... Le Révérend M. Webster a l'extrême obligeance, pour appuyer son hypothèse, d'ajouter encore quelques éclaircissements qu'il me permet de transcrire ici : Maymoun, soi-disant dieu des Juifs, se trouvait dans le serment par lequel on faisait jurer les Juifs au rapport du Fuero général de la Navarre (Pampelune, 1869). Mahom ou Mahoum d'après l'opinion généralement répandue au moyen âge, au moins parmi le vulgaire, était une des idoles qu'adoraient les Sarrasins (Gaston Paris, la Littérature française au moyen âge). Dans les pastorales du pays basque, les Satans et les Turcs font obéissance à un mannequin de bois placé au-dessus de leur porte d'entrée. On appelle cette idole Mahomet ou Mahoum. La troisième hypothèse de M. Webster est extrêmement curieuse ; il l'a développée tout au long dans ses Basques Legends, où le récit qu'il a publié prouve que Malbrouk était un être surnaturel quelconque dont le nom a été confondu après coup avec celui du général anglais. Dans le nord de la France, bien longtemps avant le siècle de Louis XIV et de Marlborough, il est arrivé que les nourrices terrifiaient les enfants par "Malbrouk", analogie, frappante avec Mamou de la nourrice basquaise.




pays basque autrefois littérature
LA LITTERATURE FRANCAISE AU MOYEN ÂGE
DE GASTON PARIS



Mais reprenons nos quenouilles. L'étoupe que l'on filait dans la ferme servait à tisser l'étoffe dont on confectionnait les culottes et les vestes des petits garçons et les robes des petites filles, on ne portait de la laine qu'aux fêtes carillonnées. Les vêtements d'étoupe n'étaient, comme on l'imagine, ni chauds, ni souples, ni flatteurs ; on ne portait ni bas, ni souliers, on était légèrement vêtu, on marchait nu-pieds, et on ne s'en portait pas plus mal.



Moyennant 1 fr. 50 cent, par mois, l'instituteur du village donnait des leçons aux enfants des familles aisées ; il leur apprenait à lire et à écrire jusqu'à l'âge de 13 ans. A 13 ans les enfants cessaient toute étude, ils rentraient à la maison et à partir de cet âge, le travail des champs prenait toute leur existence. Jeux et jouets, excepté le jeu de balle, étaient choses à peu près inconnues. Les petites filles basques ne possédaient même pas l'universelle et classique poupée. Mais la balle, dès le berceau, était une compagne inséparable, elle a résisté à toutes les transformations du siècle, à toutes les innovations modernes, et elle est restée la fidèle amie des Basques. Jamais on ne voit un enfant sans qu'il ait dans ses poches ou à la main la jolie balle recouverte d'une peau bistre, bien ronde et bien dure, qui fait gonfler la main et endolorit le bras après quelques bonnes ripostes de sa part à son joueur. Les moindres recoins de murailles servent pour des parties que l'on reprend à chaque minute. Lorsque de grandes parties de paume ont lieu sur les places du village, aussitôt que les joueurs se reposent, soit qu'il y ait un coup difficile à juger, soit qu'il faille chercher la balle, on voit les enfants qui assistent en spectateurs passionnés à la partie, accourir, se grouper auprès du mur et organiser une partie dérobée pendant la halte de la grande partie. Rien n'est plus gentil et plus animé que cette troupe si vivante et si gaie des jeunes garçons, tous vigoureux, beaux, alertes et bien découplés, leurs petits bérets coquettement placés sur la tête et la ceinture rouge sur la chemise très blanche.



La pelote ou balle est une personne si vivante, si active, si imprévue dans ses fugues, ses caprices et dans ses retours que sa compagnie ne laisse ni place, ni goût pour aucun autre jeu. Les personnes âgées se rappellent cependant qu'autrefois les enfants d'un même village se divisaient en deux troupes d'après les quartiers qu'ils habitaient, ils s'armaient d'un bâton recourbé vers le bout qu'ils appelaient Kalika. Avec ces kalika ils lançaient des boules de bois à l'instar du jeu de polo. Les deux camps, le samedi soir, passaient par la rue et se provoquaient, se jetaient des défis ; le dimanche après la messe, un des camps prenait place sur une hauteur, l'autre s'installait en bas et une bataille en règle commençait. Les cailloux servaient de projectiles et volaient dans toutes les directions. On y allait de tout son coeur. On recevait de véritables blessures, c'était de bon jeu quand le sang coulait. Lorsqu'un des camps pénétrait dans le retranchement de l'ennemi, il était proclamé victorieux. Ces coutumes batailleuses ne faisaient que se développer avec l'âge. On gardait l'habitude de lancer des défis. C'était entré dans les moeurs nationales à ce point que des luttes à coups de bâtons s'engageaient parfois jusqu'à mort d'homme. Le Basque appelle le bâton sur lequel il s'appuie et qui ne le quitte jamais, son makhila. C'est un bois de néflier armé d'un bout de cuivre que l'on a renforcé à l'aide d'un gros clou d'acier. L'arme est redoutable. Dans les environs de Saint-Palais, à Saint-Jean-Pied-de-Port, dans les villages voisins, les soirs de marché, portes et fenêtres se fermaient, les gens paisibles ne se hasardaient plus dehors et sur les routes comme dans les rues on entendait crier "Aschut", mot de défi et de provocation. Bon gré, mal gré, le passant était obligé de s'arrêter et de se battre s'il voulait repousser l'agresseur et défendre sa vie.


