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samedi 25 décembre 2021

LE DÎNER DE NOËL AU PAYS BASQUE AUTREFOIS

LE DÎNER DE NOËL AU PAYS BASQUE EN 1937.


Au Pays Basque, comme dans beaucoup d'endroits, la tradition des fêtes de Noël est un moment important dans la vie des habitant.e.s.




basse-navarre repas
REPAS DU MATIN EN BASSE-NAVARRE
PAR HOMUALK



Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Nouveauté, le 19 décembre 1937, sous la plume de 

Pierre Lhande :



"Le dîner de Noël au pays basque.




... Hâtons nous de le dire : les coutumes gastronomiques basques de Noël ne se différencient guère de celles qui sont usitées dans la plupart de nos régions du Midi. Elles tiennent surtout à l'époque où s'accomplissent les rites indispensables de l'année, tels le temps de la chasse, la saison des confits, les vendanges, l'approvisionnement des fruits, des récoltes, des agneaux, des porcs, etc... Il n'en reste pas moins que des dates comme celles de Noël, de l'Epiphanie, de Pâques et du Mardi Gras communiquent à ces petites solennités un indéniable cachet de sympathie.




Il ne faut pas mettre en doute que l'événement capital de la Noël — culinairement s'entend ! —  est en pays basque, le rite que les Béarnais appellent, d'un mot assez expressif et assez peu nuancé, le "pèle-porc" — mais que nous nommons, nous, d'un terme noble : "Xerriaren hiltzia" (la mort du goret).





cuisine cochon
LA MORT DU COCHON GARAZI
PAYS BASQUE D'ANTAN



C'est, généralement, dans les tous derniers jours de décembre que le signal de l'arrêt fatal est donné par le maître de maison, le "seigneur de céans", comme dit le Basque : "etxeko yauna". Arrêt sans appel, quels que soient les regrets qui s'attachent à la victime vouée à un aussi funeste destin. Comme dans nos moeurs judiciaires courantes, l'heure de l'exécution est le petit jour. Vaine précaution ! Les vociférations de l'animal, tiré de sa loge à la lueur des lanternes, jettent l'alarme dans tout le voisinage.




Solidement garrotté autour du groin et par les jambes, deux, trois solides gaillards le hissent, devant la basse-cour, sur une caisse ou un chevalet. L'exécuteur, qui est un homme de métier, consciencieusement se signe, son béret à la main - car manquer le coup serait un mauvais présage ! Mais non, le Deibler du lieu est toujours un spécialiste. Les cris aigus de l'habillé-de-soie propagent la bonne nouvelle, prometteuse de festins somptueux. C'est au plus jeune héritier de la maison qu'échoit l'honneur de tenir délicatement l'appendice en forme de tire-bouchon du quadrupède immolé. Quand le sacrifice aura été consommé, les femmes viendront ébouillanter la bête à grands renforts d'eau fumante, raclant et rasant ses poils soyeux comme ferait un Figaro de métier. C'est le premier stade du cérémonial. Après quoi, il ne restera plus qu'à trancher avec dextérité le cou de l'animal et à le dresser, par les pieds d'avant, sur une échelle dans l'aire, ou dans l'étable, pour le débiter en quartiers ou en menus morceaux.




Maintenant, derechef, le gros de la tâche revient aux ménagères. C'est à elles qu'il appartient de donner aux hommes leur part de choix — c'est a dire le foie frit à la poêle, relevé d'un piment brûlant et accompagné d'un bol de café aromatisé dont la formule est classique :


Suia bezain bero,

Eztia bezain ezti,

Phiperra bezain borthitz.

Chaud comme le feu ;

Doux comme le miel ;

Fort comme le piment !




Durant la matinée, il restera à découper les jambons, les épaules, les entrecôtes, et à les déposer dans le saloir, à moins qu'ils ne soient bons à suspendre aussitôt, sous une forte couche de sel, de poivre et de poivron, aux poutrelles hautes de la cuisine.




Détail qui a son importance : une des fillettes de la maison, ayant revêtu son tablier tout frais lavé, ira porter à la gouvernante de M. le Curé un filet de porc, en manière de dépouilles opimes. A plus tard, les présents plus substantiels : l'andouille, les saucisses ou les boudins.




On raconte qu'un bien honnête et fort vénérable desservant d'un village de la Soule avait, à son usage, une sorte de petit palmarès, qu'il avait coutume de lire, à l'époque de Noël, sous le porche extérieur de l'église et — bien entendu ! — les vêpres dûment terminées :



— Voici, disait-il,  la liste des "filets de porcs" qui ont été offerts par nos généreux paroissiens pour subvenir à nos nécessités :


Famille Une telle : un filet !

Famille Une Telle : un autre filet !

Famille de M. le Maire : un autre filet !

Famille de M. l'Adjoint (d'un ton triomphant) : deux filets !



