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lundi 20 décembre 2021

UNE ENQUÊTE À LA FRONTIÈRE FRANCO-ESPAGNOLE AU PAYS BASQUE EN MARS 1935 (première partie)

UNE ENQUÊTE À LA FRONTIÈRE FRANCO-ESPAGNOLE EN 1935.


Dès 1934, le journaliste et écrivain Xavier de Hauteclocque mène une enquête sur les frontières de la France.




pays basque autrefois frontiere
HENDAYE VUE DE FONTARRABIE 1935
PAYS BASQUE D'ANTAN



Il détaille son résultat dans le journal Gringoire, dans plusieurs éditions :



  • le 22 mars 1935 :


"Entrée libre.



Enquête aux frontières françaises par X. de Hauteclocque.

(De notre envoyé spécial.)



Cette enquête aux frontières françaises fut commencée en novembre 1934, à l'époque où le scandale était à son comble, où la France s'ouvrait comme un pauvre moulin, les ailes déchirées, aux quatre vents et aux quarante voleurs.



Depuis lors — le 29 janvier 1935 — M. Magny, directeur de la Sûreté nationale, entreprit de réorganiser ses services, qui en avaient passablement besoin, entre autres la surveillance administrative et policière de nos limites :


"Renforcement de la surveillance des frontières par la création d'un corps spécialisé de commissaires et inspecteurs de police des frontières et de brigades de gendarmerie uniquement consacrées à la surveillance des frontières." (Art. 1er du projet.)



Voilà ce que M. Magny entendait réaliser. Je ne sais s'il aura le temps de mener à bien cette réforme urgente, car les directeurs de la Sûreté sont pavés de bonnes intentions comme l'enfer, mais le pavé change souvent. Et si cette réforme est accomplie, on ne saurait prévoir ses résultats.



Je livre donc au public, sans y rien changer, le résultat d'observations recueillies aux frontières françaises, peu de temps avant qu'on songe à les défendre. Si l'on répare les affreuses erreurs que je vais dénoncer, tant mieux. On saura à quel péril nous échappons.



Sinon, si le scandale dure, si l'on s'est contenté une fois de plus de jeter un voile de mots sur une grande plaie, je le dis sans crainte de me tromper, tant pis pour ce régime impuissant et malheur à nous tous, ses victimes.


pays basque autrefois fleuve
BIDASSOA 1935
PAYS BASQUE D'ANTAN


... Découvertes à l'aide d'une ficelle.



Mesurons le périmètre de la France avec une ficelle. Ensuite, piquant un bout sur Paris, montons droit vers le nord. L'autre bout arrive au pôle : il y a aussi loin de Dunkerque à Dunkerque que de la tour Eiffel au pays des phoques.



Trois mers et un océan qui nous mettent en contact avec la terre entière, les confins territoriaux de six nations (je ne compte pas la république d'Andorre), dont l'une ne nous aime pas beaucoup cependant qu'une autre — pas besoin de préciser — souhaite notre mort.



Chemin faisant, notre ficelle découvre des anomalies étranges. Voilà de jolies devinettes pour charmer les longues soirées de famille :



Quel est le coin de France qui paye tribut à un petit peuple voisin ? Un train entre dans un tunnel français. Il en sort dix minutes plus tard et se trouve toujours chez nous. Cependant, en dix minutes, le train a changé trois fois de pays. Où se trouve ce tunnel ?



Dans quel département de la métropole le préfet doit-il se munir d'un passeport pour aller voir certains de ses administrés ?



Demoiselles curieuses, prenez patience. Ma ficelle vous donnera le mot au cours de cette enquête. Il faut bien faire durer le plaisir.



Montagnes et plaines, rivages et fleuves, au total et à vol d'oiseau, cinq mille kilomètres de frontières. Des ports, des gares, des grandes routes, des sentiers de chèvre. Dix navires qui arrivent ou repartent à chaque marée, deux cents trains, deux mille autos, deux cent mille piétons chaque jour.



Que de travail pour les concierges de mon pays ! Avant de les voir à l'œuvre, courons rendre visite à celui qui les commande. Le moindre palace a un chef portier galonné jusqu'aux oreilles. La France, hôtel du globe, doit posséder pour le moins un général des concierges brodé d'or jusqu'à la racine des cheveux.



