PORTRAIT D'UN BASQUE "MOYEN" EN MARS 1929

PORTRAIT D'UN BASQUE "MOYEN"EN 1929.

De nombreux écrivains ou journalistes ont essayé, au cours de l'Histoire, de décrire le caractère des Basques.

BASQUES EN DISCUSSION PAR JEAN SCHERBECK

Voici ce que rapporta  ce sujet la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, le 7 mars 

1929 :

"Le Basque "moyen".

Gure Herria nous en trace le portrait.

Pour nous, un basque authentique aura les veux gris, bleus, verts, tout excepté noirs. Quant a ses cheveux, je vous concède qu'ils doivent être bruns — brunis, plus exactement. 

Sans m'attarder aux oreilles et au nez (que d'aucuns prétendent un peu long) je dirai de l'ensemble de la tète offre un "je ne sais quoi" qui permet à deux basques, en quelque lieu qu'ils fassent rencontre, de se reconnaître avant de s'adresser la parole. C'est précisément ce "je ne sais quoi" qui défie toute peinture, toute mensuration. 

Il a les épaules larges, la taille étroite. Ajoutons que lorsqu'il est maigre (c'est souvent son cas) il lui manque un peu de quoi remplir honnêtement un fond de culotte. Si bien que ses culottes, il aurait tendance à les perdre à la moindre défaillance de la fidèle ceinture. Léger accident dont j'ai été plus d’un fois témoin les soirs de marché à Tardets, et que je suppose tout aussi fréquent, les soirs de marché à Saint-Palais, Espelette et Baïgorry. 

PLACE DU MARCHE ST-PALAIS BASSE-NAVARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Nous savons qu‘il est agile et d'une adresse naturelle ; qu'il excelle dans les sports ; à la pelote, comme juste, où sa maîtrise ne risque guère d'être égalée ; et dans les sports anglo-saxons où il ne réussit pas trop mal pour peu qu'il y prenne goût. 

Sa vigueur n'est point contestée non plus. On soupçonne moins de quoi elle est capable sous l’aiguillon de la colère. Un simple exemple à l'appui. En 1915, au front, un bataillon colonial reçut une recrue originaire, il me souvient, d'Ainhoa. Gauche et malingre, le jeune labourdin fut en butte, dès l'arrivée, aux brimades des anciens. Il souffrait tout avec une muette indifférence, d'autant qu'il ignorait le premier mot de français. Parmi ses persécuteurs les plus acharnés figurait un Bordelais, sorte d'hercule forain, fier de ses biceps. Un jour celui-ci n'imagina rien de mieux que de verser du calé bouillant sur les mains de sa victime. Cette stupide plaisanterie mit fin à la résignation du pauvre Ainhoar. Il poussa un juron (de ceux qui ont cours en deçà la Nive), bondit sur le colosse et en un tournemain le terrassa. On eut quelque peine à desserrer l'étreinte de dix doigts de fer autour d'un cou asphyxique. Tout ceci pour avertir qu’il  vaut mieux ne pas pousser un Basque à bout. 

Enfin, il est endurant. D'une exceptionnelle endurance. Il en a donné la mesure a la fois comme colon et comme soldat. Et il n'est pas de prouesses qu'elle ne lui ait permis d'accomplir dans certaines conjonctures, témoins Elcano et de ses compagnons, je ne pense pas qu'on trouve dans les annales de notre planète odyssée plus prodigieuse que celle d'Elcano et de ses compagnons. Partis avec Magellan, ils survécurent seuls à la fameuse expédition ; puis à travers des obstacles insurmontables (pour d'autres que pour eux) à travers les dangers qu'on devine, poussant leur frêle esquif sur un formidable inconnu, les premiers ils bouclèrent le tour du monde. Il y fallait une audace et une résistance basques. L'histoire, injuste à son ordinaire, a couronné Magellan ; il n'atteignait pour tant pas à la cheville d'Elcano. Voilà pour le physique. 

NAVIGATEUR BASQUE JUAN SEBASTIAN ELCANO

Au moral, le Basque moyen n'est pas mieux connu, si l'on en juge par ses portraits. Ses portraits, plutôt ses caricatures. Les écrivains l'ont défiguré à plaisir, sans qu'il s'en portât d'ailleurs plus mal. Loti, le premier, a voulu qu'il fût triste à son image. Et le maître de faire école. Sous son patronage, la tristesse de l'âme basque est devenue classique en littérature apparentée à la tristesse de l'âme bretonne. Par la réserve un peu grave où il s'enferme d'instinct devant l'étranger, notre homme a donné le change à ses observateurs. Les induisant en erreur, car il est rien de moins que triste. Rien de moins que triste, croyez-m'en, au cabaret lorsqu’il gagne au muss (ou qu'il perd) ; aux champs lorsqu'il fait beau (ou qu'il pleut) ; en mer, par temps calme (ou par tempête) ; a la foire, après opération avantageuse pour lui (ou pour le maquignon). Gaieté spéciale que la sienne : je comprends... qu'on n'y comprenne goutte par delà Nive et Âdour. Tour à tour bruyante, silencieuse, rêveuse, ironique, hermétique. Imperturbable gaieté, à l'épreuve des aléas (heur ou malheur). Gaieté tonique, enfin. Que de fois m'y suis-je retrempé, de retour au pays après de longs et lointains exils ! 