Naturellement, c'est surtout à Noël que les coutumes gastronomiques vont jusqu'à la prodigalité. La veillée, elle, se ressentira encore des restrictions nécessaires que commande la loi de l'abstinence. On se contentera de la collation prescrite pour les jours de jeûne. Toutefois, une tolérance, passée de règle, permettra d'agrémenter les longues heures de la veillée de nombreux verres de piquette rose et de non moins nombreuses écuelles ou assiettées de châtaignes. Notons que la messe de minuit terminée, les fidèles regagnent aussitôt leurs fermes — et leur lit ! L'anecdote d'Alphonse Daudet sur les "trois messes de minuit" suivies d'un opulent dîner serait, chez nous, un anachronisme — presque un sacrilège.




C'est donc en la fête même de Noël qu'a lieu la grande solennité gastronomique de rigueur. Ce jour-là, on a descendu, des hautes étagères du manteau de la cheminée, la série imposante des coques, coquelles et coquemars de tous calibres qui forment l'arsenal des récipients, et dont on a préalablement frotté d'ail les panses rebondies.




La grande loi, ici, est celle de l'abondance, surtout de l'abondance en graisses de porc, volailles, gibiers, etc. Un axiome basque dit qu'une soupe parfaite — une soupe de grand dimanche — se reconnaît à ceci : qu'elle peut être accueillie par les trois exclamations suivantes : "Hoûûû !..." (le reniflement du porc) — "Choûûû !..." (l'affolement de la poule) — "Moûûû !... (le bêlement du mouton). Pour parfaire la recette. il ne sera plus nécessaire de se préoccuper que de la "garniture" ou "bouquet" — c'est-à-dire des brins conjugués de trois ou quatre plantes indispensables : sarriette, thym, marjolaine ou romarin.




Nous avons connu, dans notre enfance, une brave cuisinière basque — parfaitement illettrée — qui, ayant entendu sa maîtresse de maison désigner d'un terme prétentieux (pensait-elle) le rite habituel d'un vrai festin, d'un repas de "protocole", en avait fait, tout simplement, le nom ou le surnom de son goret : "Protocole ! viens ici ! Protocole ! va là-bas !"




Le "protocole" d'un dîner basque, selon toutes les règles du jeu, comprend approximativement les services suivants :


1° La poule au pot, chère à notre illustre compatriote et voisin, le grand Béarnais. Il est de rigueur qu'elle soit servie "au pot" avec ses abatis, le riz au gras ou à la tomate, le bouilli et la "farce", hachis de viande, d'oeufs et d'épices.




cuisine bearn poule henri IV
LA POULE AU POT



2° Les entrées, qui sont (par rang d'honneur) : le civet de lièvre ou de marcassin, quand, par chance, on a pu être assez heureux à la chasse pour tuer une bécasse, ou une outarde ou un canard sauvage. Au défaut, on se contentera — et c'est encore une consolation appréciable — d'un quartier d'oie, voire d'une pintade, d'une ou deux palombes, confites à la graisse.




cuisine chasse palombes
LE SALMIS DE PALOMBES



3° Enfin, le morceau de résistance : le gigot de mouton aux haricots, lardé d'ail.




cuisine gigot mouton
GIGOT DE MOUTON



Nous mentionnerons, pour mémoire, les pâtés de foie gras dont il se fait une consommation appréciable chez nos amis des Landes ou du Gers, mais qui ne sont pas encore, en pays basque, de monnaie courante.



Maintenant, il est permis d'estimer qu'un Basque d'appétit... moyen, peut se considérer comme suffisamment servi..., pour un simple jour de Noël. Nous passerons l'éponge — ou la nappe — sur toutes les menues broutilles ; crème à la vanille, crêpes ou beignets.



Quant aux autres plats sucrés, tourtes ou pastis, ce sont de simples friandises que nous dédaignons et que nous abandonnons volontiers aux Béarnais et aux Gascons, lesquels, du reste, en sont fort friands. 




Notre dîner de Noël est terminé — s'il est vrai, du moins, qu'un vrai dîner basque puisse jamais finir ! Cependant, nous éprouvons, en finissant, un scrupule... Nous allions oublier... les Vêpres ! les Vêpres qui, chaque dimanche, sont le prolongement indispensable de midi et de l'après-midi !




Qu'on se rassure ! Il n'est pas une maîtresse de maison, en pays basque, qui ne sache congédier, avec non moins d'astuce que de fermeté, ceux de ses convives qui feraient mine de prolonger les délices de la table au delà des proportions décentes... Aussi bien, le sacristain — qui a, du reste, lui-même confortablement dîné — ne se fera pas faute de sonner, à la volée des cloches, l'heure du branle-bas. Déjà les tribunes des hommes, au-dessus de la nef, se remplissent... Les petits bérets, sur le crépi, étoilent de taches rondes l'uniformité des murs. Le repas de Noël est fini, mais les Vêpres de Noël sont entonnées...




Allons ! encore une belle heure de chants, de cérémonies, de lumière et de fleurs...




De nouveau, dans une heure ou deux, jusqu'au soir... on se réunira dans les cidreries ou les auberges. Puis, ce sera le moment du souper. A la bonne heure ! la fête continue... On va pouvoir recommencer !"




Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

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