Soyez tranquille : elle en possède trois.




pays basque autrefois frontiere
ÎLE AUX FAISANS BEHOBIE 1935
PAYS BASQUE D'ANTAN



Cent trente-deux portes ouvertes.



Trois ministres sont théoriquement chargés d'assurer la surveillance des frontières françaises.



Le ministre de la Guerre par le truchement des brigades de gendarmerie.



Le ministre des Finances et ses douaniers.



Le ministre de l'Intérieur représenté par les préfets des vingt et un départements limitrophes assistés de "commissaires spéciaux" et d'inspecteurs qui appartiennent à la Sûreté nationale.



— Et le ministre des Affaires étrangères, demandez-vous. Car enfin, qui dit frontières sous-entend des relations continuelles avec l'étranger.



On a oublié ce ministre-là. L'heureux homme ne figure pas dans cette galère.



En droit, tout le système repose sur les vingt et un préfets, responsables du bon ordre dans leurs domaines respectifs. Ils sont là pour recevoir les tuiles. Avec ses cent vingt kilomètres de frontière allemande, sa ligne Maginot qui attire les espions comme le miel attire les guêpes, le préfet du Bas-Rhin risque plus que celui de l'Aisne : dix kilomètres de paisible frontière belge. Administrativement, leur importance est égale. L'autocrate de la Haute-Garonne, que l'infranchissable val d'Aran sépare pendant huit petites lieues de l'aimable Espagne, vaut l'autocrate des Alpes-Maritimes empêtré dans une infinité de talwegs, de voies ferrées et de grands chemins qui s'entortillent, trente lieues durant, aux routes, aux tunnels et aux cols de la chatouilleuse Italie.



Leurs devoirs sont les mêmes et leurs pouvoirs pratiquement nuls.



Car, en fait, la surveillance incombe aux "commissaires spéciaux" qui reçoivent leurs ordres du ministre de l'Intérieur, par-dessus la tête des préfets.



Crise. L'argent manque. Il a d'ailleurs toujours manqué pour cette besogne primordiale. On a recours au "système D."



Le ministre de l'Intérieur renvoie la balle à ses collègues de la Guerre et des Finances. Les commissaires spéciaux peuvent donc escompter la "collaboration" des gendarmes et des douaniers. Malheureusement, sauf exceptions, ils ne peuvent pas la requérir.





pays basque autrefois pont frontière
PONT ET FRONTIERE BEHOBIA 1935
PAYS BASQUE D'ANTAN



... L'œil d'éléphant.



Les frontières françaises sont découpées en secteurs. La répartition répondait-elle, jadis, à des nécessités politiques ou géographiques ? Probable. Mais la terre a tourné depuis lors. Tel petit pays est devenu grand. Telle nation voisine, réputée tranquille, entasse révolutions sur coups d'Etat. Telle région qu'on croyait infranchissable, forée par des tunnels, sillonnée par des routes, survolée par des lignes d'avions devient une zone de trafic intense. Aujourd'hui, nos secteurs-frontière semblent découpés au petit bonheur. Il y en a d'immenses et de minuscules.



Le secteur sud-ouest est immense.



Cent douze bonnes lieues de France, deux cents kilomètres de mer de Bordeaux jusqu'à Hendaye. Deux cent cinquante kilomètres de Pyrénées, d'Hendaye au Val d'Aran. Les crêtes basques, aux forêts crépues, aux gorges bleues toutes soupirantes de torrents. Les escaliers cyclopéens des montagnes navarraises.



Enfin, enfin, le Nathou, le vieux géant enfumé, ridé, musclé de roches noires et coiffé de neige, pareil à un boxeur nègre centenaire.



Difficile de surveiller la mer.



Plus difficile encore de surveiller la montagne.



Un homme l'essaye. Il s'appelle Picard.



Commissaire divisionnaire à la Sûreté nationale, il commande le gigantesque secteur sud-ouest.




pays basque autrefois pont frontière
PONT BEHOBIE-BEHOBIA 1935
PAYS BASQUE D'ANTAN

... On fait ce qu'on peut.




