LA CHANSON POPULAIRE BASQUE PAR RODNEY ALEXANDER GALLOP EN 1928.
Rodney Alexander Gallop (1901-1948) était un ethnographe et diplomate anglais, connu pour ses livres sur le folklore, en particulier le folklore Basque.
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LIVRE 25 CHANSONS POPULAIRES D'ESKUAL-HERRIA RECUEILLIES ET HARMONISEES PAR RODNEY A. GALLOP |
Suite aux travaux de collecte et de recherche du folkloriste anglais Rodney Gallop au Pays
Basque, le Musée Basque de Bayonne publia en 1928 un recueil de 25 chants basques harmonisés
pour piano. Il continua ses recherches sur les coutumes et les traditions basques et, en 1930, il
publia un livre intitulé A book of the basques, qui contient 2 chapitres sur le "folk-song". Un an
plus tard, il publia un recueil de 6 chants basques harmonisés pour voix et piano.
Voici ce que rapporta à ce sujet Rodney A. Gallop dans le Bulletin du Musée Basque N° 8, en 1928 :
"La chanson populaire Basque.
... II. — Origines et Originalité.
La question de l'origine de la musique basque a été âprement discutée. Bien que je ne prétende pas proposer une solution définitive à ce problème, je me permettrai d'y consacrer quelques lignes. Il y a dix ou quinze ans un musicien de Saint-Sébastien, M. F. Gascue publia dans la Revue Internationale des Etudes Basques une thèse dans laquelle il tâcha de démontrer que la musique basque n'avait pas d'existence indépendante et que son répertoire était emprunté à la musique populaire des peuples nordiques, surtout des celtes. En appliquant à la chanson populaire basque une méthode analytique et statistique qui ne convient guère à la musique et qui ne saurait donner que des résultats erronés, il a voulu prouver que la chanson basque a une ressemblance de tant % avec les chansons bretonnes, tant % avec les chansons écossaises, tant % avec les chansons de l'Ile de Man etc.
Je n'éprouve pas le besoin de réfuter ici les arguments de M. Gascue. Don R. M. de Azkue l'a déjà trop bien fait. Je préfère, au contraire, sans m'associer à des conclusions saugrenues, emprunter à l'œuvre de M. Gascue ce qu'elle contient de vrai et d'original. En effet, l'on ne saurait résoudre la question des influences étrangères dans la musique basque en niant tout simplement qu'elles existent. Le plus fervent patriote basque n'oserait affirmer que la chanson populaire basque soit une manifestation originale de toute pièce, ne devant rien à la musique des autres peuples. Le R. P. Donostia dans ses "Dos Conferencias : De Musica Popular Vasca" a attiré l'attention de ses lecteurs sur le danger de vouloir trop analyser la chanson populaire, manifestation si spontanée de l'âme humaine, et les conclusions insoutenables de M. Gascue montrent combien ce danger est grand. En analysant d'une façon scientifique la chanson basque l'on se rend compte que ni ses gammes, ni ses rythmes, ni ses formes, ni ses contours mélodiques, aucun enfin des éléments qui constituent une chanson, ne lui sont exclusivement particuliers. On en arrive presque à oublier que l'ensemble de ses éléments auxquels le paysan basque ajoute quelque chose d'indéfinissable, une manière spéciale de débiter sa chanson qui vient du plus profond de lui-même, constitue quelque chose de tellement particulier que l'on ne saurait jamais s'y méprendre. Pour s'en convaincre le lecteur n'a qu'à se promener dans la douce campagne basque, en écoutant le chant du bouvier, du laboureur ou de l'etcheko-andre. Cela lui en apprendra bien plus long que mes quelques remarques, lesquelles ne sauraient guère rendre l'impression de la chaude et vivante réalité.
La chanson basque existe. Parachevée par la marche lente des siècles, et par le travail inconscient d'innombrables générations de chanteurs, elle a acquis une identité, une individualité qui font d'elle la plus belle expression du génie basque. Ses origines, me semble-t-il, n'ont que peu d'importance à côté de sa triomphale existence. Toutefois je me permettrai d'exprimer en ne cherchant nullement à les imposer.
Il a été incontestablement démontré que chez n'importe quel peuple, qu'il soit isolé ou non, se développe une musique populaire dont on ne doit chercher l'origine que dans le besoin de chanter qu'éprouve tout être humain. Plus une race se trouve isolée, plus sa tradition musicale se conservera pure. Plus la race entrera en contact avec les autres peuples, plus sa musique perdra son cachet particulier. Or jusqu'ici le peuple basque a vécu relativement isolé. Ce fait est dû en partie à des causes géographiques et historiques, en partie au caractère renfermé et méfiant de la race elle-même. Je n'ai pas besoin de souligner quel danger il y a pour la musique basque, dans l'envahissement par le monde bruyant et par la vie moderne de la tranquillité séculaire de l'Eskual-Herria. Je me bornerai à en conclure que la musique basque, quelque ressemblance qu'elle puisse avoir avec la musique populaire des autres pays, est principalement l'œuvre du sentiment esthétique du peuple basque lui-même. Si nous acceptons cette hypothèse il nous sera possible de reconstituer approximativement le développement du chant dans le Pays Basque. Le chant a dû naître à peu près tel qu'il est né dans les autres pays du monde. La chanson primitive qui monta spontanément aux lèvres des "aintzinekoak" basques nous la retrouvons encore aujourd'hui dans les berceuses et les chansons enfantines. Il est tout naturel que les chansons nées dans les premiers temps de l'espèce humaine se trouvent encore associées à l'enfance.