AU CABARET PAR PABLO TILLAC

Autre erreur ; on le tient pour fataliste, à damer le pion à l'Arabe. Un monde les sépare en réalité. Si l'Arabe estime "qu'il vaut mieux être assis que debout, couché qu'assis, mort que couché", le Basque, plus sage, pense qu'il est un temps pour tout.

Non, il n'est ni fataliste, ni pessimiste, ni rien de ce qu'on a voulu qu’il fût. S'il était nécessaire de le classer quelque part, j'en ferais un épicurien. Epicurien de bon aloi, s’entend. De ceux qui conçoivent, à l'exemple du philosophe (sans l'avoir lu), qu’il est des moments dans la vie où rien ne vaut un bon verre de vin, avec, autour, quelques amis. Ce n'est pas moi qui l'en blâmerai, ni vous. De là son inaltérable sérénité. A l’heure où l'on se débat à l'entour dans l’inquiétude ou l'agitation, il a retrouvé, lui, son équilibre, un instant ébranlé par la dernière tourmente. Ainsi firent ses pères, toujours, après les catastrophes. 

Quoi qu'il en soit de sa philosophie, elle s'appuie sur une foi simple et robuste. On a soutenu qu’il s’y mêlait du fanatisme et de la superstition. Autre erreur encore ! On oublie que le Basque a la tête froide et solide. Il lui suffit de comprendre que tout ne se borne pas à la vie sur terre. Aussi bien la religion participe-t-elle de son patrimoine. N’y touchons pas. Avis aux imbéciles qui en auraient quelque dessein. 

A L'EGLISE PAR PABLO TILLAC

De la liberté souvent grande de ses propos de table, il ne faudrait pas conclure, comme certains, à la licence de ses mœurs, tant s’en faut. Non pas qu'elles soient austères, ses mœurs ! Elles ont de la tenue, sans plus. Par exemple, on ne badine pas sur un point : l’honneur du loyer. Des auteurs l'ignoraient sans doute qui n’ont pas craint d’introduire l'adultère en un Pays Basque de fantaisie. Leur ferai-je observer que l’article est inconnu chez nous ? Qu'on nous parle de maris trompés à Carpentras et à Landerneau, d'accord ! Mais pas aux Aldudes ! Cent duros contre cent sous qu'on n y rencontre pas l’ombre d'un seul ! 

Sa probité est reconnue. En Amérique elle est même proverbiale, depuis l'époque éloignée où elle détonnait au milieu d’aventuriers de tous poils et de tous pays. Cette réputation d'honnêteté que tout jeune émigrant basque porte dans ses bagages, ne sera pas pour lui un atout négligeable de réussite. Tant il est vrai que la plus grande habileté en affaires c’est l’honnêteté. 

DON PEDRO LURO
ORIGINAIRE DE GAMARTHE

Sans compter qu’il est homme de parole, au delà de ce qu’on imagine à l'étranger. Contrairement à l'adage latin, pour lui le dit vaut l’écrit. Si ce n’était que de lui, l’acte notarié serait inutile et les études chômeraient. C’est par la seule tradition orale, songez-y bien, que s'est perpétuée sa civilisation, à travers les millénaires. 

Il a de la volonté. Là non plus, point de contestation. Comme, d’autre part, il est patient et endurant, on peut conclure qu’il n'est pas homme que l'obstacle rebute ni la difficulté. L'alliance de ces trois qualités (l’une physique, les deux autres morales) lui assure de fréquents et étonnants succès dans les diverses contrées où il s'expatrie, le plus souvent sans ressources et sans instruction. Cet Américain à la démarche placide, qui se rend à sa partie de "muss", ne le jugez point sur son air gauche ou sa mine embarrassée. Il se peut que ce gros homme débonnaire soit un "as", ni plus ni moins. Sans doute seriez-vous surpris des prodiges d’audace, d'énergie, d'habileté déployées par lui avant de forcer la fortune dans quelque région hostile et perdue d’Argentine, de Mexique, de Californie ou de Chili. 

EMIGRATION BASQUE AU CHILI

(Ces lignes qu'on vient de lire sont extraites d'un article du numéro de Gure Herria, de janvier-février. Nous eussions désiré en faire connaître l’auteur, mais celui-ci a gardé modestement l’anonymat. Ce qu'on vient de lire donnera sûrement envie aux lecteurs de connaître cette œuvre spirituelle et juste en son entier)."

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