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jeudi 30 décembre 2021

LE CHÂTEAU DE MARRAC À BAYONNE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1845 (troisième et dernière partie)

 

LE CHÂTEAU DE MARRAC À BAYONNE.


Ce château a été construit, au début du 18ème siècle, par Anne de Neubourg, reine d'Espagne en exil.

Napoléon l'a acheté en mai 1808 aux frères Aaron et Abraham Marqfoy.





CHÂTEAU DE MARRAC BAYONNE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Siècle, dans son édition du 7 octobre 1845, sous la 

plume d'Emile Marco de Saint-Hilaire :



"Souvenirs intimes du temps de l'Empire.


Histoire anecdotique et pittoresque des habitations Napoléoniennes hors de Paris. 



Le petit château de Marrac, près de Bayonne


... Au milieu des graves événements dont Bayonne et Marrac étaient devenus le théâtre, il se passa de nuit, dans les jardins du château, une espèce de drame à deux acteurs, dont la péripétie ne dépassa pas les limites de celte résidence. La connaissance du fait que nous allons raconter ne serait pas arrivée jusqu'à nous si Napoléon lui-même ne l'eût conté, à Saint Hélène, à un des ses compagnons d'exil, qui, à son retour à Paris, voulut bien nous en faire part. 



Une nuit que l'empereur, agité par les mille résolutions qui se croisaient dans son esprit, ne pouvait dormir, il se lève et parcourt seul les sinueuses allées du parc réservé de Marrac. Un silence imposant régnait sous ses sombres ombrages ; seulement de loin en loin on entendait quelques cris rauques des pêcheurs de la Nive qui tendaient leurs filets au clair de lune et le son argentin des capucines de fusil, que les factionnaires, placés de distance en distance autour du jardin, faisaient résonner. L'empereur, absorbé dans ses réflexions, continuait machinalement sa promenade, lorsque tout à coup un moine sort d'un fourré de charmille et se pose à genoux devant lui en inclinant la tête. 



Napoléon s'arrêta court. L'idée de Henri III assassiné à Saint-Cloud au milieu de ses courtisans, par Jacques Clément, lui vint à la mémoire ; il fit bonne contenance cependant, et dit au religieux d'une voix forte :  


— Monsieur, qui êtes-vous ? que me voulez-vous ? et comment se fait-il que vous vous trouviez ici à pareille heure ? 


— Sire, répondit le moine en bon français et sans changer de posture, je suis ici par la volonté de Dieu, et je viens sauver Votre Majesté. 



A ces mots Napoléon tressaillit. 


— Que signifie ce langage ? Expliquez-vous. 


— Sire, vous allez faire la guerre à l'Espagne... 


— Qui vous l'a dit ? interrompit Napoléon. 


— Si du moins, reprit le moine en se relevant, vous ne lui déclarez pas la guerre, vous serez forcé, vous, de la subir en imposant à ce pays un roi et des institutions qui ne lui conviennent pas. 


— Monsieur, vous en savez trop ou trop peu, dit Napoléon. 


— Sire, je vais vous dire qui je suis, poursuivit le moine, et peut-être aurez-vous égard à mes paroles et à la démarche périlleuse que j'ai tentée aujourd'hui pour parvenir jusqu'à Votre Majesté. Avant d'être franciscain, j'ai été soldat. Je me suis engagé à seize ans, et j'ai servi dans les troupes du roi de Sardaigne. Dans la première campagne d'Italie j'ai été votre prisonnier à Lodi, après avoir été blessé à cette bataille, et je n'ai recouvré ma liberté qu'après votre glorieux traité de Tolentino. Mais, sire, tout ennemi des Français que j'étais, je n'ai pu m'empêcher d'aimer et d'admirer le jeune général en chef de l'armée d'Italie. Cette admiration, sire, cet amour ont grandi avec votre fortune, et sous le froc qui me couvre j'ai un cœur qui conserve encore pour Votre Majesté le même degré de respect et le même amour. C'est ce dévouement à votre auguste personne, sire, qui m'a fait braver aujourd'hui le ressentiment de mes compatriotes et les baïonnettes de vos gardes pour pénétrer jusqu'à vous. J'espère, sire, que maintenant vous ne doutez plus de moi. 



— Est-ce que par hasard vous seriez ambitieux ? demanda brusquement Napoléon. 


— Nullement, sire. Je ne suis qu'un pauvre franciscain. 


— Ganganelli l'était comme vous, et il est devenu pape. 


— Je ne voudrais pas même être supérieur de ma communauté, répliqua modestement l'adepte de saint François


— Alors que voulez-vous ? 


— Vous servir, sire, et vous sauver, sans antre espoir de récompense que d'occuper une petite place dans votre souvenir. 