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FRONTALIER AVEC MAKILA
PEINTURE D'ELISABETH DUCOT



D'autres jeux en usage parmi les jeunes garçons consistaient dans des paris à qui lancerait le plus loin de lourdes pierres et des barres de fer. En Soule, au commencement du siècle, on pratiquait encore les antiques jeux de la hache et du javelot, divertissements des Cantabres au temps d'Annibal. Il s'agissait de planter la hache ou le javelot dans un point donné. Malheur aux partenaires, si le joueur maladroit en blessait ou en tuait quelqu'un.



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PALANKARI EN 1895
PAYS BASQUE D'ANTAN


Parmi les filles, c'est le jeu de quilles qui est la distraction favorite ; elles y jouent sur les places des villages le dimanche, lançant d'une main sûre une boule de bois plus grosse que la tête. 



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PARTIE DE QUILLES BEGUIOS BASSE-NAVARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Autrefois, les familles étaient nombreuses, les enfants, peu surveillés, faisaient l'école buissonnière. Au lieu de se rendre en classe, ils préféraient rester avec les vaches et les brebis plutôt que d'apprendre des leçons ; ainsi, en même temps que l'humeur batailleuse croissait en eux avec l'âge, le goût des aventures allait de pair. Ils entendaient parler de l'Amérique ; ils avaient vu revenir des émigrants enrichis ; à partir de 15 ou 16 ans l'existence mouvementée des Ranchos de la Plata hantait leur imagination, et ils soupiraient après le moment où ils seraient libres d'émigrer à leur tour et de tenter la fortune dans le nouveau Monde.



Le signal du départ, c'était le moment où il leur fallait tirer au sort ; pour éviter la conscription ils s'échappaient en Espagne : la France leur était dorénavant fermée, ils allaient s'embarquer pour Buenos-Ayres ou Montévideo, dans un des petits ports espagnols de la côte. Les jeunes gens partis, les jeunes filles ne tardaient pas à aller les rejoindre : les agents des sociétés d'émigration parcouraient le pays, accentuaient le mouvement et opéraient parmi la jeunesse de véritables razzias. De l'autre côté de l'Océan un nouveau pays basque se reformait qui, actuellement, ne compte pas moins de 40 000 colons.



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NAVIRE POUR L'EMIGRATION
PAYS BASQUE D'ANTAN


Qu'on nous permette une réflexion. Nous avons acquis de belles possessions sous tous les cieux : le moment serait venu de les peupler de familles françaises afin de centupler par leur travail les richesses et la puissance de la mère-patrie. On cherche à développer les instincts colonisateurs de nos compatriotes ; à tous les points de vue on a raison. Qu'on regarde le petit peuple basque. Son genre d'éducation forme des colons actifs et industrieux, tandis que les bancs de l'école et les classes des lycées n'y parviendront pas. Ce qui trempe le caractère, ce qui donne l'énergie, ce sont les fortes leçons de la nature dont le contact bronze les âmes. Il faut être préparé à la vie aventureuse, aux privations, pour affronter le rude labeur d'un premier établissement dans une contrée lointaine où il faudra défricher, qu'il faudra assainir, rendre habitable.



On envoie le jeune berger basque, à l'âge de 12 ans, dans la montagne pour garder les brebis de son père ou de son maître. De mai à septembre, il vit dans le site le plus sauvage, dans une solitude complète. Il habite une cabane, au centre de laquelle est aménagé un foyer primitif ; roulé dans sa couverture, il dort tout habillé sur une planche ; une fois la semaine on lui porte du pain, du jambon, de la farine de maïs, ce sont ses vivres auxquels il ajoute le lait des brebis et le petit lait des fromages qu'il fabrique. C'est alors seulement qu'il reçoit des nouvelles de sa famille quand passe le messager chargé de ravitailler les bergers d'une même région. De temps à autre, il croise un autre troupeau et retrouve un compagnon ; mais ces rencontres sont rares et de courte durée. Dans la haute montagne c'est le loup, et du côté de Mauléon l'ours qu'il faut se préparer à recevoir galamment. Le jeune berger et ses chiens y font leur possible, braves comme dés héros pour défendre leurs bêtes de la dent cruelle ; ce sont les vents d'orage, les tempêtes, la foudre, les pluies torrentielles qu'il faut affronter, et les nuits froides après les feux du jour. Aux neiges, berger, chiens et brebis redescendent dans les vallées.



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JEUNE BERGER 1907
PAYS BASQUE D'ANTAN



La montagne, cela pourrait être le Borda de nos futurs colons, une vraie Ecole coloniale dont les élèves se recruteraient aisément parmi les milliers et les milliers d'enfants de l'assistance publique. Ils y apprendraient la sobriété, l'endurance, l'oubli d'eux-mêmes, le courage indomptable. C'était un simple berger des montagnes de la Lusitanie, ce Viriathe qui, pour reconquérir l'indépendance de sa patrie, tint en échec les armées romaines et ne put être vaincu que par la trahison. Mais la vie de la montagne semble maintenant trop pénible à la jeunesse basque. On trouve difficilement des bergers et le nombre des troupeaux a considérablement diminué.



Les enfants que l'on engage dans les fermes après leur première communion reçoivent comme salaire 5 francs par mois jusqu'à 15 ans : les gages augmentent progressivement jusqu'au moment où l'adolescent, en possession d'un petit pécule, prend le chemin qu'ont suivi ses camarades, ses frères, ses oncles, le chemin de l'Amérique aux rêves d'or. 5 % seulement des émigrants reviennent au pays, les autres se fixent dans leur résidence d'outre-mer, ils y fondent des familles, heureux d'avoir su acquérir par leur ténacité une honorable aisance."



A suivre...



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