En face de la consigne des bagages, dans un recoin perdu de la gare d'Hendaye, cette chambrette de trois mètres sur cinq sert de quartier général au chef suprême du secteur sud-ouest, gardien de quatre cent cinquante kilomètres de frontières.



Mobilier : 

Coffre-fort, néant. Un simple cartonnier enferme les documents et j'imagine qu'il doit y en avoir de confidentiels.

Table, chaise, ce qu'il faut pour écrire. 

Fauteuils : un.



C'est tout. Point de tapis. Rien sur les murs, pas même le sourire de confiseur du Président. Délicate attention : M. Lebrun fondrait en larmes s'il voyait comment on loge les hauts fonctionnaires chargés de défendre sa boutique et le pauvre homme a si souvent fondu !

— Asseyez-vous. Prenez vos aises et dites-moi votre impression.

— La situation générale n'est pas fameuse.

— Je parle du fauteuil.



M. Picard ajoute avec un orgueil quasi paternel :

— C'est un fauteuil illustre.



Ce meuble connaît, au sens littéral du moi, l'envers du Gotha, les dessous de la politique européenne. Pour employer une métaphore audacieuse, des têtes couronnées s'y sont assises et des héritiers présomptifs, des monarques déchus, des révolutionnaires triomphants ou proscrits : Alphonse XIII, le prince de Galles, lndalecia Prieto, etc.


— N'empêche, reprend-il, qu'un second fauteuil serait le bienvenu. Supposez que je reçoive deux rois d'un seul coup. Il faudrait que le plus jeune s'assoie par terre.



Il faudrait surtout qu'à peine débarqués sur notre sol nos hôtes de marque cessent d'avoir sous les yeux ce spectacle de misère et d'incurie bureaucratiques.


— On fait ce qu'on peut, murmure le "spécial".



En souvenir du bon, du vieux temps de Rhénanie, et parce qu'il comprend mieux que personne l'intérêt de cette enquête, M. Picard me fera volontiers les honneurs de ses domaines. Suis-je en automobile ? Non.



— Dans ce cas, vous pourriez demander à mon ami Gamez de vous transporter.



Chef de la police frontière pour la Navarre et le Guipuzcoa, M. Gamez commande le secteur espagnol qui coïncide avec la zone territoriale de notre secteur sud-ouest. Pour surveiller deux cents kilomètres, Madrid met à sa disposition trois voitures.



Pour garder quatre cent cinquante kilomètres, frontière maritime comprise, Paris n'accorde même pas une bicyclette à M. Picard !



M. Gamez a quatre-vingts inspecteurs sous ses ordres.



M. Picard en a vingt.



Il hausse les épaules et je tombe des nues.



Défilent dans ma pensée toutes ces limousines à cocardes tricolores qui promènent les petites amies de nos attachés de cabinet et les banquiers véreux, clients de nos avocats politiciens ; s'allongent à perte de vue les files de ronds-de-cuir où se prélassent d'inutiles budgétivores. Mais, pour une besogne essentielle, urgente, vitale, on manque d'hommes et l'on ne trouve pas une automobile !



En vérité, si les contribuables faisaient des cocottes en papier avec leurs cinquante millions de billets de mille francs annuels au lieu de les verser au percepteur, le gaspillage n'en serait ni plus ni moins scandaleux.



— N'exagérons rien, on abat quand même d'aussi bonne besogne que les Espagnols d'en face. Ils suppléent au nombre par la qualité. Ils usent leurs chaussures au lieu d'user de l'essence. Economie ! Si je vous disais...




pays basque autrefois frontière
PONT INTERNATIONAL HENDAYE 1935
PAYS BASQUE D'ANTAN



Le vieux routier de police sourit...



— ...Ne répétez pas cette confidence à non excellent ami Gamez. Si je vous disais que, dans les cas embarrassants (suspects difficiles à identifier, contrebande d'armes, etc.), il arrive aux Espagnols de nous demander des tuyaux que nous leur donnons pour l'amour de l'art. 



Il répète victorieusement :



— On fait ce qu'on peut.



Raison de plus pour que, en haut lieu, on fasse ce qu'on doit."



A suivre...





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