PHILIPPE VEYRIN EN 1931.
Philippe Veyrin, né le 9 janvier 1900 à Lyon (Rhône) et mort le 2 janvier 1962 à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques) est un artiste peintre, historien et bascologue français.
PHILIPPE VEYRIN 1928 |
Voici ce que rapporta à son sujet la revue mensuelle illustrée La Vie latine : organe officiel du
Bureau permanent de la presse latine, le 1er avril 1931, sous la plume de Nicolette Hennique :
"Chronique artistique.
Philippe Veyrin.
En dehors des expositions de l'Orangerie et des Rétrospectives, il n'y a guère, en ce moment, de peinture intéressante à Paris dans la multitude des galeries du centre. Aussi, lorsqu'en parcourant celles de Bernheim jeune, on trouve les tableaux d'un artiste tel que Philippe Veyrin, on ressent un choc fait d'une sorte d 'étonnement et de véritable joie.
TABLEAU ST-PEE-SUR-NIVELLE PAR PHILIPPE VEYRIN |
Voici des dessins à l'encre de chine et à la gouache, sur des papiers foncés, qui sont étonnants d'effet simple et probe. Ils offrent, dans leur genre — genre d'ailleurs personnel et par là plus estimable encore — une réelle et sûre perfection. Philippe Veyrin semble doué pour l'illustration et j'aimerais, au moment où paraissent tant de livres sur des provinces et des contrées, voir un livre sur le pays basque illustré par une série de ces beaux dessins expressifs et qui possèdent des qualités de vie et d'aération d'habitude exclusivement picturales.
Mais c'est dans la peinture, dans ces huiles colorées et nettes sans, pourtant, aucune sécheresse ligneuse, qui m'ont attirée et retenue, que je préfère Philippe Veyrin. Sa conscience de la vie de la terre, de la fragilité mouvante et profonde de l'atmosphère, de l'équilibre des masses dans le vide de l'air, la qualité de ses ciels, mouvante et délicate, en font un des paysagistes les plus complets parmi les paysagistes modernes. Il est sensible sans abus de nuances et de détails et nous émeut profondément par ses recherches sincères et réussies ; tel tableau au ciel pâle où glissent des nuées rapides et des lueurs d'argent, est extrêmement bien et sa vigueur est parée des plus suaves délicatesses. A première vue, à cause de certaines brutalités de tons, de touches violentes, on ne s'aperçoit pas de tout ce qui se groupe de finesses et d'harmonie lumineuses dans ces tableaux. Un jardin aux volubilis, symphonie mauve et bleue, à Ainhoa, évoque la paix fertile des fleurs, le calme silencieux des jours chauds seulement peuplé de bruits d'insectes. Un autre jardin paysan à l'automne offre la magie d'une palette variée et souple. L'église d'Espelette, au soleil couchant, offre un effet intense de rayonnement, un éclairage juste, hardi, et une "mise en page" séduisante, neuve. Car, en dehors de toutes ses qualités — jeunesse, fraîcheur, couleur, composition — cette peinture en possède une autre, cette fois involontaire : elle plaît. Elle est intelligente et semble faite avec foi et plaisir. J'ignore ce qu'elle peut rendre à ceux qui connaissant le pays basque, l'ont admiré avec des yeux lucides et l'ont compris avec exactitude, mais pour ceux qui n'ont pu le rechercher que dans des images — et depuis quelques années beaucoup d'artistes en ont exécuté — il semble un peu que l'on en fasse seulement aujourd'hui la découverte avec les coins d'Ainhoa, de St-Jean-de-Luz, de Novarte, d'Arbonne ou de Sare, rendus par Philippe Veyrin, avec ces clochers, ces rues, ces villages et surtout, cette lumière, si particulière et si ardemment douce.