— Voyons, arrivez au fait ; on pourrait nous surprendre, et je ne voudrais pas qu'on me trouvât ici, d'après ce qui se passe, en conférence mystérieuse avec un moine. 


— Il y a de bons moines, sire, comme il y a de bons rois. 


— C'est possible, mais encore un coup expliquez-vous. 


— Sire, vous n'ignorez pas que, dans notre ordre, le premier vœu est celui de pauvreté : nous mendions... 


—Ah ! nous y voilà ! fit Napoléon en souriant ; oui, je sais cela, continua-t-il, et vous n'en faites pas mieux.


— Peut être, sire. Tous les hommes mendient plus ou moins : ceux-ci des richesses, ceux-là des dignités. 


— Il y a quelque chose de vrai dans ce que, vous dites-là. Poursuivez.  


— En faisant nos quêtes dans les provinces d'Espagne, sire, nous nous identifions en quelque sorte avec les populations ; nous connaissons bien mieux que les ministres de S. M. très catholique, notre auguste roi, les besoins, les espérances de ses peuples. C'est pour cela, sire, qu'en vous parlant, c'est la voix du peuple que vous entendez par la mienne, et, vous le savez, la voix du peuple, c'est la voix de Dieu ! 


— Excepté quand c'est un Chatterton ou un Marat qui se fait l'organe du peuple, objecta Napoléon. 


— Peut-être, sire. Mais, De grâce, écoutez les voeux et les espérances du peuple espagnol. Si vos soldats entrent en Espagne pour imposer au pays un prince qui ne soit point espagnol et des lois qui lui soient étrangères, ces soldats n'en sortiront pas. 



Et eu prononçant ces derniers mots, le franciscain s'était de nouveau jeté aux genoux de Napoléon qui, n'ayant pu maîtriser une certaine émotion, à ces singulières paroles, lui dit : 


— Que faites-vous, monsieur ? 


— Sire, répondit le moine toujours prosterné, je sais que les princes sont faciles à irriter. Je vous ai offensé peut-être en vous parlant comme je l'ai fait ;  mais Dieu m'ordonnait d'agir ainsi et j'ai obéi. Maintenant que ma mission est accomplie, ordonnez de moi ce que vous voudrez ; je suis prêt à tout souffrir.


— Retirez-vous, répartit Napoléon, je ne décerne pas les palmes du martyre. Celui qui a relevé en France la croix et les autels, ne vient pas ici renverser les autels et briser la croix. Retournez dans votre couvent et dites à vos compatriotes que l'empereur Napoléon veut le bonheur et l'indépendance de l'Espagne, et qu'il ne portera jamais une main profane sur les institutions d'un peuple fidèle et allié de la France. Adieu, monsieur. A propos, reprit l'empereur dès que le moine se fut relevé, n'oubliez pas de répondre au qui vive de mes sentinelles : Lodi, c'est le mot d'ordre d'aujourd'hui, car c'est l'anniversaire de cette bataille. 



Le franciscain se retira lentement et disparut bientôt sous les sombres allées du parc. 



Quelques instants après être rentré au palais, l'empereur entendit un coup de fusil tiré dans la direction qu'avait prise le religieux. Il envoya s'informer de la cause de cette explosion. Le messager revint et lui annonça qu'un des factionnaires venait de tirer sur un individu qui n'avait pas répondu au qui vive trois fois répété par lui, et que malheureusement cet individu avait été tué sur le coup. 


— Sire, ajouta le messager, c'était un moine espagnol. 


— C'est mon homme ! dit Napoléon à voix basse ; le nom de Lodi devait décidément porter malheur à ce pauvre diable de moine. 



Enfin la fameuse constitution dite de Bayonne avait été adoptée après onze séances. Le roi Joseph se rendit dans cette ville. En face du trône qui lui avait été élevé dans une des salles du palais du gouvernement, un évangile avait été placé sur un prie-dieu. Le nouveau roi jura le premier d'être fidèle à la constitution, et les députés jurèrent ensuite d'être fidèles au roi. En même temps, du fond de sa retraite de Valençay, Ferdinand lui adressait le témoignage de toute sa satisfaction pour le choix qui l'avait porté au trône d'Espagne. Joseph partit pour Madrid le 9 juillet avec tous les députés de la junte et les grands seigneurs espagnols qui, trois mois auparavant, avaient formé le cortège du prince des Asturies, proclamé roi d'Espagne, comme nous l'avons dit, sous le nom de Ferdinand VII. 



Enfin, Napoléon et Joséphine quittèrent Marrac le 21 juillet, non sans laisser derrière eux une grande prospérité, due à leur séjour dans ce château, et aux événements politiques dont Bayonne avait été le théâtre. LL. MM. étaient de retour à Saint-Cloud dans les premiers jours d'août."



   




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