Témoin cet air pour faire danser l'enfant sur les genoux, N° 4 de mes "Vingt-Cinq Chansons" :
Ex. 3. — Arri, Arri Mandoko.
Il ne consiste qu'en une courte phrase sur deux notes, répétées sans aucune variation. C'est la pensée musicale réduite à son expression la plus simple, la musique embryonnaire. Aussi ai-]e l'impression que c'est un des plus anciens airs basques qui existent. D'un stage musical à peine plus développé provient cette berceuse que j'ai notée à Itxasou. La phrase musicale sur quatre notes est répétée avec de légères variations :
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CHANSON ARRI ARRI MANDOKO |
Ex. 4. — Bilin Balan.
A ces commencements ont dû succéder peu à peu des mélodies plus compliquées, plus ambitieuses. A la répétition s'est substituée la forme. Le registre s'est étendu. Puis les emprunts et les influences étrangers, résultats des contacts avec d'autres races, sont venus ajouter de nouveaux motifs au répertoire ancien. Toutefois le Basque n'a pris chez les autres que les mélodies, et les cadences qui correspondaient à son idéal esthétique et à ce qu'il avait déjà l'habitude de chanter. En rapprochant la musique basque de la musique celtique, en constatant que les influences de la musique chaude et colorée du Midi et les emprunts au Cancionero Espagnol manquent totalement, M. Gascue n'a pas fait fausse route. Le Basque n'a pas manqué d'entendre la musique méridionale, mais elle ne lui a rien dit et il l'a tout simplement rejetée. Cependant deux parmi les genres de musique avec lesquels il est entré en contact l'ont fortement influencé. C'est d'abord la musique ecclésiastique, l'ancien plain-chant, qu'il a entendu à l'église et dont on reconnaît encore l'influence dans de nombreuses chansons telle que le "Belatsa" noté par Charles Bordes en Soule, belle mélopée qui rend avec un naturalisme presque plastique le vol de la buse :
Ex. 5. — Belatsa.
La seconde influence étrangère est celle des chansons populaires des races nordiques, avec lesquelles le Basque sent une certaine affinité et avec lesquelles il est entré en contact dans ses croisières au long cours, en péchant, en faisant son service militaire, ou même au cours des guerres dont a été témoin son pays.
Occupons-nous d'abord des emprunts. M. Gascue a relevé l'identité de "Iru Donostiako Damacho" avec la chanson populaire anglaise "The Miller of Dee" que les Basques ont apprise, paraît-il, de la soldatesque anglaise au siège de San Sébastian ; et de "Urzo Churia" avec la chanson presque internationale "Ah! vous dirai-je maman". A ces deux exemples j'ajouterai la chanson Basque-Française "Kaiku" dans laquelle j'ai reconnu le "Little Brown Jug" anglais et "Kantore Berri" (Donostia N° 142) qui a une ressemblance plus que fortuite avec un air anglais du XVIIIe siècle. Tout dernièrement encore le grand et sympathique pianiste M. Alfred Cortot me joua sur un rythme vif et martial un motif breton dont il s'est servi pour composer un Concerto pour piano et orchestre. J'y reconnus avec quelque étonnement le contour mélodique d'une des chansons basques les plus tendres et paisibles que j'ai recueillies. C'est une berceuse (Vingt-Cinq Chansons N° 1) que m'a chantée une jeune fille d'Halsou. La voici :
Ex. 6. — Ama Denian Haurrekin.
Jusqu'à présent nul musicien ayant les connaissances nécessaires, n'a tenté d'identifier et de retracer jusqu'à leur source les airs empruntés qui se sont acclimatés dans le Pays Basque. Pour ma part, je suis convaincu que la liste en serait bien longue. Elle comprendrait non seulement des airs celtiques et anglo-saxons, mais, plus nombreux encore, des airs populaires français. Toute une série de mélodies labourdines et bas-navarraises, dans la gamme majeure et sur un rythme de 6/8, tel le "Dama Gazte Charmant Bat", se trouveraient être proches parentes, sinon descendantes d'une musique purement française, acclimatée dans l'Eskual-Herria depuis le XVIIIe siècle. A les entendre chanter au Pays Basque, cependant, on ne le devinerait guère car les Basques, en les adoptant leur ont communiqué une empreinte toute euskarienne.
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CHANSON AMA DENEAN HAURREKIN |
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