RÉOUVERTURE DE LA FRONTIÈRE FRANCO-ESPAGNOLE EN 1948.
La frontière entre l'Espagne et la France s'étend sur 623 kilomètres le long des Pyrénées et a connu, dans son histoire, de nombreuses fermetures.
Cela touche profondément les relations transfrontalières au Pays Basque.
A la Libération, en particulier, la frontière entre les deux pays est fermée le 1er mars 1946, à la
suite de problèmes politiques entre le régime franquiste et le gouvernement provisoire français.
Le 25 septembre 1947, on parlait déjà de la réouverture de la frontière, dans un article de Louis
Pauwels, publié dans le journal Combat (journal né dans la Résistance et bénéficiant de
signatures prestigieuses).
Voici ce que rapporta au sujet de cette réouverture le quotidien La Croix, le 10 février 1948 :
"La frontière Franco-Espagnole est rouverte.
L'accord franco-espagnol concernant la réouverture de la frontière a été publié simultanément à Madrid et à Paris dans la journée de dimanche. En voici les principales dispositions :
1° — A partir du 10 février 1948 à 0 heure, le régime normal sera rétablir pour la circulation des voyageurs par toutes les frontières franco-espagnoles, terrestre, maritime ou aérienne, aussi bien directement qu’en transit.
2° — A partir du 10 février 1948 à 0 heure, les communications postales, télégraphiques et téléphoniques seront rétablies entre la France et l'Espagne aussi bien directement qu'en transit.
3° — A partir du 1er mars 1948 à 0 heure, le régime normal sera rétabli pour le passage des marchandises en transit par toutes les frontières des deux pays.
L'accord stipule, en outre, que ces décisions sont applicables aux territoires métropolitains des deux pays et à leurs territoires d'outre-mer, et ajoute que les deux gouvernements vont ouvrir immédiatement des négociations tendant à conclure un arrangement commercial et économique.
Ainsi se trouve réglé un différend économique qui n'aurait jamais existé s'il n'avait eu des motifs politiques. On ne peut que s'en féliciter dans les milieux français où on s'attend à une reprise immédiate des échanges économiques entre les deux pays.
La population basque manifeste particulièrement sa satisfaction. Le trafic du port de Bayonne était en plein développement lorsque la frontière fut fermée. Cette mesure lui a causé, ainsi qu'à la population frontalière, un sérieux préjudice. Désormais on reverra à Bayonne les arrivages de pyrites, de poissons frais, de conserves de poisson, d'agrumes, etc. Il ne faut pas négliger, en outre, l'activité touristique qui résultera de la réouverture de la frontière. A cet égard, les autorités espagnoles viennent de prendre des mesures instituant un régime spécial pour les voyages touristiques dits "à forfait", "tout compris", ou "collectifs" organisés par des agences officiellement établies en Espagne. ''
FRONTIERE HENDAYE 1948 PAYS BASQUE D'ANTAN |
La satisfaction n'est pas moindre en Espagne, non seulement pour des raisons économiques, mais plus encore pour des raisons politiques. On pense que la réouverture de la frontière remettra l'Espagne dans le concert normal des puissances européennes, en dépit du régime franquiste, et lui permettra de participer ultérieurement au plan Marshall. On pense aussi, dans certains milieux, que ledit régime franquiste ne sort pas vaincu ni diminué de la lutte politique poursuivie contre lui. C'est ainsi que le journal Ya écrit :
"La réouverture est avant tout la reconnaissance de l'attitude ferme et irréprochable de l'Espagne qui ne rectifie pas d'un pouce sa position et sa conduite. Cette décision, dont bénéficie d’abord la France, entre dans le cadre du courant de compréhension permettant un travail efficace de tous les pays intéressés dans une politique sincère de bonne volonté dont bénéficiera ultérieurement l'organisation de l’Occident."
Le speaker de la radio madrilène a également mis l'accent sur le côté politique de l'accord franco-espagnol en déclarant :
"L’homme le moins averti se rend compte de l'importance de cette mesure, car l'Europe n'est pas une entité créée artificiellement par les géographes, mais une grande force spirituelle qui impose à ses membres l'obligation de se maintenir dans l'union la plus stricte pour sauvegarder vingt siècles de civilisation occidentale".
Quant aux milieux républicains et antifranquistes espagnols, dont les principaux chefs se trouvent en France, ils font, si l’on peut dire, contre mauvaise fortune bon visage. On se rendait compte, dit-on dans ces milieux, que la France pouvait porter préjudice à ses propres intérêts, matériels en décidant de fermer sa frontière et que son geste, pour être efficace, aurait dû être imité par d’autres puissances. On rappelle que M. Indalecio Prieto, lors de son séjour en France en automne 1947, avait laissé entendre qu'il considérait comme politiquement inutile le maintien d'une telle mesure.
INDALECIO PRIETO CHEF DU PSOE DE 1937 A 1962 |
Bref, dès ce mardi, les trois trains de Paris-Hendaye, actuellement en service sur cette ligne, assureront une correspondance avec Irun et le service des postes s'effectuera par ces mêmes trains.
Les chemins de fer espagnols, de leur côté, assureront un nombre identique de navettes jusqu'à Hendaye pour établir une correspondance avec les trains français Hendaye-Paris.
Les services douaniers sont d'ores et déjà en mesure de fonctionner, et le personnel de frontière est déjà en place à la gare d'Hendaye, où se feront toutes les opérations de contrôle.
Rappelons brièvement la genèse et l'évolution de "l'affaire espagnole". En mars 1946, le gouvernement français en avait saisi le Conseil de sécurité de l'O. N. U., prétextant que le régime franquiste pouvait, en raison de son caractère totalitaire, constituer une menace pour la paix. Les délégués américains et britanniques répondirent nettement qu'ils n'étaient pas de cet avis. Plus tard, on en référa à l'Assemblée générale de l'O. N. U. Celle-ci, comme le Conseil de sécurité, se déroba et se retrancha derrière une motion dilatoire aux termes de laquelle les ambassadeurs accrédités à Madrid seraient retirés sans qu'il en résulte une rupture des relations diplomatiques. Bien entendu, une rupture des relations diplomatiques ne fut pas davantage envisagée par les Anglo-Américains, qui tenaient à leurs échanges commerciaux avec l'Espagne de même qu'à garder dans ce pays un barrage contre l'expansion communiste.
L'initiative de la France, discrètement escamotée par l'O. N. U., n'était plus guère approuvée et défendue que par les républicains espagnols dont les chefs avaient formé, en France, un simulacre de "gouvernement démocratique" et par les partis communistes d'Europe, à commencer par le nôtre.
GENDARMES FRANCAIS A LA FRONTIERE LA CROIX 10 FEVRIER 1948 |
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