TABLEAU EGLISE DE SARE PAR PHILIPPE VEYRIN |
"La lumière, c'est elle qui donne au paysage basque sa suprême unité. Elle est fonction du climat, et, comme lui, perverse et imprévue. Elle n'a rien, de cette blancheur aride, joyeuse, éblouissante du vrai Midi. C'est la lumière d'un azur nébuleux, d'une atmosphère souvent chargée d'eau. Lumière blonde ou lumière bleutée, variant au gré des heures, mais toujours caressante et non exempte d'une certaine mélancolie, alors même que le vent du Sud déploie sa fougue passionnée", écrivit dernièrement Philippe Veyrin dans La Petite Gironde. Tout ce qu'il exprime là on l'éprouve, on le "connaît" lorsque l'on contemple ses tableaux, et, surtout, on l'éprouve.
Je me rappelle devant une étude de sous-bois de notre grand Fernand Maillaud avoir ressenti la fraîche humidité de l'ombre, entendu le balancement des branches et le froissement des feuilles, respiré l'odeur pourrie des végétations écrasées dans une boue d'octobre. Le paysage était vrai à pleurer comme la nature même qui est bien ce qui émeut le plus au monde. Or, devant les paysages de Philippe Veyrin, on a une sensation égale : le vent qui frappe les joues ou la chaleur vivante de l'air et dans laquelle on se meut tendrement.
TABLEAU MAISONS BASQUES A SARE PAR PHILIPPE VEYRIN |
Je crois qu'il y a des œuvres peintes où, selon Baudelaire :
Les formes, les couleurs et les sons se répondent, tant l'harmonie y est comme un chant et donne jusqu'à l'illusion du mouvement et du bruit.
M. Philippe Veyrin, qui a toujours travaillé seul, en dehors de toute école et de tout atelier, domine dès maintenant, — très jeune — le procédé, si pénible à rencontrer chez tant de trop consciencieux élèves.
Je m'imagine même qu'il n'en a guère eu et qu'il peint ce qu'il voit comme il le contemple et le conçoit sans s'embarrasser de manières, de tendances, ou de systèmes.
Ces ombres transparentes, ces coloris subtils, ces fenêtres derrière lesquelles on ne sent pas le vide, mais des foyers et des logis, ces toits et ces clochers autour desquels l'air vibre, ces modelés, ces raccourcis, je gagerais qu'ils ont été acquis par le travail direct et l'observation personnelle, par ce labeur amassé heure par heure, mais qui laisse spontanément aux paysages les séductions nombreuses et diverses de l'heure, du temps, des saisons, qui se contente de noter, en les respectant, leur humeur, et qui permet de regarder mieux chaque jour, de rendre plus facilement, mais méprise toute méthode et froide théorie.
M. Philippe Veyrin qui me semble aimer la nature comme doivent l'aimer les paysagistes : avec curiosité et béatitude me fait songer à un peintre dont j'ai, par hasard, retrouvé de nombreuses oeuvres : Karl Bodmer. Il a dû peindre entre 1830 et 1880 et a été un des premiers qui nous ait apporté des croquis pris sur le vif du Missouri et des Montagnes-Rocheuses. De retour en France, il a découvert la forêt de Fontainebleau et s'est attaché à la rendre sans regarder ailleurs mais avec une vérité touchante. Karl Bodmer était aussi un animalier passionné mais cela fut sans doute pour rendre sa forêt plus nombreuse et plus diverse comme on piquerait l'indication d'une coiffe, d'un costume au coin d'un carrefour que l'on ne jugerait pas assez vivant ou comme le "témoin" laissé à la marge d'un livre.
TABLEAU FORÊT DE FONTAINEBLEAU PAR KARL BODMER |
Il est bon de ne pas se duper à peindre une multitude de contrées car on ne connaît jamais trop un pays pour le peindre comme on ne connaît jamais assez un être pour l'aimer. L'admirable "impressionnisme" est bien la fixation d'une impression, mais comme elle est meilleure cette impression, bien que passagère, si elle émane de quelque lieu connu profondément. Voyez Sisley avec ses bords du Loing. Je pense que Philippe Veyrin demeurera le peintre du pays basque, et, si plus tard, il acquiert le "plus de maîtrise" dans la touche que son âge ne lui a pas encore complètement donné, ses tableaux n'auront certainement pas plus de charme ni de franche luminosité.
TABLEAU BORDS DU LOING PAR ALFRED SISLEY |
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